Remington, dans la ligne de mire de la justice
Thomas : Un fabricant d’armes peut-il être tenu responsable des actes commis avec ses armes ? C’est la question au coeur des poursuites entamées contre l’armurier Remington aux Etats-Unis. Les familles des victimes de la fusillade de Sandy Hook en 2012 ont utilisé un argument marketing qui pourrait faire jurisprudence, dans un pays où le puissant lobby des armes, la NRA, dicte encore sa loi. Elodie Carcolse de la Réclame revient sur cette décision inédite.
Elodie : Salut Thomas et salut à tous ! En effet, l’armurier Remington, le plus ancien fabricant d’armes américain, va être jugé pour les méthodes marketing utilisées pour vendre ses célèbres fusils d’assaut AR-15, aujourd’hui commercialisés sous le nom de Bushmaster XM15-E2S. Tel en a décidé la Cour Suprême du Connecticut le 15 mars dernier. En cause : ses publicités sont / dont la responsabilité est mise en cause dans la fusillade de Sandy Hook, selon les familles des victimes
Thomas : Ok, mais si je me fais l’avocat du diable, une publicité n’est-elle pas faites justement pour vendre le produit dont elle vante les mérites.
Elodie : Alors oui, évidemment. Et non. Comme vous le savez sans doute, certains secteurs sont soumis à des règles publicitaires strictes, comme les boissons alcoolisées en France notamment avec la loi Evin. Aux Etats-Unis, depuis 2005, une loi protège les fabricants d’armes de la plupart des actions en justice visant à engager leur responsabilité dans un acte violent commis avec l’une de leurs armes. Mais il existe des exceptions à cette loi, notamment pour négligence du vendeur. C’est sur cette exception que les familles ont joué leur va tout, après avoir été déboutées en première instance.
Thomas : Ok, explique-nous alors, c’est quoi cette exception ?
Elodie : L’exception permet de poursuivre un fabricant qui a ”sciemment violé une loi étatique ou fédérale applicable pour vendre ou commercialiser« une arme à feu. L’avocat des familles des victimes s’attaque donc aux spots publicitaires de Remington. D’après lui, ils sont, je cite “immoraux et sans scrupule”.
Thomas : Les vidéos de démonstration d’armes à feu font rarement dans la subtilité.
Elodie : Oui et celles incriminées vantent les qualités militaires de l’arme, quand elles n’utilisent pas une esthétique de jeu vidéo singeant des scènes d’attaques pour séduire les jeunes, dénonce l’accusation.
L’avocat estime ainsi que la stratégie marketing de Bushmaster, la filiale de Remington qui produit le fameux semi automatique, présente l’AR-15 comme une arme d’assaut pour mener des missions de combat contre des ennemis supposés. Il explique, je cite : »Cette arme n’a pas été promue pour le sport ou l’auto-défense”. Les publicités constituent donc une pratique commerciale déloyale au regard de la loi sur la protection des consommateurs du Connecticut.
Thomas : Oui, on est loin de l’argument défensif prôné par le sacro saint 2e amendement de la Constitution américaine qui, je vous le rappelle, reconnaît la possibilité pour le peuple américain de constituer une milice pour contribuer « à la sécurité d’un État libre ». Et garantit donc à tout citoyen américain le droit de porter des armes.
Elodie : L’un des slogans de Bushmaster disait notamment “Forces d’opposition, soumettez-vous, vous êtes seul en infériorité numérique”, et qualifiait également ses fusils censés être vendus à des « civils » donc, d’”armes de combat ultimes”. Les publicités plaçaient l’AR-15 dans les mains de soldats patrouillant dans la jungle. On est loin des villes américaines. Comme dans cette pub télé.
[ Extrait 1 https://www.youtube.com/watch?v=UJ1hjvJ5hrI ]
Elodie : D’après le jugement de la Cour Suprême du Connecticut, la loi de 2005 “ne visait pas à protéger les fabricants d’armes qui utilisent des méthodes marketing contraires à l’éthique et irresponsables, en promouvant un comportement criminel”. David Wheeler, le père de l’une des victimes de la tuerie de Sandy Hook, estime ainsi, qu’ “il y a une raison pour laquelle ce produit est utilisé par les gens qui veulent infliger le plus de dégâts et nous en avons une succession d’exemples.”, fin de citation.
Thomas : Le père d’une des victimes fait sans doute référence à d’autres fusillades où les tireurs ont utilisé la même arme à feu fabriquée par Remington et sa filiale.
