Corentin : Le jour de la fête de la musique en juin dernier, Deezer sort ce qui ce pourrait être une bombe pour l’industrie musicale : ce qu’ils appellent une playlist mais ce qui est en réalité un album, « Souvenirs d’été ». Un opus de 19 titres d’artistes de la jeune scène pop françaises qui reprennent les plus grands tubes de Summer songs.
(EXTRAIT 1 mashup)
Corentin : Sauf que ce procédé mérite qu’on se pose quelques questions : Deezer est-il devenu producteur de titres ou bien s’est-il associé aux différents labels des artistes pour produire cet album original ? En somme, comment collaborent les plateformes de streaming avec les labels ? Angèle Chatelier s’est intéressée au fonctionnement de l’entreprise française Deezer avec les labels et ayants droits pour tenter de répondre à ces questions.
Angèle : Encore faut-il commencer par le commencement : l’histoire de notre entreprise française, Deezer.
Souvenez-vous, les temps étaient durs au début des années 2000 pour la musique. Le téléchargement illégal était roi, les ventes de disques chutaient à vitesse grand V. C’était la crise.
Daniel Marhely, jeune entrepreneur, petit filou, surfe sur la tendance et créé Blogmusik.net dès 2006, sur le même principe que le Deezer que nous connaissons aujourd’hui : une banque de données de titres à écouter en ligne. Tout est absolument gratuit. Forcément, ça jazze : sous la pression de la Sacem et autres société de droits d’auteurs, le site ferme.
C : Mais malin, il garde son idée
A : Avec un autre entrepreneur, Jonathan Benassaya, il planche effectivement sur Deezer. Les deux jeunes hommes signent un accord légal avec la Sacem, permettant que les revenus publicitaires du site rémunèrent les ayants droits. Xavier Niel, papa et maitre Jedi de bons nombres de jeunes pousses croit au projet et investit son argent. Nous sommes en 2007 et c’est le début de la relation tumultueuse et passionnelle entre plateforme de streaming et labels.
C : Mais, alors que le site fait presque 800 000 visiteurs rien que sur le mois d’août, tout bascule
A : Oui, car à son lancement en août 2007, Deezer est gratuit pour les utilisateurs. Si certains labels y croient - comme les labels indépendants Because et Believe qui mettent à disposition leurs catalogues -, d’autres rechignent. C’est le cas d’Universal qui, dans un communiqué publié à la fin août, déclare qu’aucun accord d’utilisation de son catalogue n’a été signé avec le site et que par conséquent, le répertoire du label est exploité de façon illégale. Cette guéguerre remonte à très loin. Le livre Boulevard du Stream, du mp3 à Deezer, la musique libérée, écrit par le journaliste des Jours Sophian Fanen explique de manière très complète ce qui s’est déroulé politiquement à ce moment-là entre Universal et Deezer, si cela vous intéresse.
En gros, Universal, qui représente alors 45% des ventes de CDs en France est rancunier et se souvient des trois ans où Blogmusik.net a utilisé son catalogue illégalement. Outre cela, tout est politique : l’entreprise voulait sortir, en même temps que Deezer, son propre partenariat d’écoute de musique en ligne. Ce n’est que 18 mois plus tard, en mai 2008 qu’un contrat entre Universal et Deezer est signé.
C : Et si, en s’associant à la Sacem, Deezer a réussi à se choper une crédibilité sans faille, Universal se bat quand même pour avoir son gagne-pain
A : Quand Deezer se lance, l’entreprise doit verser plusieurs millions d’euros pour compenser ses années pirates et payer les majors pour avoir le droit d’exploiter leur catalogue territoire par territoire. Le modèle de l’entreprise française est donc fragile. Ce n’est que fin janvier 2010 qu’est arrivé l’abonnement payant, à 10 euros par mois.
C : Mais qu’est ce que tout cela vient faire dans l’histoire de l’album créé par Deezer ?
A : Il s’agit de rappeler comment fonctionnent les plateformes de streaming, et cela vaut aussi pour Spotify, Itunes Music etc. En 2014, rappelle le livre de Sophian Fanen, Deezer a versé, minimum et rémunération des écoutes cumulées, 79,3% de ses revenus aux ayants droits. Ceux-ci sont les labels, pour la plupart. Sauf si des dizaines de millions de personnes sont abonnées aux plateformes de streaming, difficile de s’en passer pour les labels. Les majors et les plateformes doivent alors avancer main dans la main même si elles sont finalement concurrentes. Mais que se passerait-il si un Deezer devenait lui-même créateur de contenu, c’est à dire signait des artistes ? C’est la question que je me suis posée en voyant que la plateforme sortait son album « Souvenirs d’été ».
(EXTRAIT 2)
C : Si Deezer devient producteur, alors elle passe directement par les artistes et non plus par les labels
A : Ce serait donc une révolution dans l’industrie musicale. Spotify a peu ou prou tenté de faire la même chose : en proposant des contrats de licence à des artistes indépendants, plus besoin de passer par des labels et donc reverser des droits considérables.
C : Sauf que, sans les labels et leurs catalogues, les plateformes de streaming n’existent pas.
A : Exactement. Je me suis donc renseignée sur cet album « Souvenirs d’été ». Deezer est-il devenu producteur ? Les artistes présents dans l’album ont-ils été rémunérés par leurs labels ou par Deezer directement ? Une salariée de Deezer m’a expliqué le fonctionnement : Deezer n’est pas producteur mais est à l’initiative de cet album. En ce sens, les labels des artistes restent master owner, c’est à dire propriétaires du droit d’exploitation des oeuvres mais aussi producteur. Deezer finalement, n’est qu’un moyen d’écoute de ces titres.
C : Pas de quoi froisser les labels, donc
A : Non. Mais il convient aussi de rappeler ce qu’est un producteur musical. Un producteur est une personne ou une entreprise qui finance la réalisation d’un disque puis qui se rémunère sur son exploitation. Ici, et ce pourquoi il est intéressant de s’interroger, c’est que les titres produits par Deezer dans cet album « Souvenirs d’été » sont des productions originales, créées pour Deezer. Un abonnement (malin, hein !) gratuit le premier mois permet d’écouter ces summer songs. Il n’y aucune autre plateforme où elles sont disponibles. C’est donc un excellent moyen aussi pour la plateforme de se faire connaître. Tout bénef, pour tout le monde.
C : Oui, ou sauf pour les artistes
A : C’est un peu l’éternel débat sur les plateformes de streaming oui, la rémunération des artistes. Aux Etats-Unis, les chiffres parlent d’eux-même. Un artiste gagne environ 0,0056 dollar par écoute sur Deezer. C’est encore moins sur Spotify ou sur YouTube.
Si l’on a trouvé un modèle pour contrer le téléchargement illégal comme a su aussi le faire Netflix, les grands oubliés restent les principaux créateurs.
C : Heureusement qu’il existe des plateformes comme Bandcamp qui, a priori, restent plus avantageux pour les créateurs. Merci Angèle, et à une prochaine fois !
Quand Deezer crée un album, c’est toute l’industrie qui se pose des questions
Dans l’industrie musicale, la production des albums revient traditionnellement aux majors. Alors quand un acteur comme Deezer se met à sortir son disque de chansons originales, il y a de quoi se poser quelques questions. Angèle Chatelier nous dira si, oui ou non, la relation entre les labels et les artistes est sur le point de changer.
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