C – Aujourd’hui Geoffroy Husson de Tom’s Guide vient nous parler du monde fantastique d’Android et de la décision rendue mi-juillet par la Commission européenne. Bonjour Geoffroy !
G – Bonjour Corentin, on est les champions !
C – Euh… on est les champions à toi aussi, j’imagine…
G – Oui pardon, c’est comme ça que je me suis promis de dire bonjour pendant quatre ans. Bon, on en était où ? Ah oui, Android. Tu arrives à imaginer ce que ça représente, 4,3 milliards d’euros, toi ?
C – Non, aucune idée.
G – Eh bien moi non plus, mais pourtant Google va bien devoir trouver une réponse, parce que c’est le montant de l’amende qui lui a été infligée par la Commission européenne le 18 juillet 2018 pour abus de position dominante, et c’est de ça dont on va parler.
C – C’est encore une histoire de smartphone, c’est ça ?
G – C’est tout à fait ça et on va prendre les points un par un. En fait, Google en plus de son moteur de recherche est également éditeur de logiciels et notamment d’Android, le système d’exploitation qui équipe près de 80% des smartphones en Europe. Donc là déjà, on a clairement ce qu’on appelle une position dominante.
C – Et c’est grave ?
G – Non, pas en tant que tel. C’est la loi du marché et il y a forcément des acteurs qui sont en position dominante. C’est le cas de Google pour les systèmes de smartphones, de Microsoft pour ceux d’ordinateurs ou d’Orange chez les opérateurs mobiles. En soi, il n’y a pas de problème. En revanche, ce que l’Union européenne interdit depuis 1957, ce sont les abus de position dominante.
C – Comment tu peux abuser d’une position dominante ?
G – Eh bien par exemple en forçant l’utilisation d’un autre de tes produits par les utilisateurs en l’installant de base sur ton appareil. C’est ce qui était arrivé à Microsoft en 2013, comme l’a rappelé récemment France 24.
[Insert France 24]
C – On est quand même loin de 4,3 milliards de Google là.
G – Oui et pour ça je vais te parler un petit peu des coulisses de la fabrication d’un smartphone chez un constructeur.
C – Oh, chouette alors !
G – En théorie, n’importe qui peut fabriquer un smartphone et l’équiper d’Android. Même toi ! Si demain tu as les moyens matériels et techniques, tu peux fabriquer le Kocobe Phone. Sauf qu’il aura beau avoir un super processeur, de magnifiques appareils photo et un écran sans aucun rebord, il faudra bien un logiciel pour qu’il tourne. Et c’est là que tu vas donc installer Android.
C – Et ça coûte cher ça, d’installer Android ?
G – Non, c’est ça le plus fort, la licence est complètement gratuite pour les constructeurs. Ils n’ont rien à payer. C’est libre, sans condition, tu peux le modifier autant que tu veux, t’amuser avec, changer l’interface, c’est vraiment l’idéal. Par contre, si tu veux pouvoir bénéficier de la plus grosse boutique d’applications d’Android, le fameux Google Play Store, il y a quelques conditions.
C – Comment ça ?
G – Tu imagines bien que Google ne fait pas tout ça dans un but philanthropique. Ils savent que leur système est bien conçu et bien développé, mais qu’il n’a que peu d’intérêt si les gens ne peuvent pas installer d’applications. Du coup ils demandent aux constructeurs qui voudraient le Google Play Store, de préinstaller également certaines applications. C’est pour ça que, lorsque tu allumes un smartphone Android pour la première fois tu vas te retrouver avec tout un lot d’applications Google préinstallées. C’est le cas de Gmail, mais aussi de Google Maps, du navigateur Chrome, du moteur de recherche Google ou de Google Play Musique.
