Corentin : Depuis quelques années, Netflix multiplie les productions maison et diversifie son catalogue dans une multitude de genres. Après s’être fait connaître avec des drames politiques comme House of Cards ou des séries de superhéros qui font de la bagarre, la firme s’attaque depuis 2017 à l’animation japonaise. Et Thomas, tu viens nous parler d’une de leur dernière production du genre en date, c’est bien ça ?
Thomas : Bonjour Corentin. Effectivement, je vais vous parler de Devilman Crybaby, série de 10 épisodes de 25 à 30 minutes chacun, produite par le studio Science Saru, disponible depuis début janvier sur Netflix. Et elle a une bande son particulièrement addictive :
01 - MAN HUMAN (tu fades out et coupes quand tu veux, je vais laisser le remix in extenso)
Thomas : Il s’agit du remix du très bon générique d’ouverture de l’anime, Man Human, interprété par le duo synthpop Denki Groove. La musique nous met d’ailleurs directement dans l’ambiance : on a le ounse ounse dansant de clubbing, mais aussi des choeurs un peu sombres et mystiques.
Corentin : Et donc, ça parle de quoi, Devilman Crybaby ?
Thomas : On suit deux adolescents amis d’enfance, Akira et Ryo. Le premier est maigrichon, timide et très sensible, et fait de l’athlétisme pour pouvoir traîner avec son crush, Miki. Le deuxième est un génie très sûr de lui, plutôt asocial et populaire.
De fait, tous les opposent. Ils sont réunis au début de la série alors que Ryo, qui est maintenant professeur dans une université américaine, revient d’une expédition en Amazonie où il a découvert l’existence de démons prêts à conquérir le monde et donc à détruire les humains. Selon lui, la seule solution pour les combattre serait de fusionner un humain avec un démon. C’est ce qu’il impose à Akira, qui devient alors Devilman : il possède la puissance d’un démon, mais a conservé son âme d’humain. C’est lui, le “crybaby” - pleurnicheur en anglais - du titre.
Corentin : Et du coup, ils font la bagarre contre les démons ensemble ?
Thomas : Au début, oui. Et puis Akira se rend compte que la situation n’est pas toute blanche ou toute noire, comme Ryo semble le voir. Une guerre entre humains et démons va éclater, faisant ressortir la noirceur qui sommeille en chacun de nous.
Corentin : Ah oui, pas très fun tout ça. Du coup, c’est violent un peu, j’imagine…
Thomas : Tu ne crois pas si bien dire, et ce dès le premier épisode. En d’autres termes, ça n’est clairement pas une série pour tout le monde. Si vous cherchez de la douceur et de la poésie, regardez plutôt Minuscule, actuellement en cours de diffusion sur la plateforme Wakanim…
Corentin : Nan mais c’est de Devilman Crybaby qu’on parle là. Alors, la violence, concrètement, c’est quoi ?
Thomas : Pêle-mêle, tu trouveras du démembrement à tout va, des corps qui explosent, des exécutions sommaires, de la violence envers les animaux, du cannibalisme… le tout montré de façon très explicite. Pas très glop. Et à cela il faut ajouter les nombreuses scènes à caractère sexuel, à deux ou plus, parfois consentant, parfois pas. Surtout, le tout est construit de telle manière que la conclusion de cette série, extrêmement brutale, tombe comme un couperet, quand bien même elle est assez téléphonée. Donc je le répète : ça n’est pas pour tout le monde. La conclusion de l’épisode 9 m’a laissé un sentiment de malaise vraiment pas agréable. Vous êtes prévenus.
Corentin : En somme c’est vraiment pas du tout tous publics quoi. Mais du coup, si c’est l’orgie de débauche dans tous les sens, pourquoi regarder cette série ?
