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Les Croissants
Hollywood et CIA, attention liaison dangereuse
Corentin : Snowden, Les trois jours du Condor, Raison d’État, La Taupe, d’hier à aujourd’hui, les agences de renseignement et ses agents secrets assermentés n’ont cessé de nourrir l’imaginaire d’Hollywood et d’ailleurs. À ceci près qu’aux États-Unis, une cellule de la Central Intelligence Agency, la célèbre CIA, située à Langley en Virginie, est entièrement dédiée à nouer des liens avec Hollywood. Dans quel but ? Élodie Carcolse de la Réclame va nous compter une histoire faite d’ombres et de paillettes.
Élodie : En effet Corentin, vous ne la connaissez peut-être pas, mais la Entertainment Industry Liaison est une division de la CIA exclusivement destinée à tisser des liens avec Hollywood, et ce depuis 1996, date de sa création. Si cette officialisation est récente, leur relation est consommée depuis les années 40. Un mélange des genres qui peut surprendre, mais qui n’a rien d’exceptionnel puisque le FBI a lui-même ouvert une division similaire dans les années 30, quand le Pentagone dispose d’un bureau de liaison créé il y a 70 ans de ça.
Corentin : La CIA opérait donc en sous-marin à l’époque avec le milieu hollywoodien avant d’institutionnaliser leurs rapports on va dire.
Élodie : En tout cas, il n’y a pas de véritables traces écrites…
Corentin : Le culte du secret !
Élodie : Toujours ! Dans le Vanity Fair du mois d’octobre, Philippe Vasset et Pierre Gastineau expliquent que la CIA travaille désormais de manière totalement décomplexée avec l’industrie cinématographique et revendique même son rôle, je cite, de “consultant technique”. Sur son site, sur une tonalité tout américaine, l’EIL lance cet appel : “Si vous faites partie du secteur du divertissement et travaillez sur un projet qui traite de la CIA, l’Agence pourra peut-être vous aider.”
Extrait : https://www.youtube.com/watch?v=-sT7_VO6VO4 >> de 0’04s à 0’12 “trompeuses”
Élodie : Ça c’est pour les agents de terrain, comme dans le film La Recrue. Avec Hollywood, Langley dit vouloir représenter fidèlement les hommes et les femmes de la CIA et donner une plus grande authenticité aux scripts ou projets en développement. Elle propose même de “démystifier les mythes”, d’autoriser certains tournages dans ses locaux et d’organiser des visites. En France, cela vient doucement, notamment depuis la série diffusée Le Bureau des Légendes du réalisateur Eric Rochant. Une série au réalisme si troublant que le nouveau boss de la DGSE fut bluffé par les décors reproduisant leurs bureaux. Un ancien membre du service, Yves Trotignon, parle d’une “série sous influence” dans son livre « Politique du secret : regards sur Le Bureau des légendes ».
Corentin : C’est vrai que c’est une question qu’on peut se poser, qui utilise l’autre ?
Élodie : En effet, d’autant qu’outre-Atlantique, les services américains multiplient leurs interventions dans le milieu du divertissement depuis des décennies. Depuis sa création en 1947, la CIA a participé à 60 émissions de cinéma et de télévision. Et a également oeuvré dans les années 40-50 pour empêcher les représentations de son existence, la rendant invisible dans la culture ciné et télévisuelle de l’époque, rapporte un article de The Independent. Une inexistence télévisuelle qui prend fin avec La mort aux trousses d’Alfred Hitchcock en 1959.
Entre 1911 et 2017, le département de la Défense a quant à lui donné son appui à plus de 800 longs métrages et 1 100 titres à la télévision. Des contenus aussi divers et surprenants que Transformers, Homeland, la série 24 heures chrono avec ce cher Jack Bauer, Iron Man ou encore Terminator.
Corentin : sans trop se tromper, la sécurité nationale américaine a largement influencé la culture cinématographique US. Pendant la guerre froide, la CIA se servait d’ailleurs du cinéma et de la télévision pour améliorer son image publique sur le plan intérieur, tout en faisant passer un message aux communistes vivants à l’étranger.
Élodie : Exactement ! Ce retournement de veste assumé s’opérera d’ailleurs moins dans un souci d’ouverture, que de réécriture. L’agence ayant mauvaise presse à l’époque, aussi bien dans l’opinion publique qu’au cinéma, notamment dans Les trois jours du condor avec Robert Redford et Faye Dunaway. Pour la CIA, c’est le début de sa démarche d’évangélisation, qui s’officialisera avec la création de l’entertainment industry liaison en 96. À partir de cette date, Langley rattrape le temps perdu en rencontrant des dirigeants de studios et des agents artistiques afin d’influencer leur perception de l’institution.
