Devant le buisson de micros qui l’entoure, Laurent Wauquiez la joue modeste. Ce mercredi 11 octobre, vers midi, il est venu déposer son dossier de candidature à la présidence des Républicains, au siège du parti à Paris. Pourtant, les chiffres sont éloquents : il aligne plus de 20 500 parrainages de militants et 135 de parlementaires « venant de tous horizons », se plaît-il à détailler, la voix posée. Gaudin, Woerth, Ciotti, Dati, quelques nouveaux députés et « la filiation juppéiste, à travers Virginie Calmels », pressentie pour devenir sa vice-présidente. « Aujourd’hui, c’est la refondation de la droite qui commence », se félicite son nouveau mentor.
Laurent Wauquiez est « content », car « il y aura plusieurs candidats ». Certes, l’honneur est sauf, mais Florence Portelli, Daniel Fasquelle et Maël de Calan seront relégués au rôle de faire-valoir. Laurent Wauquiez l’assure : « Moi, mon obsession, c’est qu’on fasse réentendre la voix de la droite. » Et, évidemment, qu’on écoute d’abord la sienne. Nous, notre obsession aux Jours sera ces prochains mois de décortiquer, depuis Lyon, ses dossiers régionaux. Car le président d’Auvergne-Rhône-Alpes, si prompt à endosser la parka du provincial de service pour mieux dénoncer les élites parisiennes hors-sol, a décidé de faire de « son » territoire la vitrine de ses ambitions nationales.
Flash-back. Nous sommes le 3 septembre, le premier jour de l’ascension vers la présidence des Républicains. Un ciel limpide surplombe l’étendue de monts verdoyants. La carte postale est parfaite. Le fond de l’air est vif – 9°C seulement en cette fin d’été – mais les troupes ont répondu à l’appel. Planté en bord de départementale, le village des Estables, minuscule station de ski auvergnate, assiste une fois l’an à un curieux défilé. Depuis 2012, c’est là, au pied du mont Mézenc, que les militants Les Républicains de la fédération de Haute-Loire donnent leur « fête départementale ». Cette année, près de 1 500 convives sont attendus. Leur hôte est aussi leur chef de section, leur ancien député, leur président de région. Le héraut de la « droite vraiment de droite ». Bientôt le patron de leur famille politique ? Beaucoup le considèrent déjà comme tel.
Laurent Wauquiez est ici sur ses terres, à 40 minutes au sud du Puy-en-Velay, dont il fut maire de 2008 à 2016. Et le Mézenc (prononcez « mézin ») constitue la tribune idéale pour lancer sa campagne à l’élection de la présidence du parti, prévue les 10 et 17 décembre prochains. D’autant qu’une invitée de dernière minute partage l’estrade : la juppéiste Virginie Calmels, première adjointe au maire de Bordeaux. Le matin même, Le Journal du Dimanche révélait son ralliement à Wauquiez. Décidément, le timing, lui aussi, est parfait. Quelques jours plus tôt, le candidat faisait son galop d’essai programmatique à Châteaurenard, dans les Bouches-du-Rhône. Hors de « sa » région, mais dans un lieu symbolique pour l’aile droitière du parti : le fief du député LR Bernard Reynès a longtemps accueilli la rentrée politique de Jean-François Copé et, en 2016, Nicolas Sarkozy y avait donné, dans une ambiance surchauffée, son premier meeting en vue de la primaire de la droite.
Durant tout l’été, Laurent Wauquiez s’était fait discret, enjoint par ses proches à ne rien précipiter. Las, la pause touche à sa fin, le quadra adepte de course de fond est dans les starting-blocks. Le 31 août, il annonce officiellement dans Le Figaro sa candidature à la tête des Républicains, pour « faire renaître l’espoir à droite ». Trois jours plus tard, il vient au Mézenc parader en terrain conquis, sur « une terre de résistance » qui a vu « grandir [ses] convictions politiques », dit-il à la tribune. Qui a surtout vu son discours se radicaliser. Passé en dix ans du giron du centriste démocrate-chrétien Jacques Barrot, ancien député de Haute-Loire, à l’ascendance de Patrick Buisson, idéologue de la droite identitaire, Wauquiez a lancé en 2010 un club de réflexion parlementaire, la « Droite sociale ». Contrairement à ce que laisse penser son intitulé, il se destine à « assurer une juste promotion de la valeur travail face aux dérives de l’assistanat et [à] dénoncer les dérives des profiteurs d’en haut qui menacent notre pacte républicain », débite le site internet de l’homme politique.
