Corentin : Il y a quelques semaines, Angèle Chatelier nous avait fait une longue chronique pour dire que NON ! les comédies musicales, ce n’est pas ringard ! Dedans, elle avait évoqué les prémisses du cinéma sonore. Mais autant se pencher dessus pendant une chronique consacrée plutôt que d’effleurer son histoire.
Angèle : Et il faut effectivement Corentin, parler de cinéma sonore et non pas de cinéma parlant. Car la musique est un élément essentiel dans l’histoire du cinéma.
Alors, le but de cette chronique n’est pas de vous abreuvoir de connaissances à la Wikipédia mais plutôt de se souvenir, en musique et en extrait de ce qui fait le cinéma tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Avant de parler de cinéma sonore, ou cinéma parlant, c’est bien évidemment les films muets qui ont fait la part belle du cinéma, à ses débuts.
C : Des « moments filmés », devrait-on dire car chacun ne durait pas plus d’une minute
A : Les 70 premiers films des premiers réalisateurs de l’histoire du cinéma, Thomas Edison et William Kennedy Laurie Dickson duraient 30, 40, 60 secondes.
Nous étions entre 1891 et 1895
C : Chaque moment était filmé avec un Kinétographe.
A : Je vous passe les détails techniques mais pendant cette période, Edison et Dickson bidouillent, perforent des pellicules, testent et s’arrachent les cheveux pour réussir à produire une image avec cet outil qu’ils ont créés.
C : Ce sont les frères Lumière qui ont, ensuite, utilisés le Cinématographe.
A : C’est en gros, un allongement du procédé du Kinétographe, dont les Frères Lumière étaient un peu jaloux.
C : Sauf que le souci, c’est qu’aucun son n’est encore possible
A : A l’ère du cinéma muet, vous le savez, ce sont des orchestres, des bruiteurs ou bien des /// qui font les dialogues, les bruits ou la musique de chaque film diffusé en salle.
Sauf que c’est aussi à Edison et Dickson que l’on doit l’arrivée du son au cinéma. Thomas Edison avait déjà créé le phonographe, un outil qui permettait d’enregistrer la musique. Avec son kinétographe et son phonographe accouplés, il pouvait alors enregistrer simultanément un artiste jouer, par exemple.
C : C’est ce qu’il s’est passé avec le premier film sonore Dickson Experimental Sound Film (EXTRAIT 1)
A : Ce que vous entendez là, c’est un violoniste qui joue près d’un phonographe, lancé en même temps que le kinétographe. Nous sommes en 1895.
C : Sauf que les recherches stagnent un peu, il faut faire du chiffre et personne ne s’intéresse encore réellement au son au cinéma.
A : C’est une femme, la Française Alice Guy, qui va changer la donne.
Elle est l’inventrice de ce qui aide aujourd’hui Britney Spears ou d’autres à pouvoir continuer leur carrière : le playback. Un artiste enregistrait d’abord sa chanson et la réalisatrice les filmaient ensuite se mettant en scène et faisant semblant d’être en live sur le titre. Ça donnait à peu près ça, au niveau du son (EXTRAIT 2)
Ce procédé, le phonoscène, a permis qu’aujourd’hui, nous aillons en héritage des prestations filmées de centaines d’artistes lyriques du début du 20ème siècle.
C : Ce n’est qu’en 1924 qu’a été créé le vitaphone.
A : Nous sommes donc, vous l’aurez compris, presque 30 ans après le premier film sonore de Dickson et Edison.
Attention, il va falloir être concentré pour comprendre ce qu’est le vitaphone. C’est bon Corentin, tu es avec moi ?
C : Ah oui oui !
A : Le vitaphone permet de coupler chaque galette de film de 10 minutes avec un disque gravé de 10 minutes et d’utiliser des phonographes pour accompagner chacun des deux appareils de projection installés dans les cabines des cinémas.
C : En gros, un système électrique permet de faire fonctionner ensemble une galette de film avec un disque et un phonographe
A : Exactement.