Thomas : Pour plein de raisons, en vrai ! Bon, d’abord, Devilman Crybaby est la dernière adaptation en date d’un manga fondateur, Devilman, de Go Nagai, à qui l’on doit également, entre autres, Cutie Honey et Mazinger Z. Si ces titres sont assez confidentiels en France, ils ont eu un impact énorme sur la production manga depuis les années 70. On ne s’en rend pas bien compte, mais des oeuvres comme Evangelion, Gurren Lagann, Berserk, les jeux vidéos de Suda51 qu’affectionne tant Pipomantis… Bref : tout un pan de la création SF et Fantasy, n’auraient jamais vu le jour sans Devilman. D’autant plus que l’anime est plutôt fidèle au manga original, conservant la conclusion d’origine et le ton globalement doux-amer.
Corentin : Oui mais ça, c’est si on veut parfaire sa culture générale pop japonaise. Si on s’intéresse pas spécialement au monde du manga et de l’animation japonaise, y’a des trucs à croquer quand même ?
Thomas : Oui, évidemment ! Devilman Crybaby, c’est aussi une porte d’entrée dans l’univers de Masaaki Yuasa, un des réalisateurs de japanimation les plus avant-gardistes du moment. On lui doit un long métrage dingo, Mind Game, et des séries comme Kemonozume (inédit en France) ou The Tatami Galaxy (distribué par Black Box). Il a un véritable souci de l’adéquation image/histoire. Par exemple, dans Devilman Crybaby, les premiers épisodes vont être très colorés, voire fluo (même dans les scènes violentes) et vont peu à peu se ternir à mesure que l’intrigue avance et que l’ambiance s’assombrit. Surtout, Yuasa ne s’encombre pas des conventions artistiques et joue avec les perspectives, les déformations et les textures pour mieux troubler ses spectateurs.
Corentin : Justement, d’un point de vue artistique, qu’est-ce qu’on en retient ? Parce que j’aime vraiment bien le générique là…
Thomas : Ah ben tu vas être servi parce que la bande son, signée par Kensuke Ushio, reste dans cette veine synthpop vaporeuse et cyclique. Encore une fois, la musique, comme le dessin, souligne les tourments des personnages et l’évolution de l’intrigue. Yuasa a également fait appel à des rappeurs comme Ken the 390 ou Hannya pour doubler certains personnages racontant l’intrigue en cours sous forme de freestyle. C’est plutôt novateur - pour de la japanimation - et rafraîchissant.
Côté design des personnages, Yuasa a fait appel à Ayumi Kurashima et Kiyotaka Oshiyama. Cette paire a conçu des personnages aux identités mises à jour par rapport à leurs versions années 70. En outre, on notera qu’ils se sont inspirés des designs que l’on peut croiser dans les autres productions de Yuasa, tout en prenant soin de conserver leur patte. Beau geste.
Corentin : Je vois je vois… Du coup, on aime ou pas ?
Thomas : Comme dit un peu plus tôt, c’est clairement pas une série - ou plutôt, un film découpé en 10 épisodes - à mettre entre toutes les mains. Personnellement, la construction de l’anime m’a fait pensé à Salo ou les 120 Journées de Sodome, le film très controversé de Pier Paolo Pasolini. Dans les deux cas il y a un propos, il y a une esthétique, il y a une histoire qui amène le spectateur vers une conclusion inéluctable, mais il y a aussi une violence graphique et psychologique parfois très dure à regarder, nous laissant dans le malaise.
Malgré tout, Devilman Crybaby reste un des meilleurs animes japonais de cette saison, que ce soit pour son histoire bien foutue même si elle ne révolutionne pas le genre, et son animation non conventionnelle. Donc je recommande, mais pas pour tout le monde (ou alors regardez-le à plusieurs, pour pouvoir désamorcer certaines scènes difficiles).
Corentin : C’est bien noté ! Devilman Crybaby, est disponible sur Netflix, donc si vous vous sentez prêts à l’affronter et à prendre une dose de créativité artistique tordue dans la face, n’hésitez pas. Merci Thomas !
Thomas : A bientôt !
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