Corentin : On fête pas mal de choses en 2018. Il y a bien entendu les 50 ans de mai 68, les 100 ans de la signature de l’armistice de la Première Guerre mondiale, les 400 ans du début de la guerre de Trente ans, et tous ces événements dont tu nous as déjà parlé et qui sont disponibles dans le brunch : les 160 ans des relations franco-japonaises, le 2350 ans du siège de Tyr et les 70 ans de la création de la Corée du Nord. Donc qu’est-ce que ça sera aujourd’hui ?
Thomas : Aujourd’hui, nous allons parler d’un événement récent qui est pourtant déjà entré dans l’histoire. On va parler de la crise économique qui frappe pleinement le monde à partir de 2008. Et on va se concentrer en particulier sur le cas de la banque américaine Lehman Brothers, symbole de ce qui a précipité cette crise mondiale. Cette banque est mise en banqueroute le 15 septembre 2008.
En histoire, on va parler d’histoire du temps présent, puisque l’essentiel des personnes qui ont traversé cette crise, comme toi et moi, sont encore en vie, et que l’événement a toujours des conséquences très directes sur nos vies.
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Corentin : On aura reconnu le grand Alain Bashung dont la petite entreprise, contrairement à Lehman Brothers, ne connaît pas la crise. Donc avant qu’on mette les mains dans le dur sur la faillite de cette banque, est-ce que tu peux nous expliquer comment on en est arrivé là ?
Thomas : Fatalement, on va faire un peu d’économie, si tu me le permets. Après l’éclatement de la bulle Internet au tournant du millénaire, et les attaques terroristes du 11 septembre, deux événements qui ont considérablement touché les marchés financiers internationaux, les banques d’investissement américaines ont choisi de se tourner vers des choses plus concrètes, à savoir l’immobilier. Le rêve américain, c’est aussi celui de la maison individuelle pavillonnaire, après tout.
Dans ce contexte, de nombreuses personnes à qui on n’aurait pas prêté d’argent en temps normal parce qu’elles présentaient des situations à risque ont pu accéder à la propriété. La garantie des banques, en cas de défaut de paiement, c’était simplement la maison, qui pouvait être hypothéquée. Ces emprunts à risques, on les connaît aujourd’hui sous le nom de subprimes.
Corentin : Ah, les fameuses subprimes ! Mais du coup, quel était le risque ? Parce que bon, comme on dit, quand l’immobilier va, tout va, pas vrai !
Thomas : Ca, c’est le dicton qui dit ça ! Mais la réalité est évidemment beaucoup plus compliquée. L’intérêt des subprimes, quand on est une banque, c’est que, certes le risque est élevé, mais les retours sur investissement également. On risque beaucoup pour rapporter gros, quoi. Sauf que ça a créé plusieurs bulles. D’abord une bulle immobilière, avec de nombreuses personnes accédant à la propriété. Et ces personnes nourrissaient elles-mêmes une bulle de crédit, puisqu’elles contractaient des subprimes.
Corentin : Ah, je vois. Tant que le marché de l’immobilier est stable, ça va, la banque peut saisir la maison du mauvais payeur, et rembourser son investissement dessus. Mais si le prix de l’immobilier chute, ça n’augure rien de bon.
Thomas : Et c’est exactement ce qu’il s’est passé : à partir de 2006, l’immobilier américain est en crise. Jusqu’au milieu 2007, ce marché perd 20% de sa valeur. Une première mesure va consister en une augmentation des taux d’intérêts sur les subprimes. Mais comme les personnes les ayant contracté avaient peu de moyen, la situation est vite devenue intolérable.
On se retrouve donc avec des biens immobiliers dévalués, valant moins chers que leur prix de départ. Les banques d’investissement se retrouvent sans moyen de rééquilibrer leurs bilans, avec des maisons sans valeur sur les bras. Les observateurs de l’époque estiment qu’entre un et 3 millions d’américains risquent de se retrouver à la rue. Cette crise, d’abord américaine, va s’étendre rapidement au reste du monde, les différentes banques du monde investissant dans les marchés internationaux, via différents engagements.
Corentin : On voit à peu près comment ces événements ont pu conduire à la fermeture de certaines banques. Mais qu’a à voir Lehman Brothers dans cette histoire ?
Thomas : A l’automne 2008, une grande opération de sauvetage des banques est mise en place à l’échelle mondiale. Le Royaume-Uni va nationaliser certaines banques, les banques allemandes vont s’entraider, et le gouvernement fédéral américain va mettre sous tutelle deux des sociétés de crédit les plus importantes du pays : Freddie Mac et Fanny Mae. C’est l’époque du “too big to fail”, qui veut qu’une structure avec énormément d’actifs comme les deux que je viens de mentionner ne peuvent pas être mises en faillite.
Et à côté, il y a Lehman Brothers. La banque avait essayé, en vain, de couper les ponts avec les subprimes au plus fort de la crise. Et alors que d’autres structures étaient sauvées par le gouvernement américain, Lehman Brothers ne trouve pas de repreneurs. D’où la mise en faillite. Cette banqueroute va agiter les marchés financiers internationaux, notamment les actions du secteur bancaire, qui vont perdre énormément de valeur pendant les mois de septembre et octobre 2008. C’est ce qui est expliqué dans ce reportage du 20 heures de France 2, daté du 15 septembre 2008.
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Aux Etats-Unis, c’est la quatrième banque d’investissement. Elle est aujourd’hui en faillite. Crise de confiance, contagion immédiate sur toutes les bourses de la planète : Bombay, -5%, Taiwan, -4%, Francfort, -2,7%. A Paris, la baisse dépasse les 4%. Inquiétude, moins de consommation, moins d’investissement, moins d’emploi : notre croissance économique est affectée.
Corentin : Donc si je résume, ce qui était au départ une crise bancaire américaine, liée à une crise immobilière, est devenue une crise bancaire et financière mondiale. Quelles leçons a-t-on retenu de tout ça ?
Thomas : C’est encore difficile à dire aujourd’hui. Certes, des banques ont fermé, et des banquiers - Bernard Madoff en tête - ont été arrêtés pour avoir joué avec l’argent de leurs clients et celui des Etats. Dans les années qui ont suivi la crise immédiate, les pays du G20 se sont retrouvé régulièrement pour discuter de l’architecture financière et bancaire, notamment du rôle de l’Etat dans la finance. Une réforme du système financier a même vu le jour aux Etats-Unis et dans l’Union Européenne.
Cependant, in fine, rien n’a fondamentalement changé. Les banques continuent de fonctionner de la même manière, et la gestion des risques financiers n’a pas vraiment évolué. Même si cette crise est à présent derrière nous, il est fort probable que d’autres épisodes similaires arrivent dans le futur.
Corentin : On finit donc sur une note pleine d’espoir ! Merci Thomas, et à bientôt !
Lehman Brothers : ma petite entreprise connaît bien la crise
Il y a dix ans, la crise des subprimes démarrait aux États-Unis et faisait une de ses victimes les plus connues : Lehman Brothers. On revient sur cet effondrement spectaculaire du monde de la finance avec Thomas Hajdukowicz.
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