Corentin : Après sa première sortie aux Etats-Unis le 15 août, et une date de sortie française initiale calée au 10 octobre mais repoussée, le film Crazy Rich Asians,de John Chu, est enfin disponible sur nos écrans depuis le 7 novembre. Et ça, ça te rend content, Thomas. Pourquoi donc ?
Thomas : Salut Corentin. Ca me rend content pour plein de raisons, mais surtout parce que j’ai lu les livres dont est adapté le film, Crazy Rich Asians (ou Crazy Rich à Singapour chez nous), de l’auteur singapourien Kevin Kwan.
Corentin : Bon, j’imagine que tu vas revenir plus précisément sur les différentes raisons pour lesquelles tu attendais ce film, mais commençons par le plus simple : de quoi parle Crazy Rich Asians ?
Thomas : On suit Rachel Chu, une jeune professeure d’économie, spécialisée dans la théorie des jeux, à la New York University. Rachel est une ABC, une American Born Chinese, beaucoup plus imprégnée de culture américaine que chinoise. Elle sort avec Nick Young. Ce dernier veut lui présenter sa famille, à Singapour, où il doit se rendre pour le mariage de son meilleur ami. Sauf que ce que Nick ne dit pas à Rachel, c’est que sa famille est riche. Très riche. Riche comme on ne l’imagine même pas.
[01 - trailer CRA.mp3]
Ton copain Nick, c’est Nick Young ? Vous connaissez sa famille ? Euh… allo ! C’est juste les plus gros promoteurs de tout Singapour. Ces gens sont pas juste riches, ils sont pétés de thunes. T’aurais dû me dire que t’étais genre le Prince William de l’Asie. N’importe quoi. Je serais plutôt Harry.
Et les très très riches, on peut s’y attendre, ont des passe-temps et des codes sociaux dont nous, pauvres prolétaires, sommes complètement étrangers. Rachel va donc vivre un double rejet : en tant qu’Américaine, et en tant que femme issue d’une famille pauvre.
Car à l’exception d’une poignée de personnages qui vont la soutenir, Rachel est globalement rejetée à Singapour. Elle est rejetée par la famille de Nick, en particulier sa mère, Eleanor, pour qui elle n’est pas assez bien…
Corentin : J’imagine qu’il faut comprendre par-là que c’est parce qu’elle ne vient pas d’une extraction sociale très élevée.
Thomas : C’est cela même. Elle est rejetée par la plupart des proches de Nick parce qu’elle n’a pas leurs codes. Et elle est rejetée par toutes les femmes de la haute société singapourienne, puisqu’elles la voient comme une voleuse d’homme, une croqueuse de diamants, en couple avec Nick uniquement pour son argent.
Corentin : La visite à la famille semble effectivement quelque peu mouvementée. Et du coup, qu’est-ce que tu retiens du film ?
Thomas : Globalement, c’est une bonne comédie romantique. Il y a de la romance, du drame, une scène de montage avec essayage de tenues, une meilleure amie rigolote - interprétée par la géniale Awkwafina (faudra que je fasse une chronique sur elle, un jour, tiens)... Tous les codes sont là, pas de problème.
D’ailleurs, les chiffres parlent pour le film, puisqu’en octobre 2018, le film générait un box office de 235 millions de dollars, faisant de Crazy Rich Asians, la comédie romantique la plus rentable des années 2010 pour l’instant.
Corentin : Mais y’a pas d’autres trucs qui rendent le film si spécifique ? La localisation par exemple, je sais pas…
Thomas : Ah bah oui, évidemment ! Crazy Rich Asians, c’est l’occasion d’en apprendre un peu plus sur Singapour qui, bien que située à la pointe Sud de la péninsule malaisienne, est peuplée aux trois-quart de personnes d’origine chinoise. Cette implantation s’est faite au cours du XIXe siècle, les immigrés chinois transformant la jungle en une ville portuaire internationale. Aujourd’hui, ces vieilles familles chinoises - dont vient Nick - constituent l’aristocratie singapourienne. En outre, le film montre à de nombreuses reprises des scènes de bouffe, et ça, j’aime bien.
[02 - material girl.mp3]
Il s’agit d’une reprise de Material Girl, de Madonna, en cantonais, par la chanteuse Sally Yeh. On retrouve évidemment ce morceau sur la bande son du film.
