Corentin : Un des grands trucs d’une certaine classe intellectuelle, et ce depuis fort longtemps, consiste à opposer culture “noble” et culture populaire, la première devant avoir l’ascendant sur la seconde. De telles affirmations sont lourdes et graves, dans la mesure où cela revient à compartimenter la culture en fonction d’un bagage culturel, souvent conditionné par l’origine sociale de chacun. Heureusement, de nombreuses passerelles existent - depuis fort longtemps également - entre ces deux mondes supposément séparés. C’est de l’une d’entre elles que tu viens nous parler aujourd’hui, Thomas ?
Thomas : Bonjour Corentin. C’est bien d’un de ces échanges que je vais traiter aujourd’hui. Avec les sorties consécutives du deuxième et dernier volume de Mujirushi ou le signe des rêves, de Naoki Urasawa, et du premier volume de Les souris du Louvre, de Joris Chamblain, le musée du Louvre est à l’honneur dans la bande dessinée.
Corentin : Bon, on ne présente évidemment plus le Louvre, le plus grand musée d’art et d’antiquités du monde, situé à Paris, mais aussi à Lens et Abu Dhabi depuis peu. Mais pourquoi cet intérêt de la BD pour cette institution ?
Thomas : Au-delà de la BD, c’est vraiment toute la pop culture qui s’intéresse au Louvre. Ca passe évidemment par le détournement des oeuvres que l’on peut y trouver, notamment la Joconde qui a été mise en scène un nombre invraisemblable de fois au cinéma, dans la musique, dans la BD ou encore dans l’art contemporain.
Mais ça passe aussi par la réappropriation du lieu en lui-même. Initialement, c’était un palais royal, qui pendant la Révolution Française, a été transformé en musée. Aujourd’hui, parce qu’il abrite une part de savoir, d’art et de mystique du monde, il fait l’objet de nombreux fantasmes, dans le Da Vinci Code, par exemple. Enfin, il reste un symbole de faste, comme le rappelle le clip Apeshit des Carters, à savoir Beyoncé et Jay-Z, tourné de nuit dans les salles du musée vidées de leur public.
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Corentin : Merci pour ce panorama, mais bon, tu viens parler BD, donc je répète ma question : comment le Louvre s’est fait une place dans la bande dessinée ?
Thomas : Parce que c’est un décor quand même assez fabuleux ! Et pour un art visuel comme la BD, c’est chouette. Dans la série plutôt problématique des Ultimates de Marvel, les Liberators, le groupe de supervilains de la BD, se réunissent sous la pyramide du Louvre, parce qu’on est à une époque où les positions de la France contre une guerre en Irak la classent de facto, dans l’esprit de Mark Millar, dans l’Axe du Mal. Et dans le très artistique Art Ops, la Joconde se fait la malle pour échapper des kidnappeurs.
Corentin : Ca c’est pour le Louvre dans la BD anglo-saxonne, mais quid des titres par chez nous ?
Thomas : Evidemment, le musée a été dessiné et mis en scène depuis fort longtemps. On le retrouve dans des BD jeunesse comme dans Marion Duval, ou plus adulte, chez Tardi notamment. Mais c’est à partir de 2005 que le 9e art s’est emparé, sur invitation du Louvre, justement, de ce sujet pleinement.
Cette année-là, le musée invite des dessinateurs et scénaristes de BD dans ses murs, en collaboration avec l’éditeur Futuropolis. Le premier ouvrage à naître de ces échanges est Période Glaciaire, de Nicolas de Crécy. Dans un futur lointain où la glace a recouvert la planète, une expédition scientifique découvre le Louvre. Un échange sur la question de la culture prend alors place.
Comme l’expérience fonctionne, la collaboration entre Futuropolis et le Louvre se poursuit, avec des auteurs comme Enki Bilal, Etienne Davodeau ou Florent Chavouet. En 2009, le musée organise même une exposition dédiée à la BD. Fabrice Douar, responsable éditorial du Louvre et architecte de ces échanges avec le neuvième art, explique son point de vue à l’agence Associated Press cette même année :
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On est dans un échange entre un auteur et un lecteur, comme toute forme d’art : un échange entre une création et son public. Donc la bande dessinée n’est pas que rigolote ou de divertissement, et le musée du Louvre n’est pas forcément poussiéreux et ennuyeux.
Corentin : On comprend qu’en passant par la BD, le Louvre veut effectivement dépoussiérer son image. Mais est-ce que ça marche ?
Thomas : De l’aveu de Fabrice Douar lui-même, c’est difficile à dire, puisqu’il n’existe pas de moyen de mesurer quelle part du public vient grâce à ces BDs plutôt que parce que le Louvre jouit déjà d’une réputation internationale. Cependant, quand le musée a organisé une exposition en collaboration avec Enki Bilal, de nombreux visiteurs se sont déplacés spécifiquement pour l’événement.
Corentin : On compte combien de titres aujourd’hui dans cette collection ?
Thomas : Le partenariat s’est étendu avec le temps à d’autres maisons d’édition, notamment Delcourt pour des titres plus axés jeunesse. Au total, c’est une petite vingtaine de titres dans des styles très différents qui constituent la bédéthèque officielle du Louvre.
Corentin : Et du coup, où se positionne la BD asiatique ? Tu as parlé de Naoki Urasawa en introduction, il me semble.
Thomas : Oui, et cela a toujours lieu dans le cadre du partenariat entre le Louvre et Futuropolis. En plus de Urasawa qui nous raconte un drame familial se transformant en comédie de braquage, d’autres mangakas se sont prêtés au jeu. Hirohiko Araki, créateur de la série de manga JoJo’s Bizarre Adventure, met son style si particulier au service d’une enquête mystique dans Rohan au Louvre. Jiro Taniguchi quant à lui préfère un voyage introspectif dans Les Gardiens du Louvre. Et Taiyo Matsumoto, qui aura droit à une rétrospective lors de la prochaine édition du festival d’Angoulême, explore les allées du musée de façon onirique avec Les chats du Louvre. Avec un lieu aussi riche, on peut finalement raconter toutes sortes d’histoires.
D’autres artistes asiatiques se sont emparés du sujet, notamment des dessinateurs taïwanais dans l’anthologie Les Rêveurs du Louvre.
Corentin : Merci Thomas pour ce panorama du Louvre dans la BD, en espérant que cela aura éveillé la curiosité de certaines et certains, et à bientôt.
Thomas : A bientôt !
Quand la BD offre au Louvre une belle exposition
Le musée du Louvre est iconique dans la culture. Films, livres, clips… Nombreuses sont les œuvres qui évoquent où montrent l’un des musées les plus célèbres au monde. Mais la BD n’est pas en reste ! C’est en tout cas ce que nous démontrera l’ami Thomas Hajdukowicz.
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