Corentin : Je sais pas si tu as déjà remarqué, mais la cuisine, je trouve que c’est la seule activité qui mobilise les cinq sens.
Thomas : Alors je suis d’accord avec toi, mais est-ce que tu peux développer ?
Corentin : Bien sûr ! Bon, dans les cinq sens, on a évidemment le goût, qui est le sens principal quand on apprécie ou non de la nourriture. Mais on a aussi l’odorat qui va avec. On a la vue, parce que c’est bien connu, on mange d’abord avec les yeux. Et on a le toucher, pour détecter les différentes températures et textures. Enfin, on a l’ouïe, qui est peut-être le sens le moins mobilisé quand on mange, et pourtant, souviens-toi de cette scène dans Ratatouille.
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Comment peux-tu dire qu’un pain est bon sans y goûter ? Pas l’odeur, ni l’allure, mais le son de la croûte. Ecoute ! Ah ! Symphonie croustillante ! Il n’y a que le bon pain qui sonne comme ça.
Thomas : Hon hon hon, oui oui, baguette… Mais c’est sûr, l’ouïe joue également un rôle important dans notre perception de la nourriture. Tiens, écoute-moi cet autre son, Corentin, et dis-moi si ça ne te met pas en appétit :
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Corentin : Oh, c’est sadique ton truc : nous mettre de la friture dès le matin comme ça, tu veux nous faire saliver avant l’heure du déjeuner ?
Thomas : Alors, non, ça n’est pas du sadisme, mais oui, c’est pour vous faire saliver, et également vous mettre en jambes, parce qu’aujourd’hui, je parle de friture.
Corentin : Tu fais ça parce que c’était Mardi Gras il n’y a pas longtemps ?
Thomas : Il y a un peu de ça, mais il y a surtout le fait qu’il y a quelques temps, tu m’as demandé de le faire, tout simplement :
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Donc voilà, la friture.
Corentin : Eh ben très bien. Bon, déjà, en quoi ça consiste, la friture ?
Thomas : La friture, c’est la cuisson dans de la graisse très chaude. Mais plus que le sauté, comme les pommes de terre sautées dans de la graisse de canard…
Corentin : …tu veux continuer à nous donner faim à ce que je vois…
Thomas : Oui ben il faut bien que je donne des exemples ! Oui, donc contrairement au sauté, qui est une cuisson de surface, la friture implique une immersion du produit à cuire dans la graisse chaude - généralement de l’huile, à au moins 180°C. Car lorsque l’on plonge un aliment dans l’huile chaude, il va commencer à se déshydrater - ça explique les bulles que provoquent la cuisson, qui est en fait l’eau de l’aliment qui s’évapore. Ce processus, où l’aliment est saisi très vite et voit une délicieuse croûte se former à la surface, s’appelle la réaction de Maillard.
Corentin : La réaction de qui ?
Thomas : De Maillard, du nom de Louis-Camille Maillard, le scientifique qui le premier a observé et théorisé cette réaction chimique. Jean-Paul Bonhoure, enseignant-chercheur en sciences des aliments, explique ce processus sur France Bleu Picardie en 2015.
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Maillard, il a découvert que dans les produits alimentaires, il se produisait avec la température une réaction entre les protéines, les fractions azotées d’une part, et les sucres d’autre part, qui conduisait à obtenir des molécules colorées, d’abord jaunes et puis ensuite carrément brunes. Et puis en même temps, d’autres molécules pas colorées mais carrément odorantes qui vont donner ce délicieux arôme de pain grillé, de croissant chaud etc voire de café dans certains cas de figure, que l’on apprécie beaucoup dans les produits alimentaires.
Donc c’est grâce à la réaction de Maillard, couplé au phénomène de caramélisation, que le pain a une belle croûte dorée, que votre steak est appétissant, et évidemment que vos frites sont croustillantes et dorées.
Corentin : La friture apporte donc une cuisson uniforme j’imagine, et de la texture aussi. C’est bon pour les aspects scientifiques qui expliquent les mécanismes de la friture. Mais sait-on à partir de quand les êtres humains commencent à frire leur nourriture ?
Thomas : Eh ben non, on sait pas. En tout cas, on sait pas trop. On sait que les Egyptiens faisaient cuire certains aliments dans la graisse dès le milieu du IIIe millénaire avant JC. Et on sait que les grecs anciens faisaient frire des aliments dans l’huile d’olive au Ve siècle avant notre ère.
Par contre, ce qu’on sait, c’est que la friture est aujourd’hui présente partout dans le monde. Depuis les acras antillais au tofu frit chinois, en passant par les churros espagnols, les mandazi d’Afrique de l’Ouest, les samossa indiens et bien entendus les frites franco-belges…
Corentin : Dont tu avais parlé dans une chronique précédente à réécouter dans le brunch abonnez-vous...
