USA Vs Chine, la guerre numérique passera par Grindr
Corentin : Mais que vient faire Grindr dans la guerre commerciale et numérique que se livrent les États-Unis et la Chine depuis plusieurs mois ? Alors que Huawei a fait son entrée sur la liste noire des entreprises présentant un risque pour la sécurité nationale américaine, l’application de rencontres gay est également suspectée de mettre en péril les intérêts américains. Élodie Carcolse de la Réclame revient sur cette surprenante affaire.
Élodie : Bonjour Corentin ! Eh oui, la guerre commerciale retentissante que se livrent les États-Unis et la Chine sur fonds de droits de douane a pris un tournant inattendu avec la discrète mise au ban de Grindr en mars dernier. L’application de rencontres pour personnes gay, bi, trans et queer est la dernière victime collatérale de cette bataille sans merci et très médiatique opposant les deux pays. Une montée en tension qui a atteint son apogée récemment avec la “mise en quarantaine” numérique et économique de Huawei sur le territoire américain.
Corentin : Oui, gros temps pour Huawei en ce moment. Mais l’entreprise est dans le collimateur des États-Unis depuis plusieurs mois, non ?
Élodie : En effet, dans cette crise ouverte avec la Chine, Huawei sert autant de moyen de pression, que d’arbre qui cache la forêt des intérêts à l’oeuvre. La firme suscite notamment les craintes de l’administration américaine en raison de sa proximité supposée avec le gouvernement chinois.
Corentin : Oui, rappelons que son fondateur, Ren Zhengfei, est un ancien soldat de l’armée chinoise et membre du Parti communiste chinois.
Élodie : Voilà, et une fois n’est pas coutume dans leurs relations avec la présidence américaine, six agences de renseignement, dont la CIA, le FBI et la NSA, sont au diapason et estiment qu’il existe un véritable risque d’être espionné par l’Empire du Milieu.
Corentin : Et elles savent sans doute de quoi elles parlent...
Élodie : Oui, ces attaques ne manquent pas d’ironie. Dans cette crise commerciale et numérique, il est avant tout question de guerre d’influence pour la domination mondiale. Ce sont deux modèles économique, politique et culturel qui s’affrontent.
Corentin : Oui c’était assez flagrant de voir qu’au moment où Donald Trump semblait tenté par le protectionnisme avec son America First, Xi Jinping opérait le chemin inverse en se faisant le chantre de la mondialisation et de l’ouverture, comme en janvier 2017 devant le Forum économique mondial à Davos.
Élodie : Exactement. Bon, une ouverture sous contrôle du parti communiste chinois et qui ressemble follement à du protectionnisme, mais passons. Depuis lors, les tensions n’ont fait que s’intensifier entre les deux puissances. L’année dernière, Huawei a été banni du Pentagone et d’autres administrations gouvernementales et la federal communication commission a bloqué les ventes d’équipements télécoms de Huawei et son homologues ZTE aux opérateurs américains. Signant son exclusion de facto du prometteur et juteux marché de la 5G alors que Huawei en est le futur leader.
Corentin : Oui, et si ça peut faire leurs affaires au passage c’est tout bénéf.
Élodie : Comme on dit : “Là où il y a de la gêne…” Huawei est accessoirement le premier équipementier télécom mondial et numéro deux sur le marché des smartphones. Aujourd’hui, son placement sur liste noire empêche les entreprises américaines de commercer avec la firme chinoise de quelque manière que ce soit : Google, Intel et Qualcomm vouloir rompre ses liens avec elle. Huawei semble de plus en plus isolée sur la scène internationale, et outre le sérieux retard que la firme pourrait accuser sur la 5G, cela met en péril l’approvisionnement crucial du géant chinois en composants électroniques made in USA.
Corentin : C’est ce qui fait dire à la Chine que les États-Unis s’adonnent à du « terrorisme économique ».
Élodie : Effectivement. Écoutons Lu Kang, le porte-parole des Affaires étrangères chinoises, le 31 mai dernier lors d’une conférence de presse :
EXTRAIT 0’16 >> 0’27 http://www.lefigaro.fr/conjoncture/la-chine-accuse-les-etats-unis-de-harcelement-et-terrorisme-economique-20190531
Traduction : Le vice-ministre Zhang Hanhui a jugé certaines actions des USA comme constituant du terrorisme économique typique, de la brutalité économique, et de l’unilatéralité économique : il a fait des critiques envers les USA.
