Corentin : Bon, ça fait un moment qu’on n’a pas eu de chronique sur de la bande dessinée européenne, t’aurais pas quelque chose pour dépanner, Thomas ?
Thomas : Bah, j’ai bien quelque chose, mais ça va tourner autour de mes obsessions, et tu vas encore dire que j’en ai déjà parlé…
Corentin : Bon ben foutu pour foutu, allons-y. Qu’as-tu à me proposer ?
Thomas : Eh bien il s’agit d’une bande dessinée historique…
Corentin : ...ooooook…
Thomas : …une BD historique, donc, qui parle de la Révolution française…
Corentin : …OOOOOOOOOOK…
Thomas : …une BD sur la Révolution française, vécue du point de vue du peuple…
Corentin : Oui, bon, en fait, tu nous as déjà pondu un truc comme ça, Thomas. Je suis sûr que si on assemble des morceaux de tes chroniques BD et histoire, on arrivera à quelque chose de semblable. Et puis tu veux pas nous parsemer tout ça d’une recette de poularde à la Louis XVI, tant qu’on y est ?
Thomas : Je vais pas te contredire sur la plupart des points que tu avances. J’ai compté, jusqu’ici, on a parlé à 6 reprises de la Révolution française dans les Croissants (et deux fois sur trois, c’était bibi derrière le micro). Mais si on la connaît dans les grandes lignes, cette Révolution avec un R majuscule, on en a une connaissance finalement assez floue.
Et puis je continue d’en parler parce qu’il y a des milliers d’angles différents à partir desquels on peut appréhender cet événement. Tu peux par exemple faire comme le service public, qui a embauché des animateurs franchement royalistes pour ressasser des clichés éculés à une heure de grande écoute... Ou tu peux faire autre chose. Donc voilà, la BD dont je vais parler aborde cette période historique différemment, en sortant des images d’Epinal, mais en maintenant quand même de grands repères historiques, histoire qu’on soit pas complètement perdus.
Corentin : OK OK OK, je m’incline Samuel Laurent. Bon, comment elle s’appelle, cette BD ?
Thomas : La série s’appelle Révolution, tout simplement, écrit et dessiné par Florent Grouazel et Younn Locard. Et si je parle de série, c’est parce que cette BD fleuve est prévue pour s’étaler sur 3 volumes, qui représenteront au total plus d’un millier de pages. Pour l’instant, seul le premier tome, intitulé “Liberté”, est disponible. Il est le fruit d’un travail de recherche et de composition de près de 5 ans de la part de ses auteurs.
Corentin : 1000 pages pour couvrir la Révolution… J’espère que tu es content de toi !
Thomas : Ben tu sais, il en faut pas moins, en fait. Je me répète, mais ce moment qui dure grosso modo une dizaine d’année, est l’un des plus importants de l’histoire de Franfe, voire d’Europe. Il faut donc bien 1000 pages pour couvrir la période qui va de 1789 à 1794.
[01 - revolution francaise musical 01.wav]
C’est un extrait de l’opéra rock La Révolution Française, monté pour la première fois en 1973. C’est ce qui va servir de fil rouge musical dans notre chronique. Là, on avait un Alain Bashung tout minot âgé de 26 ans, qui joue le rôle de Robespierre.
Corentin : Alors, sympa la musique, hein, mais excuse-moi de revenir sur ce que tu as dit : la Révolution, elle dure environ 10 ans, et tu dis que la BD va couvrir une période allant de 1789 à 1794. Je suis pas super fort en maths, mais d’après mes calculs, ça fait pas du tout 10 ans, cette histoire. Une explication ?
Thomas : C’est bien simple. Le premier volume, celui dont je vais enfin parler d’ici peu, s’intitule Liberté, pour souligner le sentiment qu’a eu le peuple de Paris dans les premiers mois de la Révolution. Le deuxième sortira sous le titre d’Egalité, parce qu’à partir de la deuxième moitié 1789, l’Assemblée pose les bases d’une société plus égalitaire, notamment avec l’abolition des privilèges. Et le troisième et dernier volume aura aura pour titre...
Corentin : JE SAIS ! JE SAIS ! FRATERNITÉ !
Thomas : Raté. Il s’appellera Ou la mort, en rappel du fameux slogan révolutionnaire “la liberté ou la mort”. Il y a des chance pour qu’il aborde la période délicate de la Terreur, qui dure jusqu’à la chute de Robespierre, pendant l’été 1794. Voilà comment je fais mon calcul. Satisfait ?
Corentin : Oui, plutôt, oui. Donc ce premier volume parle des premiers temps de la Révolution. C’est à dire ?
Thomas : Très concrètement, ça commence avec un épisode finalement peu connu, précurseur de la Révolution, l’affaire Réveillon qui a lieu entre les 26 et 28 avril 1789, et il se termine avec le vote des lois martiales par l’Assemblée, fin octobre 1789, qui font suite à la marche des femmes dont j’avais parlé dans une chronique précédente.
[02 - revolution francaise musical 02.wav]
C’est un nouvel extrait de l’opéra rock La Révolution Française, bien nommé Ca ira, ça ira, qui évoque cette marche des femmes et le retour de Louis XVI à Paris.
Les 300 et quelques premières pages de la saga se déroulent donc en tout et pour tout sur 6 mois. C’est dire l’importance de ce moment fondateur.
Corentin : Du coup, j’imagine que l’on va y croiser les figures de ce début de Révolution, comme La Fayette ou Mirabeau ? Ou même la famille royale ?