La dérive a désormais un cap : à droite toute. Et le coup de barre vaut aussi pour la gouvernance de la région Auvergne-Rhône-Alpes, utilisée comme un laboratoire de ses ambitions nationales. À sa tête depuis près de deux ans, Laurent Wauquiez enchaîne les polémiques à fort potentiel médiatique. Quitte à s’adonner à de grossiers rétropédalages et à feindre d’ignorer que certaines de ses revendications ne relèvent même pas des compétences de la collectivité. Gestion manichéenne des enjeux de la ruralité, attribution clientéliste des subventions, lancement d’un « plan Marshall » contestable pour les lycées, sape du budget de la culture, proximité affichée avec la Manif pour tous et Sens commun, politique des transports erratique, instauration d’une « préférence régionale » en matière de BTP, management hasardeux des services de la région : autant d’orientations promptes à alimenter l’instabilité d’une majorité composée d’un tiers de centristes. Conquis durant la campagne pour les régionales à la faveur de thèmes consensuels (la valorisation des classes moyennes, la défense de l’agriculture, la rigueur budgétaire), certains ont depuis rallié La République en marche, à l’instar du Modem Patrick Mignola, ex-vice-président aux transports, remplacé depuis peu par l’UDI Martine Guibert.
On est loin, au Mézenc, de ces considérations. Un immense barnum a été dressé pour abriter des rangées de tables et une scène. Dans le parking réservé, les camionnettes des chaînes de télé s’alignent non loin de celles du traiteur. Dès la fin de matinée, les invités affluent, voitures garées le long de la route qui zigzague. Comme au ski, on gravit les derniers mètres à pied, le nez au vent. Devant la tente blanche, des petits groupes se sourient, se saluent, s’évaluent, tout en retenue mondaine. Qui est là ? Qui ne l’est pas ? Qui est en retard ? Il faut dire que le GPS ne passe pas super aux confins de l’Ardèche et de la Haute-Loire… Les seuls à trancher avec cet entre-soi rando-politique, ce sont les Jeunes Républicains. Affublés d’un T-shirt siglé « Avec Wauquiez » et de baskets légères, ils se gèlent au milieu des doudounes-godillots. Ils ont fait le trajet en bus ou en covoiturage depuis Pierre-Bénite, en banlieue de Lyon, où se tenait le même week-end leur université d’été.
L’un d’eux, lycéen francilien, disserte sur le « manque de leadership » au sein du parti à l’issue d’une « campagne épuisante ». Il s’agit désormais, dit-il, de « rétablir ce qu’avait su faire Sarkozy : réunir la famille ». Mais prôner le rassemblement et l’incarner sont deux choses différentes, objecte-t-on. « Laurent Wauquiez peut faire partie de la droite dure, OK. Mais il l’a répété, il n’y a pas d’accointances possibles avec le Front national. Ce serait une insulte à l’ADN du parti, à ses racines gaulliennes. » Le jeune homme n’était pas encore né quand la droite, dans cette même région, était alors moins regardante. En 1998, Charles Millon avait été élu à la tête de Rhône-Alpes grâce aux voix du FN. À la manœuvre, en coulisse, on croisait déjà un certain Brice Hortefeux… Banni de l’UDF, Millon n’avait ensuite pas hésité à désigner une douzaine de frontistes vice-présidents de commissions. Mais l’annulation du scrutin moins d’un an plus tard par le Conseil d’État, à cause d’un vice de procédure, avait rouvert une période d’alternance plus en phase avec la tradition social-démocrate de ce territoire. Tout comme en Auvergne où, hormis la parenthèse giscardienne de 1986 à 2004, les socialistes règnent depuis la fin des années 1970.
Votre action à la tête de la région valide avec pertinence le combat du Front national.