Sauf que c’est toujours le même problème : tout le monde s’en fout ! Enfin, personne ne veut investir dans le cinéma sonore tant les recherches dans ce domaine n’ont pas encore réellement abouties.
C : C’est Warner Bros le premier qui a fait ce pari
A : Oui, en 1926. Ils investissent tout leur capital dans l’acquisition des droits d’exploitation de ce procédé. Mieux encore, ils achètent un théâtre dans Manhattan. Ils le transforment en salle de cinéma et l’équipe du vitaphone.
C : Warner Bros produit alors un très très long-métrage musical, Don Juan
A : Avec le très célèbre alors comédien John Barrymore. Le film dure trois heures. Il n’y a pas de dialogue, mais le film regorge de musiques (EXTRAIT 3)
Mais si je vous fais écouter ça, vous l’avez peut-être déjà entendu (EXTRAIT 4)
C’est le premier film parlant : une scène dans la plantation. Celui que vous entendez-là, Al Jolson, chante cette berceuse mais, écoutez… (EXTRAIT 5)
… s’adresse aussi directement aux spectateurs. Il reprendra d’ailleurs cette phrase mythique dans le film Le Chanteur de jazz, produit par Warner Bros et aujourd’hui considéré comme étant à l’origine du cinéma sonore. A l’époque, il fait 3 millions de dollars de recettes rien que sur le seul sol américain.
C : Mais comme tout changement, l’avènement du cinéma sonore connaît son lot de polémiques et de problématiques
A : Le cinéma sonore est un enfant de l’Amérique, principalement. Les productions sont donc… en anglais. Lorsque les films parlants Américains ont commencé à franchir les frontières, ils se sont heurtés à un problème : la barrière de la langue.
C : Autre problème et pas des moindres : le budget
A : Un film parlant, par ses prouesses techniques, coûte aussi un sacré paquet d’argent. Les sociétés de productions qui peuvent se permettrent d’investir dans de tels outils sont déjà de grosses majors : Warner Bros, Paramount Pictures, etc. Le début du cinéma sonore entraîne aussi alors l’effondrement des sociétés de productions indépendantes et plus petites.
C : Un fléau pour les musiciens qui jouaient apparemment par dessus les films, aussi
A : Selon la Fédération des musiciens américains, 22 000 emplois auraient été perdus entre 1926 et 1928. Mais le cinéma sonore a aussi augmenté la commande de bandes originales et fait émerger une centaine de compositeurs.
C : Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, sauf être un cinéphile averti, impossible ou presque d’aller voir un film nouveau sans qu’il soit sonore ou parlant.
A : Oui, mais souvenez-vous : le cinéma muet avait fait un revival inattendu dès 2010. Tout d’abord lorsque la Cinémathèque française a organisé cette exposition “Tournages : Paris Berlin Hollywood 1910-1939”. Elle célèbrait le cinéma muet international et mettait l’accent sur le rôle pionnier de l’Amérique dans ce domaine.
Au 21ème siècle, les réalisateurs font aussi du vintage
Utilisation de vieillles techniques de sons, de vieux outils ou clin d’oeils à des procédés de l’époque, beaucoup en font leur credo. Sauf que le point cullminant de ce revival arrive bien en 2011 avec la sortie de The Artist (EXTRAIT 6)
Le film de Michel Hazanavicius fait un carton : prix d’interprétation masculine aux Oscar pour Jean Dujardin, prix du meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure musique, meilleurs costumes et critiques élogieuses… Véritable coup marketing ou chef d’oeuvre - à chacun son opinion -, The Artist a voulu remettre au goût du jour le film muet.
C : Merci Angèle Chatelier pour ce sujet passionnant qui pourrait durer des heures. Des heures que nous n’avons pas malheureusement. A très vite,
Du phonographe à « The Artist » : l’histoire du cinéma sonore
Si le cinéma a souvent été accompagné de musiciens avant même qu’il ne prononce le moindre mot, l’arrivée du « parlant » a quand même drôlement changé la donne. Petit historique de cette immense avancée du septième art avec Angèle Chatelier.
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