Thomas : Alors ces personnages historiques sont bien présents. Mais seulement en filigrane, par des mentions ou des apparitions furtives. Les protagonistes du récit sont à niveau humain. On les compte sur les doigts de la main. On a Abel de Kervélégan, frère jumeau fictif d’un véritable député de l’Assemblée constituante. Il est issu de la petite noblesse, et peu intéressé par les affaires du monde jusque-là, il vient à Paris pour s’éloigner de son Finistère natal et oublier une peine de coeur. On a Jérôme Laigret, pamphlétaire fervent défenseur de la noblesse et de ce qui sera bientôt Ancien régime. Il écrit sous le nom du Lys Ardent, et il est convaincu qu’un complot pour détruire la monarchie est en cours. Et surtout on a Louise, jeune femme du peuple de Paris, qui se retrouve impliquée dans les différents événements révolutionnaires contre son gré.
Corentin : Ah bah puisque tu en parles, si les grandes figures de la Révolution ne sont pas spécialement au coeur du récit, j’imagine qu’on assiste à deux-trois trucs intéressants comme la prise de la Bastille, l’abolition des privilèges ou la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Thomas : En partie, oui. Tout au long du récit on voyage entre Paris et Versailles, entre le peuple parisien et la vie des États Généraux qui vont devenir l’Assemblée nationale. Mais on reste à vue humaine, là encore. On est pris dans la cohue de la foule pendant la prise de la Bastille, on fait un tour à l’asile des femmes de la Salpêtrière, puis on se retrouve dans les rues boueuses parisiennes, avant de visiter un grand salon bourgeois…
Dans ce fouilli, quelques belles planches sur deux pages dépeignent des vues d’oiseau de la Bastille prise d’assaut, de Paris et de son mur d’octroi ou encore une allégorie de la Révolution naissante. Mais très vite on est ramené à terre, là où l’action se passe.
Corentin : Ah bah tiens, puisque tu parles de belles planches, stylistiquement, ça donne quoi ?
Thomas : C’est pas mal joli. On est dans un travail à quatre mains. Parce que si Graouzel et Locard ont effectué les recherches pour le scénario ensemble, ils ont également dessiné ensemble. On a donc un léger mélange des genres, avec tant de la plume que du pinceau, et parfois ce qui ressemble à des gravures à l’eau-forte. Le tout est très détaillé pour plus d’immersion. Les auteurs ont également fait le choix de couleurs… disons délavées, qui donnent un cachet supplémentaire à l’ouvrage. Par ces choix artistiques, on plonge dans les pages. On peut presque sentir la chaleur des mois d’été 1789 sur notre peau, les odeurs très variées et pas toujours appétissantes de la rue et le brouhaha ambiant.
Corentin : Tu ne taris pas d’éloge à l’égard de ce premier Révolution, il y a bien des choses qui t’ont dérangé, quand même, non ?
Thomas : Moui… Bon, même si les auteurs ont fait tout leur possible pour rendre leurs personnages réalistes, ils ne peuvent pas s’empêcher de parfois les romanticiser un peu trop. En fait, on tombe un peu dans les mêmes travers qu’une série comme Rome, que j’adore au demeurant. Rome se présentait comme l’anti-Gladiator dans sa représentation de la Rome antique. Donc dans les décors et la reconstitution, on était vraiment au top.
Par contre, pour les ressorts narratifs, les scénaristes n’ont pas pu s’empêcher de faire coïncider la petite et la grande histoire, faisant de personnages de fiction les déclencheurs plus ou moins volontaires des grands événements de la fin de la République romaine. Avec ce premier tome de Révolution, on est un peu là-dedans (sans non plus tomber dans l’excès, hein, faut pas exagérer), ce qui pourrait être dommageable si on est tatillon. Et puis le personnage de Laigret peut sembler un peu trop caricatural pour qui ne sait pas que pendant cette période de liberté, des pamphlétaires un poil illuminés se sont mis à publier une quantité invraisemblable de feuillets en tous genres.
Mais dans l’ensemble, c’est un travail très solide, et passionnant, qui ravira toute personne qui veut voir la Révolution sous un angle un peu différent de ce que à quoi on a droit d’habitude.
Corentin : On a bien compris que c’était le premier tome d’une trilogie. A-t-on déjà une date pour les prochains ?
Thomas : Hélas, à l’heure où nous enregistrons la chronique, non. La seule chose que j’espère, c’est que nous n’ayons pas à attendre 5 ans de plus. On peut imaginer que le gros du travail de recherche et d’écriture scénaristique a été fait. Donc il ne “reste” plus que le dessin à faire. Mais ça aussi, ça peut prendre du temps, surtout quand on doit livrer 350 pages.
Corentin : Bon, dans tous les cas, tu nous recommandes cette série Révolution, dont le premier volume s’intitule Liberté. C’est de Florent Graouzel et Younn Locard, c’est édité par Acte Sud dans la bien nommée collection de l’An 2, et ça coûte quand même 26 euros. A la prochaine !
« Révolution » : la liberté avant la mort
La Révolution française est une des périodes privilégiées par la bande dessinée européenne. Pourtant, son traitement est souvent léger ou trop romancé. Avec leur nouvelle série « Révolution », Florent Grouazel et Younn Locard veulent corriger le tir et rentrer au cœur de cet épisode historique majeur. Et évidemment, Thomas Hajdukowicz, passionné par cet événement, est là pour nous parler de cette œuvre.
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