Corentin : C’est le genre de nouvelles dont on entend très peu parler. Mardi 12 décembre 2017, Solène, 18 ans, étudiante en première année de médecine à Marseille, se donne la mort. Le jour même de son concours de médecine. Rapidement, l’hypothèse selon laquelle le concours serait la raison de son geste est balayée, autant par le corps enseignant que les étudiants sur les réseaux sociaux. Mais, comme un catalyseur, ce drame s’est retrouvé au coeur d’un hashtag sur twitter, devenu viral en quelques heures dans la communauté médicale :
#balancetapaces. Des centaines de tweets apparaissent alors, dénonçant un système de sélection cruel pour les étudiants à peine diplômés du secondaire. Audrey Travère, tu t’es intéressée à cette problématique peu traité...
Audrey : C’est vrai qu’on ne parle que trop rarement des problématiques liées au mal-être des adolescents ou des étudiants. Après tout, on pourrait se dire : “qu’il y a pire comme problème”, “que ça forge le caractère”, “qu’il faut bien passer par là pour atteindre le statut prestigieux de médecin”… Et comme il n’est pas toujours facile de se mettre à leur place, surtout passé un certain âge, je vous invite à consulter ce hashtag. Balance ta paces donc. On y retrouve beaucoup d’étudiants en grande partie épuisés, découragés, anxieux voir déprimés. Beaucoup parlent de la peur d’être jugé suite à leur échec. Du regard des autres. De leurs parents surtout. Certains parlent même de crises d’angoisse ou de boulimie.
C : Effectivement les exemples sont parlants. Mais, c’est quoi la PACES Audrey ? Parce quand on a pas fait médecine, ça semble un peu obscur !
A : Oui, je m’adresse donc ici aux profanes : La PACES, c’est l’acronyme pour “première année communes aux études de santé”. le passage obligé pour tous les étudiants voulant intégrer les études de médecines … mais aussi celles de dentaires, de pharmacie ou de maieutique, c’est à dire, la formation pour devenir sages-femmes. Pour intégrer l’un de ces cursus, il faut donc réussir cette première année décisive, et les deux examens qui la compose… et -évidemment - ces deux examens sont très TRÈS difficile.
C : c’est notamment à cause du fameux “numerus clausus” ?
A : Tout à fait : les places coûtent très cher. Chaque année, le ministère de l’enseignement supérieur et celui de la santé fixent un nombre de place limitées pour les filières de santé. Cette année par exemple, 13 433 étudiants pourront intégrer l’une des 4 filières accessible après la PACES… Et ça se traduit dans le faible taux de réussite : En moyenne l’an passé, seul 2 étudiants sur 10 sont passés en deuxième année… Autre chiffre, parce que j’aime bien ça, celui de l’université la plus difficile à intégrer : … Et celle de d’Aix-Marseille, avec seulement 12,1% de réussite… soit 1 étudiant sélectionné sur 10 inscrits.
C : Beaucoup de candidats pour très peu d’élus …
A : Pour réussir, il faudra donc à tout ces étudiants des nerfs d’acier pour supporter la pression. Une pression personnelle déjà : le concours est tellement exigeant que, pour réussir, il ne faut se laisser aucun répit. Quitte à étudier des heures sans vraiment prendre de pauses.
Mais c’est bien celle des autres qui est encore plus dure à vivre : En s’engageant dans cette voie, chacun des inscrits veut réussir cette première année. Et le plus souvent, cela passe par l’inscription dans une prépa privée coûteuse. l’ANEMF, l’association nationale des étudiants en médecine, estime que 75% des étudiants passent par ces organismes, dont les tarifs varient - en moyenne - de 1500 à 3000 euros par an.
C : Ah oui, sacré somme !
A : C’est donc effectivement un investissement conséquent pour les parents… Alors imaginez-vous sortant à peine du lycée, devoir annoncer à vos parents que, malgré la prépa et les heures de révisions, vous ne passez pas en deuxième année … Et à seulement 18 ou 19 ans, on a pas forcément les épaules pour supporter cette pression.
