[SON 1 - Monsanto’s years - Neil Young]
Corentin : Le 25 octobre dernier, le conseil constitutionnel décide de censurer une partie de la loi Agriculture et Alimentation (loi EGALIM) et notamment son article 78 sur les échanges et la vente des semences traditionnelles. Qu’implique cette décision ? Que se passe t-il dans nos champs et nos campagnes ? On va voir ça avec Laura Aupiais… Bonjour, Laura...
L : Bonjour, Corentin, bonjour à tous. Alors, encore un vaste sujet à traiter aujourd’hui avec vous. Alors, qu’implique cette décision ? Et bien, pas grand chose. Vous allez le constater à la fin de cette chronique.
Quand vous regardez vos étals de supermarché vous êtes d’accord pour dire que les légumes se ressemblent tous, les tomates n’ont pas de goût.
Corentin : A quoi est-ce dû ?
C’est à cause de la standardisation du monde agricole. Une standardisation contrainte par une législation qui, au final, a offert aux multinationales le contrôle des semences et de notre alimentation.
Corentin : Comment en est-on arrivé là ?
En fait, la production agricole n’a, à peu de choses près, pas changé sa manière de procéder depuis des millénaires...jusqu’à la révolution industrielle.
Aux alentours de 1883, un certain Henry de Vilmorin va découvrir comment créer des semences qui ont un rendement supérieur à celui des semences paysannes.
Jean-Martial Morel, maraicher interviewé par Kaizen Magazine en février 2018 explique la différence…
[SON 2 - Semence paysannes - reportage de Kaizen mag - Fev. 18 - 22s]
Corentin : Dans le son que l’on vient d’écouter, il dit qu’il n’est pas possible de replanter ces semences. Pourquoi ?
Ce n’est pas possible car elles connaissent des dégénérescences biologiques.
A la grande différence des semences paysannes d’ailleurs qui ne sont pas certes les plus productives mais si le paysan sélectionne les meilleures semences et les replanter l’année suivante, il peut s’attendre à voir sa culture s’améliorer.
Et ses cultures s’adapteront de mieux en mieux au terroir.
Corentin : Il faut plusieurs générations pour les semences paysannes contrairement aux autres qui sont “rentables de suite”.
Exactement, tu as tout compris. A noter qu’au XIXe et au milieu du XXe siècle, les semences paysannes sont encore majoritairement utilisées.
C’est pendant la seconde guerre mondiale que la France sous le régime de Vichy va entrer dans cette logique de rendement, de productivité et de rentabilité.
En 1941, le gouvernement français crée le Groupement National Interprofessionnel des Semences et des Plants afin d’organiser la production et la commercialisation des semences et des plants.
Et puis avec la libération et le plan marshall cela va s’accentuer.
L’aide américaine ne vient pas uniquement sous forme d’argent, elle vient aussi sous forme de semences hybrides et de pesticides...
Corentin : J’imagine qu’on va ne va en rester là...
Tu crois pas si bien dire. En 1962, l’État français souhaite s’affranchir davantage du joug américain et incite l’industrie des graines à accélérer ses recherches en la matière.
Il permet aux industriels grâce aux certificats d’obtention végétale (COV) une propriété intellectuelle des graines qu’ils créent.
Par ce biais, l’Etat autorise uniquement la commercialisation des semences ayant ce certificat et contraint les agriculteurs à utiliser les graines du catalogue officiel.
Corentin : Comment obtenir ce certificat ?
Pour l’obtenir, les graines doivent être homogènes et stables donc bye bye les semences paysannes qui sont elles, diverses et imprévisibles.
Il faut que la graine ait une valeur ajoutée, quelque chose en plus que n’a pas les autres inscrites.
Et puis, il faut avoir les moyens car faire entrer une graine au catalogue coûte entre 6000 et 15000€.
Corentin : Et en dehors de leur faible capacité à se reproduire en quoi les graines hybrides ne sont « pas bien » ?
Cela oblige, en fait, les agriculteurs à acheter des pesticides pour permettre aux cultures un rendement qu’elles sont supposées faire. Il n’est pas possible de les cultiver sans pesticides.
Et à qui achètent-ils ces pesticides d’après toi ?
Corentin : A ceux qui leur vendent des graines hybrides…?