Des notes de service confidentielles publiées par la journaliste Tricia Jenkins dans son livre La CIA à Hollywood paru en 2016, ainsi que d’autres notes de service publiées en 2013 par plusieurs médias grands publics, indiquent que La Recrue ou Zero Dark Thirty ont été fortement influencée par des officiels du gouvernement.
Corentin : ah oui, on n’est plus vraiment dans le conseil technique ou l’aide amicale. D’ailleurs, il n’y avait pas eu polémique autour de la création du film Zero Dark Thirty, de la réalisatrice Katheryn Bigelow ?
Élodie : Avant de te répondre. Suspense et bande-annonce.
Extrait 2 https://www.youtube.com/watch?v=A-s7wo5L_RM 0’05 à 1’32
Élodie : Zero Dark Thirty a soulevé la polémique à cause des scènes de torture dépeintes dans le film, comme celle du « waterboarding » effectuée sur l’acteur Reda Kateb...
Corentin : Oui, c’est une technique de torture consistant à recouvrir la tête de la personne interrogée par un tissu et de le recouvrir d’eau simulant ainsi une noyade.
Élodie : Exactement. La réalisatrice a été accusée d’en légitimer l’utilisation pour obtenir des informations. Mais elle et son scénariste Mark Boal ont égalment été soupçonnés d’avoir eu accès à des informations classées secret-défense par la CIA. Selon le rapport préliminaire de l’inspection générale du Pentagone, c’est l’ancien chef de la CIA Leon Penatta qui a lui-même fourni des informations confidentielles à l’équipe du film concernant le raid final, et fatal pour Oussama Ben Laden. C’est lors d’une cérémonie organisée au siège de l’agence, en l’honneur de l’unité qui a participé à cette traque que Panetta s’est confié au scénariste également présent ce soir là.
Corentin : c’est strass et paillettes à la CIA !
Élodie : Il faut croire que ça délie les langues ! Toutefois, si elles savent se montrer généreuses, les agences de renseignement se montrent aussi gourmandes. Ainsi, il serait de notoriété publique dans l’industrie hollywoodienne que le Pentagone et la CIA demandent parfois des modifications de script en échange de précieux conseils ou de permissions d’utilisation de lieux et d’équipements tels que des porte-avions. On retrouverait ainsi sa patte dans Ennemi d’État, Alias, la série 24 heures chrono, Bad Company, La somme de toutes les peurs, La recrue et bien évidemment... Argo de Ben Affleck. Le film retraçant de manière romancée le sauvetage de six diplomates américains ayant échappé à la prise d’otage dans l’ambassade américaine à Téhéran en 1979. À l’inverse, lorsque le scénario ou ce qui est montré ne plaît pas à la CIA celle-ci refuse toute collaboration, comme pour les films Spy Game et la Mémoire dans la peau où l’agence n’est pas montrée sous son meilleur jour.
Corentin : finalement, sa plus grande réussite est de faire croire qu’elle évite l’exposition médiatique…
Élodie : En réalité, pour le professeur de sécurité internationale à l’université de Warwick au Royaume-Uni, Richard Aldrich, la majorité des connaissances que nous possédons sur Langley a été placée dans le domaine public par l’agence elle-même, car elle a compris l’importance de contrôler son image publique. Tant pour ses ennemis que ses futures recrues.
Un enjeu tel qu’aujourd’hui, l’Army, la Navy, l’Air Force, le corps des marines, les gardes-côtes, le département de la sécurité de la patrie, et le Secret Service possèdent tous des divisions cinéma et télévision, ou emploient des assistants officiels détachés auprès des médias. Ils sont déjà parmi nous...
Corentin : C’est le pire scénario possible en fait ! Peut-être même parmis les chroniqueurs des Croissants qui c’est… Merci en tout cas Élodie de nous avoir foutu les jetons, et à très vite !
Hollywood et CIA, attention aux liaisons dangereuses
Peu de gens le savent, mais quand il s’agit de faire des films d’espionnage ou militaires, Hollywood est capable de nouer des liens étonnants avec les agences gouvernementales. Encore plus surprenant, les agences elles-mêmes y trouvent leur compte pour améliorer leur image dans les médias grand public ! On ausculte ces drôles de liens avec Élodie Carcolse de « La Réclame ».
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