CORENTIN : Être ou ne pas être, telle est la question que se pose Hamlet chez Shakespeare. Aujourd’hui, Xavier Eutrope va nous parler d’un comic-book dont le titre est vraisemblablement une référence à cette tirade célèbre….tuer ou être tué….telle est la question….
XAVIER : Bonjour à toutes et tous, bonjour Corentin ! Alors tout à fait, tu l’as dit, aujourd’hui je vais parler de Kill Or Be Killed ou “tuer ou être tué” si on le traduisait en français (ce qui n’est pas le cas dans l’édition française de chez Delcourt, qui s’appelle Kill or Be Killed).
C : Ah non mais me casse pas mes effets de style non plus là !
X : Ok ok ok pardon Corentin, désolé. Venons en au sujet. Kill or Be Killed suit le parcours de Dylan, un jeune homme dépressif qui a tenté de se suicider à de multiples reprises. C’est un postulat de départ déjà assez sombre, je suis bien d’accord.
C : Je ne sais pas ce qui se passe après mais je vois difficilement comment ça pourrait s’améliorer.
X : Eh bien ça ne s’améliore pas Corentin, car à la suite d’une nouvelle tentative de suicide, Dylan se retrouve à devoir faire un pacte avec…. un démon. Ce dernier prendre la vie, chaque mois, d’une mauvaise personne, sinon c’est la sienne qu’il reprendra… Car après sa dernière tentative, Dylan semble avoir repris goût à l’existence. Il se retrouve donc obligé de devenir un vigilante pour rester en vie.
C : Ok donc c’est vraiment pas joyeux comme pitch
X : Non en effet, c’est le moins que l’on puisse dire. Dans les quatre volumes qui composent la série, on voit Dylan, mais aussi son entourage, passer par de nombreuses phases. Au fur et à mesure que le jeune homme se perfectionne dans le vigilantisme, il choisit mieux ses cibles et son equipements, sa santé mentale évolue, parfois pas pour le mieux, tandis que le danger se rapproche de sa famille, ses amis… Tous ceux qui l’entourent en réalité. Dylan en vient à reconsidérer certains de ses choix, allant parfois jusqu’à se demander si le démon existe bien ou non.
[TENEBRE] (baisse du volume au fur et à mesure)
C : Tu veux dire qu’on voit parfois le personnage principal s’écrirer “OH BEN DITES MOI CE DEMON QUI ME PARLE EXISTE-T-IL REELLEMENT ???”
X : Bien sûr que non Corentin, c’est bien plus fin que ça ! En fait, c’est Dylan qui narre ses propres aventures. Et si le récit se déroule de façon chronologique et linéaire, il y régulièrement des à-côté, des retours en arrière, des ruptures de rythme. Mais tout est raconté par Dylan, qui devient un narrateur externe, qui connaît déjà l’issue finale. Tous les questionnements qui traversent l’esprit du héros sont donc transposés de cette façon, dans des questionnements parfois ironiques, souvent aux implications dramatiques, tragiques. La question du démon revient donc logiquement de façon assez régulière, même s’il n’est pas nécessairement au centre des préoccupation de Dylan, qui disserte sur de nombreux sujets en menant son activité de vigilante.
C : Mais comment tu définierais Kill Or Be Killed en fait, c’est un polar avec une pointe de fantastique ?
X : Pour moi Kill or Be Killed tient du roman noir. Ed Brubaker et Sean Philips, respectivement au scénario et au dessin, ont collaboré ensemble sur un nombre impressionnant d’histoires dans ce genre. Le fantastique a déjà été clairement au centre d’une de leur oeuvre, Fatale, qui tourne clairement autour des mythes de Lovecraft. Ici dans Kill or Be Killed, le fantastique (mais en est-ce vraiment, d’ailleurs ?), n’est qu’un pretexte. Pour Dylan, le monde est sale et corrompu, les méchants ont gagné, il n’est pas sûr de pouvoir renverser la vapeur mais il va essayer. Je ne vais pas trop en dire, loin de moi l’envie de divulgâcher quoi que ce soit, mais Dylan évolue au fil du récit : s’il commence tout ça bien malgré lui, il continue car il estime avoir une mission importante à remplir.
C : Ca a l’air d’être un comic-book assez pessimiste non ?
X : Ça on peut le dire. A de nombreux moments, on peut sentir que c’est Ed Brubaker qui parle à travers son personnage, particulièrement lorsqu’il décrit les Etats-Unis et la violence sociale qui y règne. Disons qu’il est désabusé et ne voit pas trop comment on pourrait s’en sortir et c’est en cela une histoire qui est taillée sur mesure pour une génération de lecteur qui auraient aujourd’hui entre 20 et 30 ans. Brubaker ne franchit jamais la ligne qui ferait de Kill or Be Killed quelque chose de réactionnaire comme le films de vengeance des années 70-80, il réussit à prendre assez de recul pour ne pas tomber dans de trop gros clichés.
C : J’ai l’impression que tu as bien aimé Kill Or Be Killed Xavier !
X : Tu me connais bien Corentin ! Oui ! J’ai beaucoup aimé ! L’histoire d’Ed Brubaker est très réussie, il réussit à aborder de nombreux thèmes d’une façon intéressante. Les dessins de Philips et les couleurs de Elizabeth Breitweiser donnent dimension encore plus crade et anxiogène à son récit. Ce n’est pas l’oeuvre la plus originale que Philips et Brubaker ont pu faire ensemble, mais c’est de très très bonne facture et une bonne porte d’entrée dans leur univers. Ils reviennent d’ailleurs très prochainement avec une nouvelle bande dessinée intitulée “My Heroes Have Always Been Junkies”.... peut-être une prochaine chronique dans les croissants ?
C : Kill or be killed, c’est terminé en 4 volumes aux États-Unis, chez Image Comics. En France, c’est chez Delcourt qu’il faut aller. 3 tome sur quatre ont été édités et traduits ! Merci Xavier, et a très vite.
« Killed or be Killed » : telle est la question qui tue
Dans le monde du comics, Ed Brubaker et Sean Philips sont réputés pour faire dans les œuvres sombres. « Killed or be Killed », en cours de publication en France, ne fait pas exception à la règle, avec l’histoire de ce jeune homme qui doit tuer s’il ne veut pas qu’un démon lui ôte la vie. On en parle avec notre expert en comics sombre, Xavier Eutrope.
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