Tout à fait, cela permet à Bayer qui a racheté Monsanto depuis, à ChemChina, etc., tous ces géants de la chimie de fabriquer des graines spécialement adaptées à leurs pesticides. Monsanto par exemple, fabrique une graine capable de résister à son fameux Rondup.
Et cette pratique s’est davantage accéléré et accentué à partir des années 80 et le boom des biotechnologies où il est devenu possible de modifier l’ADN des plantes.
Corentin : Quel est le résultats de toutes ces politiques ?
Bref, depuis les années 50, la production agricole a doublé mais il y a six fois moins de paysans.
En moins d’un siècle, 75% de la diversité génétique des plantes cultivées à l’échelle mondiale a été perdue.
Corentin : Pourquoi est-ce un soucis ?
Premièrement, qui dit une agriculture moins variée dit une agriculture plus vulnérable.
Les semences paysannes du fait de leur diversité résistent mieux aux épidémies. Puisque comme les semences hybrides sont exactement identiques par conséquent elles meurent si elles n’ont pas dans leur ADN de quoi résister contre telle ou telle maladie.
Deuxièmement, 3 multinationales contrôlent 60% du marché. Il s’agit de Bayer, ChemChina et de DowDupont.
Et enfin troisièmement, les agriculteurs perdent en autonomie et s’endettent auprès des grands industriels.
Corentin : Effectivement, vu qu’ils doivent leur acheter les graines et les pesticides qui vont avec. Mais il me semblait que la législation s’était un peu assouplie ces dernières années quand même.
Certes mais ça reste très minime. En fait, le gouvernement français autorise les paysans à ressemer 34 variétés présentes au catalogue qui ne sont pas stériles mais ils doivent s’acquitter d’une redevance aux industriels propriétaires des certificats d’obtention végétale.
Et il autorise également l’échange de graines pour la recherche et l’entraide entre paysans.
Mais ces échanges existaient déjà depuis longtemps et de manière mondiale pour préserver les graines.
Corentin : Mais il existe des banques de graines, non ?
Oui, c’est vrai, il existe une bonne centaine de banques officielles de semences. On estime à 7,4 millions d’échantillons conservés dans ces banques. Seulement, en cas de baisse des finances publiques, elle peuvent tomber entre les mains d’acteurs privés.
Et les graines se ne conservent pas indéfiniment car sans remise en culture elles peuvent perdrent leur pouvoir germinatif.
Et puis ces banques ne sont pas à l’abri des catastrophes naturelles. Ce fut le cas par exemple au Nicaragua en 1972 à cause d’un tremblement de terre.
Ou bien des dégâts causés par l’homme comme en Irak avec la deuxième guerre du golfe où la banque de semence irakienne a été détruite à la suite d’un bombardement.
Corentin : C’est un triste constat que tu nous fais là. On comprend bien que le rapport de force est disproportionné entre les agriculteurs et les multinationales.
Ce sont deux idéologies qui s’affrontent. Quand l’un parle de progrès génétique et qualité sanitaire et c’est le GNIS qui dit ça, d’autres disent que cela nuit à la diversité biologiques et aux capacités de l’agriculture à s’adapter aux changements climatiques et à répondre aux futurs besoins alimentaires.
Corentin : Une problématique très actuelle en somme.
Oui, et il y a peut-être une lueur d’espoir car le parlement européen a voté en avril dernier, un texte qui autorisera en 2021, les agriculteurs à vendre des semences bio non homologuées. Un petit pas vers la fin du monopoles des multinationales semencières, peut-être...
Corentin : On l’espère. C’est un gros noeud gordien quoi qu’il en soit. Merci de nous avoir exposé cette problématique Laura, et à très vite !
Standardisation de l’agriculture : le coup de semences des corporations
Si vous trouvez que tous les légumes se ressemblent, voire sont fades, peut-être est-ce dû à la standardisation des semences. En effet, l’uniformisation du patrimoine génétique des plants est une problématique importante dans l’agriculture et c’est Laura Aupiais qui vient trier le bon grain de l’ivraie pour nous.
0:00
8:37
Vous êtes sur une page de podcast. En cas de difficulté pour écouter ce document sonore, vous pouvez consulter sa retranscription rapide ci-dessous.