Élodie : Des pressions significatives que l’on retrouve également dans le cas Grindr, passé relativement inaperçu. Pourtant, il dit beaucoup du climat ambiant et de la guerre absolue que se livrent les États-Unis et la Chine.
Corentin : C’est vrai qu’on se demande ce que Grindr est venu faire dans cette galère...
Élodie : pour vous planter le décor, en 2016, Beijin Kunlun Tech, conglomérat chinois axé sur les jeux vidéo, débourse 93 millions de dollars pour s’offrir 60% de Grindr, créée en 2009 en Californie. Puis d’autres millions suivront deux ans plus tard pour acquérir les 40% restants. Pourtant, au mois de mai dernier, l’entreprise annonce sa revente avant le 30 juin 2020.
Corentin : Hum oui, la décision semble surprenante. Pourquoi une telle précipitation ?
Élodie : Point de précipitation. En mars, le comité sur les investissements étrangers aux États-Unis a tout simplement ordonné à Kunlun Tech de revendre Grindr en invoquant des raisons de sécurité nationale.
Corentin : C’est pratique, mais encore ?
Élodie : Les États-Unis craignent tout particulièrement les “data localisation laws”. Des lois qui obligent les entreprises chinoises à localiser leurs données sur le territoire national. Laissant au gouvernement, la possibilité d’accéder aux data centers.
Corentin : Oui d’ailleurs, une loi similaire existe en Russie et impose à toute entreprise de stocker les données utilisateurs sur des serveurs russes. Disposition qui avait déjà créé nombre de tensions.
Elodie : L’application Grindr revendique quant à elle 4,5 millions d’utilisateurs actifs à travers le monde. Les autorités chinoises pourraient, de fait, accéder à certaines informations sensibles. À savoir leur identité, préférences, séropositivité éventuelle, localisation et photos intimes. Avec un risque supplémentaire pour les personnes qui n’auraient pas encore effectué leur coming out.
Corentin : La Chine n’est pas connue pour être très tolérante sur le sujet qui plus est. Rela, une application de rencontres pour les femmes lesbiennes (gay et queer), a d’ailleurs été fermée en 2017.
Élodie : Exactement. En pleine négociations commerciales, la moindre carte pourrait être bonne à jouer. Les autorités américaines craignent notamment que les données dont dispose Grindr, et potentiellement le gouvernement chinois, soient utilisées pour ficher ou faire pression sur des agents gouvernementaux ou militaires ayant accès à des dossiers sensibles.
Corentin : D’où les craintes pour la sécurité nationale évoquée par le comité sur les investissements étrangers aux États-Unis. Celui-ci réunit 11 agences fédérales, dont le département du Trésor, de la Défense et du Commerce, mais aussi le département de la sécurité intérieure.
Élodie : Une crainte qui paraît justifiée au regard de l’actualité récente de Grindr. D’anciens développeurs ont révélé à Reuters que les données de millions d’utilisateurs de l’application n’avaient pas été correctement protégées. Les développeurs de Kunlun Tech ont ainsi pu accéder aux données de millions de personnes pendant plusieurs mois l’année dernière.
Sommée de vendre, Kunlun Tech a promis de ne pas accéder aux données des utilisateurs ni transmettre des informations sensibles aux entités chinoises d’ici là. Mais comme le pointe l’ONG de défense des droits numériques privacy International, il serait hypocrite d’évoquer uniquement les activités chinoises : “Il est inquiétant que l’ensemble des utilisateurs de Grindr, peu importe leur nationalité, soient à la merci d’un gouvernement, que ce soit le gouvernement chinois ou américain.” Fin de citation. Reste à savoir si l’entreprise réussira à trouver repreneur dans ce contexte tendu. La Chine a d’ores et déjà menacé de bloquer l’exportation de terres rares vers les Etats-Unis. Matériaux essentiels à l’industrie américaine et notamment à la fabrication de nos chers et indispensables smartphones.
Corentin : Dans cette guerre pour la domination mondiale, de Grindr à Huawei, les utilisateurs semblent être la dernière variable d’ajustement… bla bla
Dans la guerre entre les États-Unis et la Chine, Grindr n’est qu’un autre champ de bataille
Si l’exemple de Huawei est souvent cité pour illustrer la guerre économique que se livrent actuellement la Chine et les États-Unis, d’autres acteurs se retrouvent entre le marteau et l’enclume. Aujourd’hui, on analyse le cas de Grindr avec Élodie Carcolse de « La Réclame ».
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