Vincent a troqué sa djellaba habituelle contre une veste de costume grise à fines rayures. Ambiance feutrée, pas de gendarmes en vue : le tribunal administratif de Montreuil ressemble plus au siège social d’une compagnie d’assurance qu’à un palais de justice. Ici, l’essentiel des débats a lieu par écrit, avant l’audience, et les juges ne portent pas de robe mais des cravates. L’assigné à résidence ne sait pas trop où s’asseoir. Son avocate lui indique la place libre à côté de moi, sa seule connaissance dans la salle. Il pose son bonnet à pompon sur le banc et glisse, à voix basse : J’ai la tête dans le cul.
L’audience débute à 9h30.
Vincent demande la levée de son assignation à résidence. En décembre (lire l’épisode 14), le tribunal l’avait éconduit en référé. Les choses ne semblent pas beaucoup mieux engagées cette fois-ci. Le rapporteur public, chargé d’exprimer un avis sur l’affaire, estime que les motifs avancés par le ministère de l’Intérieur, ni présent ni représenté sur place, sont suffisants
. Il rappelle à Vincent sa pratique fondamentaliste de l’islam
, ses critiques contre l’institution policière
et la note blanche des services de renseignement qui lui prête des contacts avec des radicaux sulfureux. Alors qu’il est le requérant dans cette procédure, Vincent se transforme instantanément en coupable, comme lors de la première audience.

La présidente, une magistrate BCBG qui n’élève pas la voix, donne la parole à l’avocate de Vincent. Judith Levy insiste sur la difficulté de démonter les affirmations péremptoires du ministère, livrées telles quelles lors de la dernière audience. L’essentiel des reproches porte sur les fréquentations de son client. Oui, il connaît un certain Rudy Terranova, délinquant de droit commun notoire, considéré comme radicalisé
par les services de renseignement et interdit de sortie du territoire. « Mais moi aussi je le connais, et tous ceux qui lisent la presse aussi, ironise l’avocate, puisqu’il a été acquitté la semaine dernière d’une tentative d’assassinat sur Karim Achoui ».
Les deux hommes se sont croisés à la mosquée et ont passé dix jours ensemble, avec une cinquantaine d’autres personnes, lors d’une retraite spirituelle à cinq minutes de chez Vincent. Ils ne seraient pas amis pour autant. Quant à Fabien Clain, voix française des revendications de l’Etat islamique, mon client a entendu son nom pour la première fois à l’audience
, affirme Judith Levy. Elle se retrouve toutefois