A ça, il faut ajouter la concurrence impitoyable entre élèves ! Avec un taux d’échec de 80% en moyenne, beaucoup se retrouvent à redoubler leur PACES. Alors à la rentrée, primants et doublants se cotoient dans les mêmes amphis bondés … avec le même objectif. On se retrouve alors avec certains redoublants - une minorité - qui cherchent à destabiliser leurs concurrents directs … notamment en faisant du bruit pendant les cours magistraux. voilà, c’est ce qu’on entend ici…
[son amphi]
Résultat, les petits nouveaux ne peuvent pas suivre alors que les anciens ont eux déjà le cours … et n’entendent pas le partager !
C: C’est du chacun pour soi, donc
A : En tout cas, c’est souvent le cas. Et ça peut être difficile à vivre. D’autant plus que les révisions intensives entraînent un isolement non négligeable. A ce sujet, j’ai voulu parler avec un des étudiants qui s’exprimait sur le hashtag balance ta paces. J’ai donc contacté Anthony, ou “douzerie” sur twitter, étudiant en pharmacie à Lyon. Lui aussi était un doublant, mais pas du genre à crier en amphi, je vous rassure. Pour gérer le stress et affronter la solitude qui le pesait un peu pendant ses révisions, il a commencé à faire des vines, ces petites vidéos de 6 secondes, dans lesquels il racontait son quotidien d’étudiant avec humour … et il a réussi à se construire une petite notoriété dans le milieu des étudiants en santé ! Il a maintenant une chaine youtube sur laquelle il raconte sa vie d’étudiant en pharmacie et où il donne ses conseils pour réussir …
[son vidéo]
Lui a fini par y arriver mais il s’inquiète, comme beaucoup de ses camarades, sur les conséquences de cette pression
[passage “qu’est ce qu’on attend” ?]
Alors évidemment, la PACES n’est pas directement responsable. Mais l’intensité de travail, l’isolement et la pression qui entourent cette année décisive peut provoquer stress et perte de confiance en soi, augmentant les risques d’anxiété, de dépression et d’idées noires. Des conséquences d’autant plus difficile à vivre pour les étudiants déjà fragilisés psychologiquement par le passé … On pense notamment au harcélement scolaire ou des dépressions durant l’adolescence. A ce sujet, une enquête sur la santé mentale des étudiants, éditée par plusieurs syndicats d’étudiants et d’internes, révélait que 66% d’entre eux, de la première à la dernière années, souffrent de trouble de l’anxiété… contre seulement 26% sur l’ensemble des français. De même, ils seraient près de 28 % atteints de troubles dépressifs, contre 10 % de la population.
C : Bon, c’est assez terrible comme situation. Y’a rien qui est fait ?
A : Si si ! Même si le problème des risques psychosociaux restent tabous dans ce milieu - un comble quand même - les universités et les étudiants tentent de résoudre le problème. Pour ce qui est des prépa privées, les facultés ont mis en place des système de tutorats gratuits. Les étudiants de 2ème et 3ème année organisent des cours où les étudiants peuvent tester leurs connaissances et dans certains cas, les cours sont directement distribués … Un bon moyen de régler la question de l’égalité des chances- ou de l’inégalité, au choix - face à la réussite.
C : Et pour le concours en lui même ? Qu’est-ce qu’on peut faire ?
A : Eh bien des alternatives au PACES dans sa forme actuelle sont étudiées dans plusieurs universités. Certaines facultés proposent des parcours plus généraux pour favoriser le contrôle continue et faciliter la réorientation en cas d’échec. C’est le cas par exemple à Angers : là bas, les étudiants suivent un tronc commun à toutes les études de santé pendant 1 an, sans examen éliminatoire en décembre. A L’issue de cette première année, la sélection est basée sur les notes obtenues durant l’année et dans certains cas, un oral de motivation.
Autre piste étudiée … et entérinée par la réforme de l’entrée à l’université début décembre : : la sélection des étudiants lorsque le nombre maximum de places disponibles est atteint. Une fausse solution pour les syndicats étudiants comme la FAGE ou l’ANEMF, qui préféreraient voir les moyens et les capacités d’accueil des facultés augmenter ...
C : Merci Audrey pour avoir mis en lumière ces situations particulièrement tendues que vivent encore aujourd’hui les étudiants en médecine.
En première année de médecine, des étudiants sous pression
Suite au suicide d’une étudiante en première année de médecine à Marseille, des étudiants ont crée en décembre dernier le hashtag twitter #BalanceTaPACES. Le but : dénoncer un système de sélection à leur goût trop cruel pour des élèves à peine diplômés du secondaire. Audrey Travère vous explique pourquoi ces étudiants sont à bout.
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