Profession Journaliste : Tout le monde veut devenir un Cat (et passer par une école reconnue)
Corentin : Les résultats d’admission commencent à tomber au compte-gouttes. Et non, je ne parle pas de Parcoursup mais des concours aux grandes écoles de journalisme. … Oryane tu as suivi la prépa de l’Académie de l’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille, tu es donc particulièrement concernée. Et tu vas essayer aujourd’hui de nous décrypter l’enjeu de ces formations !
Oryane : Exactement ! ça fait maintenant plusieurs années que je prépare ce “J’ai testé pour vous” - Comme on a du budget aux Croissants - et je vais te parler aujourd’hui de l’importance d’intégrer un cursus reconnu.
Chaque années ils sont des centaines à tenter les redoutables concours aux grandes écoles de journalisme. Parfois pour la 2e voire la 3e fois. Pour vous donner une idée. D’après le sociologue Samuel Bouron : Au début des années 2000, le nombre de candidats aux grandes écoles reconnues oscillait entre 400 et 1 300 selon les établissements. Sachant que ces formations comptent entre 20 et 56 places. Et je te “rassure”, on est actuellement toujours sur ce même ratio.
C : Alors dit comme ça, le niveau de sélection me parait encore plus important que celui des concours de médecine.
O : Un peu, c’est vrai. Mais à la différence près que contrairement aux professions de la santé, il n’y a pas de diplôme requis ou de règle officielle pour être journaliste. Tu peux très bien décrocher un contrat en alternance au Monde avec le CFPJ -une formation non reconnue- et y devenir rédacteur en chef adjoint. Tu peux aussi franchir les portes de Libé un peu par hasard pour t’occuper de l’administratif et finalement terminer journaliste politique.
Tu peux même étudier la communication politique, vivre une élection présidentielle de l’intérieur, devenir journaliste spécialisé en jeu vidéo et finir rédacteur en chef d’une matinale radio « intelligente », innovante, et personnalisée.
C : Mais nan ça n’existe pas ça
O : Et pourtant. Tous ces exemples sont parfaitement vrais !
…Bref. Chance, hasard ou appel d’air au fil de l’évolution de ce métier, il est possible de devenir journaliste sans passer par une école.
D’ailleurs, si on jette un oeil aux données de l’observatoire des métiers de la presse, on se rend compte qu’en 2016 par exemple 80% des journalistes encartés ne sortaient pas d’un Cursus reconnu par la profession. Rien de très étonnant donc à croiser ces parcours qui paraissent “atypiques”
C : Et si cet éventail de profils est jugé atypique, c’est quoi le parcours type du journaliste ?
O : Bonne question ! Pour ça je te propose d’écouter un extrait d’une interview de « Cette fois c’est la bonne », un projet d’un certain Benjamin Benoit. Cloé Woitier actuellement journaliste au Figaro, y détaille son parcours.
(0:37-0:53 https://www.youtube.com/watch?v=qvMs8VjwXPA&t=46s)
« J’ai fait le parcours classique : c’est à dire j’ai fait un IEP de province, à Lille. Et ensuite j’ai fait l’ESJ Lille. Donc parcours très classique. Et derrière ça j’ai commencé au Monde.fr. Ensuite je suis partie au Figaro.fr. Puis Figaro tout court. »
Si elle décrit son parcours comme “Classique”, c’est parce que le cas de Chloé Woitier, sortie de l’ESJ Lille en 2010, est loin d’être unique.
Une enquête basée sur les données de la Commission de la Carte d’Identité des Journalistes Professionnels / ainsi que l’Institut français de presse / observe aussi que la part des diplômés en journalisme passés au préalable par un IEP a augmenté en 15 ans / De 7 % en 1998 elle est ainsi passée à 11 % en 2013.
Et si ça peut paraître peu, on se rend compte que ce chiffre est concentré dans les meilleures écoles. Si on prend la 90e promo de l’ESJ Lille par exemple, rentrée en 2014. Sur 60 étudiants, 16 sortaient de Sciences Po. Soit plus du quart de cette promotion.
C : Mais si ce n’est pas obligatoire, sortir d’une grande école présente quelques avantages quand-même
O : Intégrer une école, c’est intégrer un réseau qui pourra faciliter ta recherche de stage ou d’emplois. Certaines rédactions ont parfois aussi pris l’habitude d’exiger des étudiants d’école reconnues dans leurs offres de stages. C’est également un critère nécessaire pour participer à plusieurs concours mettant en jeu des CDD dans des grands médias. Sans compter que le seul fait d’avoir un “label” prestigieux sur son CV est évidemment un avantage pour justifier de sa légitimité et se faire embaucher.
