Corentin : Le 5 avril dernier, Isao Takahata, monument de l’animation japonaise, s’est éteint à l’âge de 82 ans. Et tu viens nous parler de sa carrière, Thomas.
Thomas : Bonjour Corentin. Oui, depuis ce début avril, le monde de l’animation internationale - et pas que japonaise - est un peu orphelin. Isao Takahata naît en 1935, dans la région japonaise du Kansai. Dernier d’une fratrie nombreuse, lui et sa famille échappent à un bombardement américain en 1945. Cette épisode le marquera durablement et influencera plus tard son travail.
Corentin : Un moment de sa vie qui a entre autre inspiré Le Tombeau des Lucioles, j’imagine. Du coup, à quel moment s’intéresse-t-il à l’animation ?
Thomas : Ca arrive alors qu’il est étudiant à la prestigieuse université de Tokyo, Tokyo Daigaku ou Todai pour les lecteurs de Love Hina. Nous sommes à la fin des années 1950, et il étudie la littérature française, notamment la poésie, qui l’amène à s’intéresser à Jacques Prévert. C’est dans ce contexte qu’il découvre Le Roi et l’oiseau, célèbre film d’animation, dont Prévert avait cosigné le scénario.
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Mesdames, mesdemoiselles, messieurs… Oh, pardon. L’histoire que nous allons avoir l’honneur et le plaisir de vous conter est une histoire absolument véridique. Parfaitement elle est véridique ! Elle m’est arrivée à moi, et à d’autres en même temps…
A partir de ce moment-là, l’animation va devenir son but. A l’instar du film de Paul Grimault, il va vouloir proposer une alternative au dessin animé à la Disney. Il est donc rapidement convaincu par un ami de passer le concours d’entrée pour rejoindre le studio Toei Animation, alors naissant. Il le réussit et est employé comme assistant réalisateur. Sa carrière au sein de l’entreprise culmine en 1968 quand il est propulsé réalisateur du film Horus, Prince du Soleil. Hélas, le film est un échec commercial, ce qui vaudra à Takahata une placardisation chez Toei. Cependant, ce projet lui aura permis de travailler avec de futur grands noms comme Yasuo Otsuka, et évidemment, Hayao Miyazaki.
Corentin : Ah, donc ils fondent le célèbre studio Ghibli dans la foulée ?
Thomas : Non, pas tout de suite. En 1971, si Takahata quitte effectivement la Toei avec son ami Miyazaki, il doit continuer à faire ses preuves... et remplir sa gamelle accessoirement. Non, d’abord, il rejoint les studios Nippon Animation, puis la Telecom Animation Film Company. Il ne retrouve professionnellement Miyazaki qu’en 1984. L’aventure Ghibli peut alors commencer.
Corentin : Oui, parce que c’est surtout pour son travail au sein de ce studio mythique que Takahata est connu partout dans le monde.
Thomas : Je ne te le fais pas dire. Dans un premier temps, Takahata va avoir un rôle de producteur, avec Miyazaki à la réalisation. Ils sortent ainsi coup sur coup Nausicaä de la Vallée du Vent en 1984, puis Le Château dans le Ciel, en 1986. En 88, il réalise son premier film pour le studio Ghibli : Le Tombeau des Lucioles.
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Il était une fois un grand frère qui habitait avec sa petite soeur dans un refuge.
Toute l’oeuvre de Takahata est déjà contenue dans ce chef d’oeuvre : un engagement humaniste, l’importance de la famille, la dénonciation de la folie des hommes aussi, mais aussi une poésie artistique, une profondeur esthétique et une adéquation entre le sujet traité et le medium qu’est l’animation très aboutie. Takahata a puisé dans son souvenir des bombardements de 1945, ainsi que dans ceux de Akiyuki Nosaka, l’auteur de la nouvelle dont est adaptée le film. On est tour à tour émerveillé par l’animation, horrifié par la description de la guerre, et en pleurs parce que c’est très triste et très bien raconté.
Corentin : En effet, Le Tombeau des Lucioles est certainement un des films les plus importants de l’histoire de l’animation mondiale, mais il n’a pas fait que ça, Takahata, quand même.
Thomas : Non, évidemment. Il a ensuite réalisé Souvenirs Goutte à Goutte (inédit en salles chez nous), Pompoko, et Mes Voisins les Yamadas. Cependant, à l’exception de quelques privilégiés qui ont pu les voir en festival, tous ces films - Tombeau des Lucioles compris - sont sortis chez nous bien après leur diffusion originale japonaise, soit en salle, soit directement en VHS ou DVD. Seul Le Conte de la Princesse Kaguya est sorti à peu près en même temps au Japon et en France.
Corentin : Un gros à peu près, hein, vu qu’il y avait plusieurs mois d’écart entre les deux sorties… En tout cas, on a bien compris qu’il avait réalisé et produit quelques films importants, mais bon, c’était pas Miyazaki non plus. Pour quelles raisons est-ce qu’on le considère comme l’une des personnalités les plus importantes de l’animation mondiale ?
Thomas : Certes, les films de Hayao Miyazaki ont eu plus d’impact et plus de succès internationalement que ceux d’Isao Takahata. Cependant, de l’aveu de Miyazaki lui-même, il n’en serait pas là où il en est aujourd’hui sans Takahata. Miyazaki aurait ainsi déclaré “Je ne rêve pas souvent, mais quand cela m’arrive, je fais toujours le même rêve, avec un seul personnage, et c’est Takahata.”
Ensuite, comme dit plus tôt, Takahata a toujours voulu offrir une alternative supplémentaire à l’animation que proposait Disney à l’époque. En cela, il nous a montré que les productions du Studio Ghibli peuvent toucher des publics bien plus loin que les frontières japonaises.
Enfin, Takahata était également une personnalité intellectuelle dans l’archipel. Il était écouté au-delà de son statut de réalisateur. Son engagement politique était clairement à gauche, et il était un fervent opposant aux politiques très conservatrices de l’actuel Premier ministre Shinzo Abe. En outre, son expérience des désastres de la guerre lui a permis de s’élever contre le révisionnisme historique qui anime certains cercles nationalistes japonais. Comme le déclare Ilan Nguyen, spécialiste de l’animation japonaise et proche de Takahata, dans une récente interview accordée au quotidien Libération, “le Japon perd une voix qui compte, bien au-delà du cinéma d’animation.”
Corentin : Merci pour ces rappels biographiques sur Isao Takahata. L’essentiel de ses films est désormais disponible en DVD et Blu-Ray et, vous l’aurez compris, on vous recommande chaudement de les découvrir ou les redécouvrir si vous voulez vous sentir tristes ou émerveillés ou les deux. A bientôt Thomas !
Thomas : A bientôt !
Isao Takahata : pourquoi les lucioles meurent-elles si vite ?
Isao Takahata, le maître derrière le célèbre « Tombeau des lucioles », s’en est allé. Avec Thomas Hajdukowicz, revenons sur la vie de cet homme qui, avec Hayao Miyazaki, a fondé le Studio Ghibli et changé à jamais le monde de l’animation.
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