C : Après l’échec de The Sea of Trees, qui a déchiré la critique et les spectateurs, le réalisateur américain Gus Van Sant était attendu au tournant. Le 4 avril, il est revenu avec Don’t Worry, He Won’t Get Far on Foot, un biopic consacré au dessinateur de presse américain John Callahan, connu pour son humour très (très) noir, et le fait qu’il était tétraplégique. Morgane Giuliani a vu le film pour nous, bonjour Morgane !
M : Bonjour Corentin ! Don’t Worry, He Won’t Get Far on Foot se concentre sur une période précise de la vie de John Callahan : de l’accident de voiture qui l’a rendu tétraplégique, à l’âge de 21 ans, jusqu’aux années suivantes, lorsqu’il s’inscrit aux Alcooliques Anonymes. C’est aussi pendant cette période qu’il découvre l’art de la caricature, qui devient un vrai exutoire. Et c’est Joaquin Phoenix qui l’incarne.
[EXTRAIT]
C : Le film ne parle pas tant des talents de caricaturiste de John Callahan ou de son handicap, mais de sa lutte contre l’alcoolisme.
M : Rassurez-vous : on voit beaucoup de dessins de Callahan, qui prennent tout l’écran et sont animés. Vous en avez peut-être déjà vu certains, ils sont réalisés au feutre noir, sur une feuille blanche. Les personnages sont grossiers et dessinés avec des traits tremblants, puisque Callahan devait tenir son feutre à 2 mains. Ses dessins traitent d’actualité, mais aussi, de handicap. Ils sont d’abord publiés dans des revues locales de Portland, dans le nord-ouest des États-Unis. Il finira par être internationalement connu pour son humour au vitriol, qui lui aura valu beaucoup de détracteurs. Il est mort en 2010 à l’âge de 59 ans, à cause de complications de santé.
[EXTRAIT 1]
C : Le pari de Gus Van Sant, c’est de montrer la naissance d’un artiste, alors qu’il se bat contre un fardeau qu’il porte depuis ses 13 ans : l’alcoolisme.
M : Le début du film est terrible, puisqu’il s’attarde - peut-être un peu trop - sur la soirée de fête qui a laissé Callahan tétraplégique. Son arrivée à l’hôpital, et sa prise de conscience qu’il va rester handicapé à vie, est bouleversante. Il est placé sur une plateforme qui le maintient face au sol, et sa voix est brisée, presque inaudible, sous le choc de l’accident. Callahan vit dans un dénuement émotionnel total, aidé d’un assistant qui s’occupe de lui quand ça lui chante. Abandonné à la naissance par sa mère, celle-ci lui apparaît en vision et le supplie de se prendre en main. C’est là qu’il décide de passer la porte des Alcooliques Anonymes.
C : Malgré ce que laisse penser cette intro, le film n’est pas misérabiliste.
M : Il est dur, mais ne tombe pas dans le pathos. On voit Callahan suivre les 12 étapes des Alcooliques Anonymes, avec, forcément, beaucoup de difficultés. C’est une histoire de rédemption, de quête de sens, et de pardon, aux autres, mais aussi, à soi. Gus Van Sant maintient un très bon équilibre entre humour et drame.
EXTRAIT 2 baisser après 12 secondes puis laisser le son se terminer
M : Si l’ironie de Callahan lui permet de survivre, elle lui offre aussi une cachette confortable dont il doit s’extirper s’il veut espérer progresser. Mais si le film n’est pas misérabiliste, c’est aussi par sa mise en scène : Gus Van Sant filme essentiellement avec des plans ultra serrés sur les visages, ce qui met l’accent sur l’émotion. Il n’y a pas d’esthétisation de la souffrance. Le montage, signé Gus Van Sant, est très rapide, et la narration n’est pas chronologique ! Ça évite au film d’être plombant, et ça donne un vrai dynamisme. On fait des allers-retours dans la vie de Callahan, à mesure qu’il dénoue les fils de son mal-être. Tout au long du film, la prestation de Joaquin Phoenix est incroyable.
C : Gus Van Sant s’est offert un casting très classe.
M : On retrouve Joaquin Phoenix, donc, et Rooney Mara ! Elle joue Annuu, une aide psychologique suédoise qui aide Callahan à remonter la pente, et devient sa compagne. En ce moment, ils sont aussi à l’affiche de Marie-Madeleine, dont vous pouvez retrouver la chronique dans Le Brunch. Il y a Jack Black - eh oui, il existe encore - émouvant dans le rôle de l’homme perdu, à l’origine de l’accident qui rend John Callahan tétraplégique. On retrouve aussi Kim Gordon, de Sonic Youth et Beth Ditto, oui oui, la chanteuse de Gossip, dans le groupe des Alcooliques Anonymes. Enfin, Jonah Hill incarne Donnie, leur parrain aux Alcooliques Anonymes. L’acteur, qui s’est fait connaître il y a 10 ans avec la comédie pré-pubère Supergrave, continue sa progression vers un jeu de plus en plus intense et émouvant. Il avait aussi brillé en jeune trader fou dans Le Loup de Wall Street. Ici, son personnage est hilarant par sa fausse nonchalance bling-bling, et sa capacité à bousculer Callahan. Leur histoire d’amitié est profondément touchante.
[EXTRAIT 3]
C : Le personnage de Donnie est aussi à l’image de cette époque.
M : On est dans les années 70, c’est-à-dire : pantalons pattes d’éléphant, grosse barbe, col pelle à tarte, lunettes fumées, règne du disco et de la fête. Donnie est gay, s’amuse en club. L’ombre du SIDA plane sur le film, dans une Amérique post-guerre du Vietnam un peu sonnée, où l’homosexualité vit encore à la marge de la société.
C : C’est aussi l’histoire d’un film qui a failli ne jamais voir le jour.
M : À la base, c’est Robin Williams qui a l’idée de ce film, en 1994, et qui veut incarner Callahan, dont l’autobiographie l’a bouleversé. Il se tourne alors vers Gus Van Sant, qui lui avait donné le rôle principal de Will Hunting. Pendant des années, le réalisateur tente de vendre son scénario à des studios, sans succès. Aujourd’hui, il pense que Hollywood n’arrivait pas à imaginer Robin Williams, à l’époque essentiellement connu pour le stand-up et des rôles comiques, dans la peau de Callahan. L’acteur se suicide en 2014, et quelques temps après, Gus Van Sant a l’idée de proposer le rôle à Joaquin Phoenix. Et c’est finalement Amazon Studios qui met la main dessus, après que Sony ait jeté l’éponge. Ce film revient donc de très loin.
C : Don’t Worry, He Won’t Get Far On Foot, est en salles depuis le 4 avril. Merci Morgane Giuliani et à très vite !
Avec son biopic « Don’t Worry, He Won’t Get Far on Foot », Gus Van Sant fait autant rire que pleurer
Gus Van Sant retrace la vie du dessinateur tétraplégique John Callahan dans « Don’t Worry, He Won’t Get Far on Foot ». Morgane Giuliani nous révélera si elle a apprécié ce biopic doux-amer.
0:00
5:52
Vous êtes sur une page de podcast. En cas de difficulté pour écouter ce document sonore, vous pouvez consulter sa retranscription rapide ci-dessous.