Corentin : Alors c’est très bien les chiffres à la Laurent Weil et les explications National Geographic, mais je pensais plutôt à autre chose… Par rapport au casting, par exemple, je sais pas…
Thomas : Je vois de quoi tu parles. Car une des autres raisons pour lesquelles j’attendais ce film, c’est parce qu’il s’agit de la première grosse production hollywoodienne depuis 25 ans à avoir un casting essentiellement asiatique. Le rôle de Rachel est tenu par Constance Wu que vous avez peut-être vu dans la série Fresh off the boat. Nick est interprété par Henry Golding, Eleanor est jouée par l’incroyable Michelle Yeoh… Et une foule de personnages secondaires sont habités par des acteurs et actrices peut-être un peu moins connus mais qui, je l’espère, connaîtront davantage le succès après ce film.
Corentin : Attends, c’est pas comme si les films avec les asiatiques n’existaient pas ! Les films japonais, coréen, chinois ou indiens sont diffusés et ont du succès chez nous, quand même.
Thomas : Oui, mais c’est pas pareil. Ce dont tu parles, c’est d’un cinéma donné, avec des actrices et acteurs d’un pays donné. Normal d’avoir des interprètes japonais dans un film de Naomi Kawase ou coréens dans un film de Park Chan-wook. Mais ils ne reflètent pas la réalité des asiatiques du reste du monde. Le personnage de Rachel est à plusieurs reprises appelée “banane” : jaune à l’extérieur, blanche à l’intérieur. Ce sentiment de tiraillement entre deux identités culturelles n’est pas vraiment raconté dans le cinéma d’Asie et touche pourtant beaucoup de personnes. Crazy Rich Asians sort aussi du lot ainsi.
Corentin : C’est vrai que j’ai beau chercher, citer une dizaine de noms d’actrices et d’acteurs américains ou européens d’origine asiatique, comme ça, au débotté, c’est pas simple. On sait pourquoi ?
Thomas : Eh bien il y a une grosse raison, que l’on n’aime pas et qu’il faut pourtant nommer : le racisme. A partir de 1930, Hollywood est régi par le code Hays. Ce code stipule entre autres qu’on ne peut représenter à l’écran des relations amoureuses entre une personne blanche et une autre d’une autre couleur. Ca a grandement invisibilisé les actrices et acteurs asiatiques américains. Si le code a été aboli en 1968, le mal est fait. Le whitewashing de personnages d’origine asiatique reste d’ailleurs une pratique à Hollywood, avec Tilda Swinton dans Dr Strange ou encore Scarlett Johansson dans Ghost in the Shell. Crazy Rich Asians s’est fait dans ce contexte, peut-être en réaction à cela.
Corentin : Faut-il voir Crazy Rich Asians comme un comme le Black Panther des asiatiques d’Amérique du Nord et d’Europe ?
Thomas : Non, car, et c’est la grosse critique que j’ai à faire au film - et aux livres de Kevin Kwan par ailleurs - Crazy Rich Asians parle d’une frange extrêmement minime des chinois de Singapour. On est dans la société des milliardaires, un monde incongru qu’on n’imagine même pas. Les réalités décrites nous échappe complètement. On voit peu ou pas la vie des singapouriennes et singapouriens, et des autres minorités malaisiennes ou indiennes qui peuplent également la cité-Etat. Tout est focalisé sur les asiatiques pétés de thunes. Certes, c’est le prétexte du film, mais on aurait voulu voir un peu plus des réalités de cette mégalopole que l’on connaît finalement très mal de ce côté du globe.
Corentin : Oui, c’est sûr, ça m’avait fait la même avec Gossip Girl en son temps. Mais du coup, Crazy Rich Asians, tu valides ou pas ?
Thomas : Je valide, parce que ça reste une comédie romantique très correcte, et parce que j’espère que ça va envoyer les bons signaux à Hollywood.
Corentin : Crazy Rich Asians est en salles depuis le 7 novembre, c’est validé par Thomas, donc allez le voir ! A bientôt !
Thomas : A bientôt !
« Crazy Rich Asians » : les communautés asiatiques enfin à l’honneur
C’est une comédie romantique américaine comme on en voit beaucoup au cinéma. Mais la particularité de « Crazy Rich Asians », c’est que l’immense majorité de la distribution est composée d’acteurs et d’actrices d’origine asiatique. L’ami Thomas Hajdukowicz avait très envie de le voir et il nous dit ce qu’il en pense !
0:00
6:54
Vous êtes sur une page de podcast. En cas de difficulté pour écouter ce document sonore, vous pouvez consulter sa retranscription rapide ci-dessous.