L’élection de Laurent Wauquiez à la présidence de la nouvelle grande région Auvergne-Rhône-Alpes a ravivé des espoirs chez les lepénistes. Avec 34 conseillers régionaux sur 204, le FN, troisième groupe de l’assemblée, talonne celui des socialistes et apparentés, qui disposent de 37 sièges. Le chef local du parti d’extrême droite, Christophe Boudot, prend régulièrement un malin plaisir à narguer Wauquiez au sujet d’une éventuelle alliance. « Votre action à la tête de la région valide avec pertinence le combat du Front national », lui lançait-il ainsi en juin dernier, à l’annonce du compte administratif de 2016. Malgré ces appels du pied insistants, le président de l’exécutif continue de jurer ses grands dieux qu’on ne l’y prendra pas. Pas question de fricoter avec Marine Le Pen, « qui a montré pendant le débat de l’entre-deux-tours le visage de la haine, de l’agressivité et de l’incompétence », dénonçait-il à la fin du mois d’août. Laurent Wauquiez se déclare en revanche beaucoup plus compréhensif avec l’électorat mariniste, qu’il « ne juge pas » et « ne critique pas », répétait-il déjà lors de sa campagne régionale. Cette bienveillance a fini par payer tandis qu’il abordait le second tour sans réserve de voix, hormis côté FN.
Au Mézenc, le champion s’apprête à pénétrer dans l’arène. L’assistance bat des mains, tendue par l’excitation. Laurent Wauquiez est suivi de près par une blonde souriante, pantalon opale et haut marine. Rares sont ceux dans la foule à la reconnaître. C’est Virginie Calmels, que l’on évoquait plus tôt. Transfuge du clan Juppé, elle représente une belle prise de guerre pour le chantre du rassemblement. Ancienne boss de Canal+ et d’Endemol, elle incarne aussi cette nouvelle génération de « gagnants », qui s’affranchissent bruyamment, en politique comme en affaires, du vernis humaniste de leurs aînés. De l’un comme de l’autre, on dit qu’ils ont les dents qui rayent le parquet. Ils sont faits pour s’entendre. Le duo serpente dans la foule. Bande-son poussée à fond, acclamations, pancartes brandies. Un ou deux selfies express. L’effervescence se dissout quand les entrées sont servies. Au pupitre estampillé « La droite de retour », les soutiens au candidat, ténors LR et habitués du Mézenc, se succèdent.
Brice Hortefeux se lance alors que les couverts commencent à tinter. Désormais député européen, l’ami de la famille Sarkozy, doté d’un maroquin différent à chacun des trois gouvernements Fillon, est un vieux compagnon de route de Laurent Wauquiez. Après avoir été ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale, il est aujourd’hui vice-président du conseil régional à la « solidarité avec les territoires auvergnats ». À sa suite, Éric Ciotti, député des Alpes-Maritimes, déroule son habituel fonds de commerce. Autorité, liberté, sécurité, avec le moins possible d’étrangers. « La France n’a plus les moyens d’[en] accueillir et d’[en] assimiler autant », clame-t-il. Lui succède Calmels, qui fait allégeance : « Les libéraux se fédèrent derrière moi, les libéraux se fédèrent derrière Laurent Wauquiez », déclare-t-elle avant de lui lancer : « Bravo pour tout ce que tu as accompli ici. » Bernard Accoyer, secrétaire général des Républicains, longtemps député de Haute-Savoie, renchérit sur la nécessité de « revenir au bon sens, à la vérité, à la réalité », tel « Laurent » qui « met sa fougue au service de notre grande région ».
Une bizarrerie protocolaire a placé Baptiste et Louise, 14 et 11 ans, les enfants de Laurent Wauquiez, à l’une des tables réservées à la presse. Ils mangent sagement et filent vite avant le discours de leur père. Le voilà qui monte à la tribune, en bras de chemise, col ouvert. Il tient à saluer Charlotte, son épouse, celle « qui [l]’ancre dans le vrai, sans qui [il] ne peu[t] rien faire ». La dédicace va droit au cœur des militants, une majorité de couples grisonnants bien mis. La partition qui suit ressemble fort à celle de Châteaurenard. Jupiter est rhabillé pour l’hiver. Puis les thèmes s’enchaînent : travail, autorité et respect, rejet du communautarisme. « Vive Les Républicains et vive la France ! », conclut-il. Les premiers randonneurs s’élancent à l’assaut du mont Mézenc. Leste, Laurent Wauquiez remonte la cohorte à toute allure, pisté par des journalistes essoufflés. L’un d’eux demande si sa campagne sera à l’image de cette marche forcée. Le candidat élude. Au sommet, il commente le panorama, indique le nom des différents monts à Virginie Calmels, qui écoute, les joues rosies par l’effort. À l’horizon, pas un nuage.