Ma vie avec John F. Donovan, accouché dans la douleur
C : Aujourd’hui, c’est cinéma, cinéma francophone mais cinéma de luxe. Si, à même pas trente ans, vous n’avez pas réalisé une poignée de films à succès, qu’avez-vous fait de votre vie ? C’est le cas de Xavier Dolan, et je sais que Benjamin Benoit, l’a en sympathie. Bonjour à toi Benjamin. Alors on parle des mamans aujourd’hui ?
B : Je te laisse la responsabilité de tes introductions Corentin. Mais effectivement, c’est une catégorie de population qui peut se sentir concernée puisque la maternité est, de toute évidence, l’une des obsessions de Xavier Dolan. Dolan comme Doliprane, et pas DOLENT. Il l’a tweeté lui-même vers 2014, j’en m’en souviens car je suis fort fan de ce petit génie du cinéma des années 2010. Par contre je suis assez sûr que lui en a assez de ces périphrases sur son âge. Donc je te salue Xavier hein.
C : Cette histoire d’âge sera de moins en moins pertinente, puisqu’il vient tout juste de fêter ses trente ans. Mais cela fait déjà un gros lustre…
B : Cinq ans.
C : Qu’on parle de lui et qu’il a un rayonnement dans le cinéma francophone. Il a d’ailleurs gagné quelques prix.
B : Le césar du meilleur film étranger pour Mommy, le grand prix du festival de Cannes pour Juste la fin du monde… et le prix du jury pour Mommy aussi. On parlait déjà de lui dans la première moitié de sa vingtaine, avec les films J’ai tué ma mère, Laurence Anyways, et le clip d’Indochine, College Boy, qui avait fait une petite polémique, je vous invite à regarder si vous voulez savoir pourquoi. C’est d’ailleurs cette année, en 2013, qu’il sortait Tom A La Ferme, un thriller dont le motif principal est l’homophobie. Tous les films de Xavier Dolan sont arty, ils jouent avec les formats, ils n’ont pas peur d’être queer, d’être minimalistes, de prendre des pas de côté pour traiter de ses thèmes fétiches. La masculinité queer, la différence, et surtout le rapport aux mamans. Je pense que les titres de ses œuvres précédentes trahissent déjà une obsession. Mais tous ces films, pourtant très bien reçu par les circuits internationaux, restaient relativement confidentiels.
C : Xavier Dolan avait deux projets dans les tuyaux. Le film Matt et Max, pas encore daté, et The Life And Death Of John F. Donovan, nommé chez nous « Ma Vie avec John F. Donovan ».
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B : Un projet dont le début de trajectoire n’est pas vraiment à la hauteur des attentes. Cela fait fort longtemps qu’on en entend parler et qu’on tourne en boucle sur les mêmes photos de tournages avec Kit Harrington.
C : Kit Harrigton ? De Game Of Thrones ??
B : Celui-là même, ce qui trahit un casting bien plus relevé que d’habitude. On y trouve Susan Sarandon, Natalie Portman, Kathy Bates, une petite apparition de Michael Gambon. Et Jacob Tremblay dans le rôle d’un garçonnet qui sera l’un des deux protagonistes du film. Et pas Jessica Chastain, dont le rôle a été intégralement viré du montage.
C : Mais de quoi ça parle ? On ne sait toujours pas qui est John F. Donovan avec toute cette EXPOSITION.
B : Le film a une structure binaire. Dans le temps présent, on suit l’interview entre Rupert Turner, jeune acteur, et une journaliste pas très contente d’être là. Le sujet de cet échange, c’est la correspondance qu’entretenait ce jeune américain, alors expatrié avec sa mère en perfide Albion, avec John F. Donovan. C’est Kit Harrington. Ils ont échangé durant moult années à l’encre verte, avant que Donovan ne meure subitement juste avant d’atteindre la trentaine. Dans ce temps passé, John est acteur dans une série à succès, très années 90 à la Charmed ou Buffy contre les vampires. Il incarne un lycéen…
C : Ah ouais, le casting avec dix ans d’écart à la Dawson.