C – Eh bah c’est pas grave, on peut les désinstaller
G – Justement non, c’est bien tout le problème. Évidemment le constructeur ne peut pas les supprimer, mais les utilisateurs non plus. C’est la condition sine qua non pour pouvoir bénéficier du Google Play Store. Le problème c’est que derrière, lorsqu’un utilisateur a déjà le moteur de recherche Google installé de base sur son smartphone, il n’a aucun intérêt à installer Qwant ou Bing. Pareil pour Nokia Here puisqu’il y a Google Maps. Ou Opera puisqu’il y a Chrome. Sans même parler des applications des constructeurs qui sont forcément moins utilisées que si elles étaient toutes seules, sans la concurrence forcée de Google au sein même de leurs appareils.
C – D’accord, donc je vois, on se retrouve avec le même problème que celui dont tu parlais pour Microsoft.
G – Eh oui, c’est en ça qu’il y a abus de position dominante. Parce que déjà il y a position dominante, contrairement à Apple avec iOS qui n’équipe que 24 % du marché des smartphones en Europe. Ensuite parce que Google impose ses propres applications au sein même d’Android, empêchant ainsi une concurrence saine entre différents développeurs. Et cette fois, ça ne touche pas que le navigateur, mais aussi la recherche. En tous cas ce sont les deux applications pointées du doigt par la Commission européenne.
C – Et tu penses qu’il va y avoir des conséquences à cette amende ?
G – Alors d’abord, Google a d’ores et déjà annoncé qu’ils allaient faire appel de la décision. Donc pour l’instant, rien n’est gagné même si franchement j’ai du mal à comprendre comment ils vont défendre leur cause.
Ensuite Google n’a pas été long à sortir une menace de poids : celle de la fin de la gratuité d’Android pour les constructeurs.
C – Parce qu’ils ne feront plus d’argent ?
G – Exactement ! Tout l’intérêt d’Android pour Google était de pouvoir faire installer ses propres applications, et donc d’avoir davantage de comptes et de données des utilisateurs. S’ils ne peuvent plus le faire, le modèle économique d’Android n’a plus aucune raison d’être. Donc le seul moyen de se faire de l’argent dessus serait de le rendre payant pour les constructeurs qui voudraient le Google Play Store.
C – Et j’imagine que ça augmenterait de fait le prix des smartphones puisque ce sont toujours les utilisateurs finaux qui trinquent. On a une idée du prix que ça pourrait ajouter au coût d’un smartphone ?
G – Non, Google n’a pas communiqué dessus. En revanche, on peut se baser sur d’autres cas. Avant Android, il y avait deux autres systèmes d’exploitation qui étaient vendus sous licence auprès des constructeurs : Symbian et Windows Phone. Ça remonte à une dizaine d’années évidemment, mais à l’époque, on sait que le prix de la licence Windows Phone était de 23 à 30 dollars. C’est finalement ce prix qui pourrait être ajouté à celui des smartphones Android. Et autant sur un appareil à près de 1000 euros, ça ne représente pas grand-chose, autant pour un smartphone à 200 euros, ça représenterait plus de 10 % du prix, c’est énorme.
C – Du coup il y aurait des alternatives ?
G – Tout à fait. On sait que Samsung avait déjà développé son propre système d’exploitation pour faire face à Android, Tizen. J’en parlais dans ma chronique sur les rapports entre Google et les constructeurs, à retrouver dans le brunch. Du côté de Huawei il y a aussi un OS dans les tuyaux, prêt à être sorti en tout dernier recours. C’est ce qu’expliquait récemment le Youtubeur Guillaume Slash.
[Insert Guillaume Slash]
G – Personnellement ce sont des solutions auxquelles je ne crois pas, parce que l’écosystème des applications Android est trop important pour que les constructeurs se permettent de faire l’impasse dessus. Je pense surtout qu’il va falloir prendre notre mal en patience et, comme toujours, se préparer à payer une petite somme supplémentaire pour au moins pouvoir désinstaller les applications Google que l’on veut.
C – Merci Geoffroy et à très bientôt !
Android : Google en abus d’applications dominantes
Le 18 juillet 2018, l’Union européenne a infligé une très lourde amende de 4,3 milliards d’euros à Google pour abus de position dominante. Alors que l’entreprise a déjà annoncé vouloir faire appel, Geoffroy Husson de « Tom’s Guide » nous explique ce qui lui est reproché exactement.
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