Finalement, on voit que si les écoles ne sont pas officiellement nécessaires, elles constituent néanmoins une “voie royale” pour accéder aux grandes rédactions nationales.
Et ce n’est pas forcément une bonne chose comme le souligne Sonia Devillers dans l’Instant M de France Inter en mars dernier
(https://www.franceinter.fr/emissions/l-edito-m/l-edito-m-12-mars-2018 1’40-1’45...1’58-2’26)
“…Aujourd’hui on s’engueule beaucoup moins, on se ressemble beaucoup trop… au risque de plus ressembler à personne.”
Ne plus s’adresser aux Français parce qu’on ne les représente plus. Avoir des analyses complètement biaisées et peu pertinentes / parce que l’on est coupé du monde, dans sa bulle de bobo-urbain-Parisien. Forcément aussi blanc, aisé, hétéro, valide, éduqué. -J’en oublie sûrement.- Privilégié. Voilà le risque que certains dénoncent dans le système des grandes écoles de journalisme.
C : Alors pour essayer de lutter contre la discrimination sociale et ouvrir les portes de ce domaine qui concerne -tout le monde-, les écoles soutiennent depuis longtemps des dispositifs d’aides aux concours.
O : On peut par exemple citer la Prépa Egalité Des Chances issue d’un partenariat entre l’ESJ Lille et le Bondy Blog. Ou encore La Chance O concours avec le CFJ. Des prépa gratuites, accessibles sur critères sociaux, et au bon taux de réussite.
C : Et pour essayer de « brasser plus large » d’autres écoles ont également tenté de changer les règles.
O : C’est le cas des très réputés CFJ et Sciences Po Paris qui ont « abandonnés » - ou plutôt modifié - cette année les traditionnelles épreuves écrites. Les candidats doivent désormais remplir un dossier pour mettre en avant leur personnalité et tester leur créativité. L’objectif affiché est de ne pas recaler un profil intéressant pour une simple mauvaise réponse en actu ou en culture G.
On voit aussi émerger des prépa d’un nouveau genre comme l’Academie de l’ESJ Lille.
C : C’est le parcours que tu as suivi, c’est ça ?
O : Tout à fait. Très bonne formation au passage. Ce parcours post-bac a été créé en 2014 pour répondre à une demande bien précise comme l’évoque son directeur, Pierre Savary, sur le plateau de Grand Lille TV.
(extrait : réponse à la question “quelle licence AVANT une école ?” https://www.youtube.com/watch?v=wcepon4-uRU 1’48 - 2’30)
Et les résultats semblent au rendez-vous. L’année dernière, près de 60% des étudiants de la 1ere promotion de l’académie ESJ Lille ont ainsi été admis dans les écoles de journalisme reconnues par la profession.
Sur un modèle similaire, le CUEJ, à Strasbourg, a annoncé pour la rentrée l’ouverture de sa propre prépa. Une préparation gratuite de quelques heures par semaine dans le cadre d’une « option » de plusieurs licence.
De belles initiatives pour contenter tous les aspirants journalistes ou même les curieux dans une optique d’éducation aux médias. Et une manière d’aborder bien plus sereinement les terribles épreuves… mais...
C : …Mais ?
O : Mais… la multiplication de ce type de cursus signifie peut-être aussi qu’on se dirige vers la généralisation d’un pré-requis. C’est à dire que d’ici quelques années on trouvera impensable de prétendre aux grandes écoles sans avoir déjà fait 3 ans d’initiation au journalisme avant. En fait, on glisse doucement vers une réelle formation de 5 ans en journalisme. Avec une pré-SELECTION en post-bac et un écrémage en master. Bref, en essayant d’ouvrir l’accès on crée plutôt une norme implicite plus élevée qu’auparavant ...Un peu comme si on assistait à une espèce d’inflation des diplômes.
C : Merci Oryane pour ton point de vue sur l’épineuse question des études de journalisme ! Et merci pour ces nombreuses semaines de stage passées en ta compagnie ! Bon courage à toi pour la suite et à bientôt !
Études de journalisme : entre voie royale et portes dérobées
Oryanne Langenbronn, notre toute première stagiaire (ça, on ne pourra jamais lui retirer), nous parle des cursus qui permettent de devenir journaliste. On verra qu’outre les parcours atypiques, il y a des voies royales qui demandent de plus en plus d’années d’études.
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