B : UN LYCEEN doté de superpouvoirs dans une série cheap à succès. Rupert en est complètement dingue, il hurle devant sa télé quand de nouveaux épisodes sont diffusés, et cet échange épistolaire sera la source de quelques émois, de vives passions, de peines, vous voyez le genre. Entre deux morceaux d’interview du temps présent, on va suivre en parallèle ces deux personnages d’acteurs.
C : Alors c’est bizarre, je reviens du site Metacritic, il est super mal reçu aux Etats Unis. C’est quoi le problème ?
B : C’est quand même pas de bol. On donne enfin à Dolan de plus grands moyens pour faire un film bien plus typé international, et du coup il se fait snobber aux Etats-Unis, où il est privé de distribution. Les critique trouvent que le film en fait trop, que Dolan parle trop de lui à travers ses oeuvres, que certaines scènes sont ridicules et yadda yadda. Et que le tortueux processus de production a fait du mal au film. C’est souvent le cas, mais figurez-vous que, bien conscient que le projet ne sentait pas bon, j’ai trouvé ça… bien.
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B : D’ailleurs le deuxième album de Woodkid est toujours attendu à l’appel. Oui, le processus de production de la chose a été compliquée. Mais je le trouve thématiquement et formellement très charmant. J’y vois un petit esprit Antonio Bayona qui me plaît beaucoup, le réalisateur de l’Orphelinat et Quelques minutes après minuit a aussi cette façon de raconter l’enfance, les grandes maisons au plancher qui craque, les mères bienveillantes, et l’indispensable message un peu neuneu sur la vie d’artiste et ses implications. Dolan fait du Dolan, avec plus de moyens, mais toujours avec un esprit sensible, parfois exagéré. D’aucuns diraient qu’il en fait trop, mais ce serait hypocrite de tiquer sur ces scènes-là en ayant apprécié ses précédents films.
C : Je te sais sensible aux goûts musicaux de Xavier Dolan.
B : Alors ça dépend. Disons qu’ils sont très mainstream mais toujours efficaces au karaoké. Stand By Me par Florence & The Machine, Kit Harrington qui chante Jesus Of Suburbia, de Green Day, Kiss Me de Sixpence None The Richer, et un générique final qui me met en joie.
BITTERSWEET SYMPHONY – THE VERVE
C : Tout le monde semble détester Ma Vie Avec John F. Donovan. Et on y pense quoi aux Croissants ?
B : Eh beh truc de fou, aux Croissants, Benjamin Benoit est un peu seul à vraiment aimer ce film. J’en aurais bien pris pour une troisième heure. C’est le best of de Dolan, en certes moins arty et moins subtil, un peu rentre-dedans, mais la recette marche toujours. Oui, c’est parfois ultra lourd, ultra souligné, mais la sensibilité, je la vois et je l’apprécie. Le produit final fonctionne, et n’aura probablement aucun impact dans l’œuvre du cinéaste. Ma vie avec John F. Donovan en fait parfois trop, prend des raccourcis et lorgne parfois sur l’invraisemblable mais CA MARCHE. Et c’est tout ce que je demande. Je vous invite donc à aller capter l’esthétique début de siècle et artistes maudits du dernier film de Dolan, même s’il n’a que 15 % sur le vénérable site RottenTomatoes.
C : Tu dois être très fan de Dolan. Parce que c’est pas tout les jours qu’on a une chronique qui va dans ce contresens là. Vous voilà prévenus, à vous d’en faire ce que vous voulez. A la prochaine Benjamin !
B : J’ai toujours pas tourné de film. J’ai raté ma vie.
C : Mais non, mais non.
« Ma vie avec John F. Donovan » : accouché dans la douleur
Le dernier film de Xavier Dolan, intitulé « Ma vie avec John F. Donovan », s’est attiré les foudres des critiques un peu partout dans le monde. Pourtant, Benjamin Benoit l’a aimé. Il nous explique pourquoi selon lui ce nouveau long métrage synthétise bien les obsessions du réalisateur canadien.
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