Corentin : C’est bientôt Noël, et même si vous avez encore un peu de temps devant vous pour les cadeaux, vous galérez pour votre secret Santa. D’autant plus que cette année, vous avez tiré au sort cette grande-tante que vous ne voyez qu’une fois tous les deux ans, lors des fêtes de Noël, justement. Heureusement, Thomas a une solution toute trouvée, grâce au super-pouvoir de la BD. Bonjour Thomas !
Thomas : Salut Corentin ! Eh oui, heureusement que dans ces circonstances nous sommes bien pourvus en maisons d’édition de BD francophones, avec une pelleté de héros et héroïnes qui raviront petits et grands. Et cette année, celui qui va ravir nos coeurs, c’est le cowboy qui tire plus vite que son ombre, j’ai nommé, Corentin…
Corentin : Lucky Luke, évidemment !
Thomas : Eh oui, le seul, l’unique, Lucky Luke. Le 2 novembre 2018 est sorti sa 122e aventure officielle, Un Cowboy à Paris. Elle est écrite par Jul, scénariste officiel de la série depuis 2016, et dessinée par Achdé, qui a pris la relève de l’auteur et dessinateur historique Morris, après la mort de ce dernier en 2001.
Corentin : Le titre est accrocheur ! Luc le chanceux tente sa chance à la capitale ? Comment s’est-il retrouvé par chez nous ?
Thomas : Par un heureux coup du sort, évidemment. La série commence comme elle se finit d’habitude : Lucky Luke escorte les Dalton, qu’il a capturé une énième fois, dans une prison haute sécurité. On s’attend à un couché de soleil, et Jolly Jumper déclare même que son moment préféré, c’est quand lui et son cavalier s’éloignent à l’horizon au son d’une chanson désormais célèbre :
[01 - poor lonesome cowboy.mp3]
Sauf que, parce que bon, on en est qu’à la 3e ou 4e page de l’album, quand même, leur retraite vers d’autres contrées est interrompue par des cris à l’aide. Un petit bonhomme barbu est retenu captif par des amérindiens. Il est attaché à ce que le cowboy et son destrier prennent pour une enseigne de glaces à l’italienne. Il s’agit d’Auguste Bartholdi, célèbre sculpteur français, venu promouvoir sa nouvelle création : la Liberté éclairant le monde, qui n’est autre que le nom initial donné à la Statue de la Liberté ! Et ce qu’ils prennaient pour une enseigne de glace est en fait la main brandissant la torche.
Après des pourparlers, Bartholdi est libéré, et propose à Lucky Luke de l’escorter à travers les Etats-Unis, alors qu’il lève des fonds pour financer le socle de la future statue qu’il compte offrir au pays. Bartholdi est menacé par un directeur de prison nommé Locker qui souhaite construire sur Bedloe’s Island, au large de New York, un nouvel établissement pénitentiaire. Il se dispute cette place avec le sculpteur, qui y verrait bien sa sculpture. Vous l’avez deviné : Bedloe’s Island deviendra Liberty Island, siège de la Statue de la Liberté.
Corentin : OK, mais ça se passe aux Etats-Unis, tout ça, pour l’instant.
Thomas : Patience ! Oui, ça se passe aux Etats-Unis, mais bien rapidement, le vice-président américain demande au cowboy d’accompagner le sculpteur dans son pays d’origine, craignant qu’il ne soit attaqué sur le chemin. C’est ainsi que Lucky Luke et son cheval Joli Jean-Pierre (véridique) quitte pour la première fois le continent américain pour l’Europe, et vont fouler le sol hexagonal et à arpenter les avenues du Paris haussmannien du début de la IIIe République.
Corentin : Et est-ce que c’est bien, du coup ? Parce que dans mon souvenir, La Terre Promise, le premier Lucky Luke scénarisé par Jul, avait été accueilli un peu froidement.
Thomas : Il a quand même connu un tirage initial de 500 000 exemplaires, ce qui n’est pas donné à toutes les BDs, loin de là ! Avec plus de 270 000 ventes sur les deux seuls mois de novembre et décembre 2016, il s’est hissé à la deuxième place du classement des ventes en France cette année là. Donc ça n’est pas vraiment un flop.
