Corentin : Si les BDs - ou plutôt les films adaptés de BDs - nous ont appris quelque chose, c’est qu’un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Et c’est de ce sujet que parle la BD que tu nous présentes aujourd’hui, Thomas ?
Thomas : Salut Corentin. Effectivement, La Valise, puisque c’est le titre de cette BD, de Gabriel Amalric, Morgane Schmitt Giordano et Diane Ranville, aborde entre autres la question des choix cornéliens auxquels certaines personnes peuvent être confrontées, notamment en temps de guerre. Doit-on s’impliquer dans un conflit, et donc potentiellement sauver la vie de nombreuses personnes au risque de se faire des ennemis dangereux, ou alors détourner le regard et continuer à vivre sa vie entre deux eaux ?
Corentin : C’est donc une BD qui traite de la guerre ?
Thomas : En décor seulement. Dans La Valise, on suit l’intrigante Cléophée, personnage longiligne rappelant Barbara et Virginia Woolf. Surnommée par certains “la sorcière”, elle ne quitte jamais sa valise et sa clé, qu’elle porte autour du cou. Si dans le civil Cléophée s’arrange volontiers avec le pouvoir dictatorial du Dux, lorsque la nuit tombe, elle devient passeuse, permettant à qui est prêt à en payer le prix de quitter la Cité. Et ce prix est élevé : pour chaque âme sauvée, elle absorbera 7 ans de vie.
Corentin : Ah, donc j’imagine que son pouvoir, c’est de faire voyager ses clients dans sa valise.
Thomas : C’est tout à fait ça. Le personnage de Cléophée est donc ambigu, ne rejettant pas fondamentalement le régime dictatorial du Dux, mais aidant également les ennemis du régime qui aspirent à la liberté. Tout se complique lorsqu’un groupe de résistants souhaite rentrer dans la Cité.
Corentin : Une intrigue prometteuse, mêlant fantastique et politique, enjeux personnels et collectifs. Ca a l’air pas mal comme ça…
Thomas : Oui, c’est d’autant plus sympa qu’en plus il s’agit d’une première oeuvre. Il s’agit de la première BD que le trio derrière La Valise édite officiellement. Le trio a collaboré ensemble par le passé, sur des fanzines, mais surtout sur un court-métrage d’animation qui a servi de base à la BD dont je vous parle aujourd’hui. Gabriel Amalric et Morgane Schmitt Giordano se sont d’abord rencontrés sur les bancs de l’institut supérieur des arts appliqués où ils ont étudié l’animation. Dans le cadre d’un projet de fin d’année, avec d’autres camarades de promo et le soutien scénaristique de Diane Ranville, ils ont donc conçu un court métrage où l’on retrouve des éléments de la BD.
Corentin : C’est intéressant ça, qu’une oeuvre d’animation donne ensuite lieu à une BD. D’habitude, c’est plutôt l’inverse. Du coup, il s’agit d’un portage, d’une adaptation ?
Thomas : L’atmosphère est similaire, l’idée de la valise et le personnage qui deviendra Cléophée sont déjà présentes. Mais évidemment, la BD s’enrichit et permet le développement d’un univers bien plus complet. D’un point de vue graphique, l’ensemble est plus détaillé. Le trait est fin, le design des personnages est plus fouillé, et le travail des couleurs est assez dingo.
Surtout, comme les auteurs n’ont pas de formation BD traditionnelle, leur utilisation de ce support est plus libre. Le découpage des cases est plus dynamique, la mise en page ne s’embarasse pas des contraintes traditionnelles de la BD européenne, et les phylactères (les bulles de BD) ne sont pas utilisés que pour contenir du texte. Morgane Schmitt Giordano et Diane Ranville, que j’ai pu rencontrer récemment, expliquent d’où leurs sont venues ces idées qui enrichissent tant le fond que la forme de La Valise.
En terme de BD, je me suis mise à lire beaucoup de comics. J’apprécie la liberté de rythme et de découpage qu’il y a dans le comics. Comme à la base je dessinais aussi beaucoup de manga, j’aime beaucoup la souplesse de leur cadrage.
Et après, c’est vrai qu’on avait envie d’essayer un maximum de choses en terme de découpage.
C’est vrai qu’on était bien à fond sur cette idée d’utiliser un maximum de ces codes de narration. D’ailleurs, on a une 4e personne dans notre studio, qui a fait des études de BD à Saint-Luc, et à plusieurs reprises, elle regardait les trucs et elle faisait “Mais ça c’est pas le bon code dans la BD, si vous mettez des cases côte à côte, ça veut dire que l’action est simultanée…” Mais c’est pas grave ! Ca fait le job en terme de rythme, c’est autre chose !
Corentin : Ca donne un coup de fraîcheur dans la BD, c’est cool ça !
Thomas : Mais carrément ! Surtout, l’univers a été tellement développé entre la création du court-métrage et le lancement de la BD qu’un petit dossier complémentaire d’une dizaine de pages conclut La Valise, apportant des informations complémentaires sur le monde fantastique dans lequel évoluent les personnages.
Corentin : Ah, ça veut dire qu’on peut s’attendre à une suite ?
Thomas : Non. La Valise est un one shot qui existe en tant qu’entité unique. Les auteurs travaillent d’ailleurs actuellement sur une nouvelle BD qui prendra place dans une version fantastique de Paris. Mais Morgane et Diane m’ont laissé entendre qu’elles avaient des projets pour l’univers de La Valise. On attend donc de voir où ça va nous mener.
Corentin : En tout cas, ça fait envie. La Valise, de Gabriel Amalric, Morgane Schmitt Giordano et Diane Ranville, c’est publié chez Akileos et ça coûte 17 euros. Merci Thomas !
Thomas : A bientôt !
« La Valise » : un « one-shot » pas malle du tout
Derrière « La Valise », on trouve un jeune trio français qui a bien décidé de rompre avec les codes de la bande dessinée franco-belge traditionnelle. Thomas Hajdukowicz nous parle de ce « one shot » qu’il a particulièrement apprécié.
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