Laurence Blisson est une petite femme drôle. C’est frappant quand on la rencontre, dans les locaux bordéliques du Syndicat de la magistrature (SM), où une bande de jeunes (mais pas que) laissent vieillir des journaux, des projets de loi et des mandarines. Avant, il y avait un « mur des cons », qui était drôle aussi, mais la blague a attiré des ennuis à ses inventeurs. Bref. Laurence Blisson m’accueille en rigolant – Je suis déçue, je croyais que ce serait Margaret Thatcher
parce qu’elle a vu ma photo de profil sur Twitter –, m’offre du café de la cafetière qui fuit et s’assied sur une chaise, autour de la grande table de réunion.
À 31 ans, cette magistrate a quatre ans d’expérience comme juge d’application des peines, à Meaux (Seine-et-Marne). Elle est « détachée » au SM, dont elle est secrétaire générale, depuis janvier 2014. Laurence Blisson fait partie des plus solides opposants aux textes sécuritaires votés ces derniers mois : la loi antiterroriste de Bernard Cazeneuve (novembre 2014), la loi renseignement de Jean-Jacques Urvoas (juillet 2015), l’état d’urgence, sa prolongation, sa constitutionnalisation et celle de la déchéance de nationalité.
Devenir un « personnage » des Jours l’amuse plutôt, elle n’en tire pas gloriole et demande si elle gagne un débat avec Jean-Jacques Urvoas à la fin
. Clarisse Taron, la présidente du syndicat et parquetière à Besançon, se joint à la conversation et propose des gants de boxe pour que Laurence mette sa race au ministre.
Résumé des épisodes précédents. Dès qu’une nouvelle loi liée de près ou de loin au terrorisme pointe son nez, Laurence Blisson – moins sollicitée que Marc Trévidic tout de même – affûte ses arguments dans des interviews, rédige des tribunes, travaille sur des rapports et explique aux parlementaires pourquoi ils devraient voter contre. Son cerveau mouline très vite, à tout moment elle pourrait laisser échapper un éclat de rire ou une volée de jurons. Mais elle se contient et inflige à ses contradicteurs des démonstrations carrées, juridiques, documentées. Elle finit toujours par perdre et recommencer. Continuer plutôt, parce qu’à ses yeux, la salve de lois dont elle est le témoin affligé procède d’un même mouvement : une érosion généralisée des libertés et un gonflement de la logique d’exception
.
Le 13 novembre 2015, à l’heure des attentats, Laurence Blisson sortait du théâtre des Amandiers (Nanterre). Elle était allée voir un spectacle de Rodrigo Garcia avec sa sœur.