Et du coup, Jul et Achdé remettent le couvert. Côté dessin, Achdé exécute comme toujours un trait parfait, très similaire à celui de Morris. Rien à redire de ce côté là, la reproduction du Paris de la Belle Epoque correspond à ce que l’on attend, et on croise des figures de l’époque : Gustave Eiffel, Victor Hugo ou encore Verlaine et Rimbaud. Et dans le trajet qui conduit le cowboy de la Normandie où il a débarqué - tiens tiens - il rencontre un certain Charles Bovary accompagné de sa charmante épouse, Emma.
Corentin : Ah oui, ça name-droppe et ça fait des petites blagues littéraires à tous les coins de case, à ce que je vois !
Thomas : Oui, en cela, Jul se place dans la lignée de Goscinny, qui a longtemps co-scénarisé la série avec Morris. On a droit à une multitude de références à l’histoire de France (Jul est titulaire de l’agrégation d’histoire, après tout), à son futur (Bartholdi se demande bien à quoi a servie le pavage des rues entourant la Sorbonne), à ses clichés (avec des serveurs parisiens sympathiques et des cheminots en grève pour la semaine des 50 heures) et à l’actualité (Locker symbolise les velléités isolationnistes d’un certain président des Etats-Unis actuel, appelant jusqu’à construire un mur à la frontière américano-mexicaine). Des références à la pop culture actuelle sont disséminées un peu partout également, avec une chorale de prisonniers entonnant “Libéré, délivré”, ou encore un ouvrage sur les pénitenciers intitulé “50 nuances de grilles”.
Jul se permet également du méta, en invoquant la mythologie liée à Lucky Luke. Là, un personnage signalera que la pièce d’identité tendue par Lucky Luke doit être ancienne puisqu’on le voit en train de fumer une cigarette. Ou ici, une Française demandera au cowboy s’il est belge, puisque son accoutrement noir, jaune et rouge reprend les couleurs du drapeau du plat pays, d’où vient Morris. Plus largement, on y trouve moult références à la BD franco-belge, avec un capitaine de bateau qui jure “Mille milliards de mille sabords !” ou un cheval de course nommé “Yakari du Lombard”.
De fait, Jul se place dans la politique éditoriale de Dargaud qui essaye de dépoussiérer ses séries historiques depuis quelques années. Ainsi, en 2016, puis en 2017, l’éditeur avait commandé des albums one-shot aux auteurs Mathieu Bonhomme et Guillaume Bouzard. En ont résulté deux titres, L’homme qui tua Lucky Luke, et Jolly Jumper ne répond plus, qui revisitent eux aussi la série en offrant un ton plus décalé et un dessin très différent de la ligne claire de Morris et Achdé.
Corentin : Du coup, bien ou pas d’offrir Un Cowboy à Paris à sa grande-tante pour le secret Santa ? Parce que pour moi, c’est soit ça, soit un lot de bougies parfum “pot pourri”...
Thomas : Je te donne tout de même mon go pour lui offrir le Lucky Luke. Parce que ça parlera à tout le monde : on sourit, l’humour est globalement compréhensible par tous, et point bonus pour moi, on y invoque de l’histoire. On n’est pas non plus dans des classiques comme La Diligence ou Le Pied-tendre, mais ça reste bien meilleur que les albums scénarisés par Laurent Gerra. En plus, les bougies “pot pourri”, ça sent pas très bon…
Corentin : Bon, eh bien Un Cowboy à Paris, de Jul et Achdé, c’est validé par Thomas des Croissants. Le volume est édité par Dargaud dans la collection Lucky Comics, et il coûte 10€95. Merci Thomas !
Thomas : A bientôt !
« Un cow-boy à Paris » : Lucky Luke s’aventure de l’autre côté de l’océan
Jul et Achdé sont de nouveau à la barre d’un nouvel album de Lucky Luke avec « Un cow-boy à Paris ». Dans ce nouvel opus, vous l’aurez compris, le tireur le plus rapide de l’Ouest se retrouve dans la capitale en pleine Belle Époque. Thomas Hajdukowicz est plutôt convaincu et nous en parle.
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