Elodie : Oui. Cette arme a été utilisée le 14 décembre 2012, par Adam Lanza pour tuer 26 personnes, dont 20 enfants, dans l’école de Sandy Hook, à Newton dans le Connecticut. Mais elle a également servi dans les fusillades de Las Vegas en 2017 qui ont fait 58 morts, du lycée de Parkland en Floride en 2018 ou encore récemment lors de l’attentat contre deux mosquées à Christchurch, en Nouvelle Zélande.
Thomas : et à chaque fusillade son débat sur la réglementation des armes à feu.
Elodie : Exactement. Un ritournelle morbide qui n’a jusqu’ici rien donné. Depuis 2015, environ une fusillade éclate chaque jour aux Etats-Unis, mais la NRA veille au grain. La National Rifle Association est considérée comme le plus puissant lobby américain, si ce n’est du monde. Il représente un pouvoir financier et politique considérable et c’est un important pourvoyeur de fonds lors des campagnes présidentielles américaines.
Thomas: Ou l’inverse, le démocrate Al Gore s’en souvient. L’ancien candidat malchanceux à la présidentielle américaine avait tenté d’imposer une loi anti-armes en 1999, lorsqu’il était vice-président de Bill Clinton. En représailles, la NRA avait financé une campagne de dénigrement de 20 millions de dollars contre lui.
Elodie : En effet. Et Barack Obama n’a pas été plus productif dans le bureau ovale. La réglementation des armes n’était pas la priorité de son mandat, jusqu’à la tuerie de Sandy Hook en 2012. Malgré une volonté d’harmoniser les règles, notamment en généralisant les contrôles d’antécédents judiciaires et les examens psychologiques, les lignes n’ont pas bougé.
Thomas : Et la NRA ne manque jamais de dénoncer la politisation de ces tueries par les partisans d’un contrôle des armes à feu. Comme elle l’a fait au lendemain de la tuerie de Parkland, qui a donné lieu à la plus grande manifestation contre les armes à feu de l’histoire des Etats-Unis,
Elodie : C’est ça. Et ça ne risque pas de changer avec le président actuel. Donald Trump est un fervent soutien de la NRA et de ses dirigeants qu’ils considèrent comme de grands patriotes. Reprenant la philosophie de la NRA, il estime, je cite, que “la seule façon de stopper un méchant avec une arme est de lui opposer un gentil avec une arme”. Moins d’une semaine après l’attentat de Christchurch, la première ministre néozélandaise Jacinda Ardern a adopté quant à elle un tout autre discours.
[Extrait : https://www.youtube.com/watch?v=foYRYCOL8sM
Traduction: Nous allons interdire les fusils d’assaut. Nous allons interdire les chargeurs de grande capacité. Nous allons interdire toutes les pièces pouvant convertir une arme semi-automatique ou tout autre type d’arme à feu en semi-automatique de type militaire. Nous allons interdire les pièces qui permettent à une arme à feu de générer des tirs semi-automatiques, automatiques ou proches de l’automatique. Bref, toutes les armes semi-automatiques utilisées lors de l’attaque terroriste de vendredi seront interdites dans ce pays.
Elodie : Cette décision inédite pourrait complètement bouleverser l’immunité fédérale des fabricants d’armes. Et, en autorisant un procès, la Cour suprême du Connecticut permet aussi aux familles d’accéder à tous les documents internes de l’entreprise. Pour l’avocat des victimes de Sandy Hook, cela permettra de découvrir la stratégie marketing utilisée par Remington pour séduire ses utilisateurs dangereux. Un argument marketing qui pourrait donc être une arme fatale à cette industrie.
Thomas : Des fabricants d’armes pris pour cible et par leurs propres armes, fussent-elles marketing, ça me manque pas d’ironie. Affaire à suivre en cas d’appel devant la Cour Suprême des Etats-Unis. Merci Elodie pour cet éclairage bienvenu et à bientôt.
Remington, dans la ligne de mire de la justice
Remington, le plus vieux fabricant d’armes américain, va passer devant le tribunal pour déterminer si ses publicités ont joué un rôle dans la fusillade de Sandy Hook. Élodie Carcolse de « La Réclame » revient sur cette affaire qui pourrait faire jurisprudence dans un pays où le flingue est roi.
0:00
6:60
Vous êtes sur une page de podcast. En cas de difficulté pour écouter ce document sonore, vous pouvez consulter sa retranscription rapide ci-dessous.