Les Proies - l’ennui selon Sofia Coppola
C : Salut Morgane ! Comment ça va aujourd’hui ?
M : Très bien Corentin, et toi ?
C : Ça va très bien aussi, merci ! La dernière fois, on a parlé de Taylor Swift, de quoi on va
parler aujourd’hui ?
M : Avec la rentrée, on a bien besoin de se changer les idées. Et pour ça, quoi de mieux
que des frous-frous, des soldats et un peu d’érotisme ?
C : Tout un programme !
M : N’est-ce pas ? Je t’ai résumé, de manière un peu courte, Les Proies, le dernier film de
Sofia Coppola, avec un trio de tête assez dingue : Nicole Kidman, Kirsten Dunst et Colin
Farrell. Le pitch est simple : Colin Farrell joue un soldat séparatiste blessé pendant la
guerre de Sécession. Il trouve refuge dans un pensionnat pour jeunes filles sages, dans le
Sud des États-Unis. On écoute un extrait de la bande-annonce.
[EXTRAIT BA VF]
M : Le film est tiré du roman éponyme de Thomas Cullinan, publié en 1966. Il avait été
adapté une première fois en 1971, avec Clint Eastwood dans le rôle du soldat.
C : Sofia Coppola arrive-t-elle à captiver le spectateur, Morgane ?
M : Alors, Sofia Coppola est avant tout douée pour créer des ambiances, des
atmosphères, comme dans l’un de ses précédents films, Marie-Antoinette, qui montre très
bien l’effervescence déclinante de Versailles à l’époque de Louis XVI. La réalisatrice
américaine fait encore la preuve de ce talent avec Les Proies. Elle a fait le pari de tourner
majoritairement avec une seule caméra, en 35 millimètres, avec un format 1.66, c’est-à-
dire, presque carré, très rare de nos jours. Un choix judicieux puisqu’il rend bien compte
du sentiment d’étouffement de ces femmes, qui se mettent à l’abris de la guerre dans leur
petite vie parfaite.
C : Le film a d’ailleurs reçu le prix de la mise en scène au dernier festival de Cannes.
M : Tout à fait, et ce n’est pas étonnant. Avec l’aide de son directeur de la photographie, le
Français Philippe Le Sourd, Sofia Coppola arrive très bien à retranscrire à l’écran la
chaleur moite, la solitude et l’ennui du Sud puritain des États-Unis au milieu du 19e siècle.
Les Proies a été tourné à la Nouvelle-Orléans, et ça se voit rien qu’à la lumière orangée
qui baigne le film dans une ambiance rêveuse. Les colonnes blanches, le parquet qui
craque et la déco rococo de la somptueuse maison choisie pour abriter le pensionnat
renvoient à cette époque. Le film s’ouvre d’ailleurs sur une des petites pensionnaires, qui
ramasse des champignons sous une énorme allée boisée et ombragée. Cette scène
paisible est perturbée par les bruits de combat en fond. La petite trouve alors Colin Farrell,
alias John Mac Burney, gravement blessé à la jambe. Elle l’aide à rejoindre son
pensionnat. Dès lors, un dilemme se pose.
C : Lequel ?
M : On est dans le Sud, donc dans le clan des esclavagistes. Or, le caporal Mac Burney
défend le Nord, ceux qui sont contre l’esclavage. La logique voudrait donc que la
directrice, Miss Martha, jouée par Nicole Kidman, le livre sans plus tarder à l’armée
sudiste. Mais sa charité chrétienne, et l’insistance de ses pensionnaires, la poussent à le
soigner d’abord. Par prudence, elle l’enferme dans la salle de musique. Le caporal devient
alors un objet de curiosité pour toutes ces femmes.
C : Comment vit-il cette sorte de captivité ?
M : Très bien. Il est nourri, logé, blanchi, soigné, lavé. Les femmes se pressent à sa porte
pour lui parler. Très vite, le trio formé par Nicole Kidman, Kirsten Dunst, prof de français et
adjointe de la directrice, et Elle Fanning, l’aînée des pensionnaires, est irrémédiablement
attiré par le charme du caporal. Chacune a une relation paradoxale d’attirance et de
répulsion envers cet homme, qui symbolise l’interdit ultime.
C : C’est là que commence le drama ?
M : Eh bien justement, on aimerait que ça soit le cas, mais ça ne l’est pas. Une fois le film
mis en place, l’intrigue s’essouffle. La bande-annonce laisse espérer une tension
psychologique et sexuelle à son max, mais on n’y est pas. Certes, les 3 femmes rêvent de
finir dans les bras de Colin Farrell, mais on ne sent pas de “rivalité” entre elles, puisque
chacune garde ses tourments pour elle. Le soldat joue sur plusieurs tableaux, ce qui perd
un peu le spectateur. On imagine que c’est pour assurer sa survie, mais ce n’est jamais
explicitement dit ou suggéré.
C : Quelle ambiance se dégage ?
M : Une ambiance très lourde. Au lieu de drama, Sofia Coppola met l’accent sur la vie
monotone au sein du pensionnat, faite de rituels religieux et académiques. Les
nombreuses scènes de prières sont belles, mais redondantes, tout comme celles où les
jeunes filles se relaient pour surveiller les alentours avec une longue-vue. Même si
l’époque est puritaine, les personnages principaux pourraient être plus dévergondés que
ça. Il faut attendre le dernier quart du film pour connaître quelques sursauts. Mais c’est
tellement condensé que ça semble bâclé.
C : Est-ce qu’il y au moins une bonne alchimie entre les personnages ?
M : Colin Farrell joue très bien le prisonnier qui fait tout pour attendrir ses geôlières, au
point qu’on a du mal à savoir quelle est sa vraie personnalité. Nicole Kidman brille en
directrice pieuse au fort caractère, bouleversée par l’arrivée d’un séducteur qui lui fait
oublier ses obligations. Kirsten Dunst est sans doute le personnage le plus intéressant :
une jeune prof de français discrète et ferme, mais qui, au fond, rêve d’une autre vie. Elle
Fanning incarne quant à elle une caricature d’ado égocentrique qui veut à tout prix briller,
quitte à faire du mal autour d’elle, sans qu’on sache pourquoi. La tension est palpable
entre le caporal et la directrice, mais on est gêné par la fascination que lui voue la jeune
Elle Fanning, tandis que sa romance avec Kirsten Dunst arrive comme un cheveu sur la
soupe.
C : Du coup, on évite Les Proies ?
M : Disons que le film plaira aux inconditionnels de Sofia Coppola. La réalisatrice est
connue pour sublimer la lenteur, l’ennui, ce qui insupporte ses détracteurs. Là, on espérait
plus d’intensité, plus de sensualité, plus d’audace. C’est aussi dommage que la guerre soit
cantonnée aux portes du pensionnat. Bref, on reste sur sa fin. Mais si vous aimez les films
d’époque joliment mis en scène, Les Proies devrait vous plaire.
C : Merci Morgane, à très vite !
M : À très vite Corentin.
0:00
7:01
Vous êtes sur une page de podcast. En cas de difficulté pour écouter ce document sonore, vous pouvez consulter sa retranscription rapide ci-dessous.