Thomas : ...abonnez-vous, bref, devant cette profusion de spécialités frites, vous aurez compris que la friture a conquis le monde. Avant de passer aux recettes, notons quelques plats frits qui peuvent nous sembler incongrus. Dans l’extrait sonore que nous avons diffusé plus tôt, je parle de l’Ecosse. Car c’est là-bas qu’a été inventé le Mars frit, à savoir un Mars, enrobé de pâte à beignet, et frit, tout simplement. Ca a donné des idées plus ou moins maudites à des gens, qui se sont mis à faire du Coca frit, du beurre frit et même de l’eau frite.
Corentin : J’espère que tu nous proposes des recettes moins craignos, parce que de l’eau frite, merci mais non merci.
Thomas : Pas d’inquiétude Corentin, pour les recettes, je te propose un petit voyage vers un pays que tu connais un peu : le Japon.
Corentin : Ah, chouette !
Thomas : On va faire des tempura d’asperge, parce que c’est la saison, et des karaage de poulet, parce que c’est délicieux.
Corentin : On t’écoute, commençons par les tempura.
Thomas : Alors déjà, il faut savoir que la tempura, qui est le nom donné aux fritures japonaises confectionnées avec de la pâte à beignet, n’existe que depuis 4 siècles. Il s’agit en fait d’un emprunt à la cuisine portugaise, apportée par les explorateurs qui découvre l’archipel japonais en 1543. D’ailleurs, le mot tempura vient du latin tempora, qui désigne une des semaines du Carême…
Corentin : ...qui précède le Mardi Gras, quand on mange de la nourriture frite chez les Chrétiens !
Thomas : Tu as tout compris, Corentin ! Bon, trêve de considérations historiques, et revenons à notre recette. Pour vos tempura d’asperges, il vous faut des asperges vertes, qui commencent à être de saison. Si elles sont de gros calibre, vous pouvez éplucher légèrement leur base, pour les rendre plus tendre.
Faites chauffer votre huile, on veut qu’elle atteigne les fameux 180°C. En attendant, vous allez préparer la pâte à tempura. Pour une vingtaine d’asperges de beau calibre, vous allez mélanger 50 grammes de farine avec 50 grammes de fécule. Et dedans, vous fouettez un décilitre d’eau gazeuse très froide - vous pouvez même ajouter des glaçons - et un oeuf. Vous devez obtenir une pâte très fluide.
Corentin : Alors attend : on fait un tant pour tant de farine et de fécule, dedans on y met de l’eau gazeuse très froide, glacée même, et un oeuf. Et c’est tout, on a la pâte ?
Thomas : Eh oui ! C’est très simple ! Quand votre huile est à température, il ne vous reste plus qu’à plonger les asperges, pointe la première, dans la pâte, puis à les mettre délicatement (pour ne pas se brûler) dans l’huile. Veillez à ne pas surcharger votre marmite d’huile, au risque de faire chuter la température de l’huile, ce qui nuirait à la qualité de votre friture.
Au bout de 2 ou 3 minutes, la pâte a doré, et les tempura sont prêtes. Déposez les asperges sur du papier absorbant, assaisonnez d’un peu de sel fin, et dégustez ! Ca croustille, c’est chaud, légèrement fondant, avec un fort goût de vert : le printemps en une bouchée !
Notez que vous pouvez préparer des tempura avec n’importe quel produit de saison, en utilisant cette recette de pâte.
Corentin : Bon, ça, c’est pour les tempura. Passons aux karaage maintenant.
Thomas : On peut faire du karaage de n’importe quelle protéine, mais le plus populaire au Japon, c’est ceux au poulet. Pour une quantité… raisonnable de karaage, commencez par découper 500 grammes de cuisses de poulet désossées en bouchées.
Vous allez faire mariner cette viande dans un mélange de sauce soja salée, de saké, de sucre, d’ail et de gingembre hachés finement, de sel et de poivre. Les proportions sont un peu au pif, puisque le karaage, c’est d’abord un plat familial, sans chichi. Il faut que le poulet soit globalement recouvert de marinade. Pour faciliter le processus, vous pouvez mettre l’ensemble dans un sac congélation. Massez bien la viande, et laissez-la s’imprégner de cette sauce pendant au moins 10 minutes.
Corentin : Donc on découpe du poulet, de la cuisse si possible si je comprends bien, et on le met à mariner avec de la sauce soja, du sake, de sel, du sucre et du poivre. Pour les proportions, c’est un peu au hasard, mais j’imagine que tu as laissé des ordres d’idée sur ton blog. On laisse reposer tout ça pendant 10 minutes minimum. Et après ?
Thomas : Tu égouttes l’excès de marinade, et tu mélanges ta viande à un mélange de farine et de fécule. Puis on laisse reposer une dizaine de minutes à nouveau. Enfin, on fait cuire. Même règle que pour les tempura : on veut une huile à 180°C, et on ne veut pas en faire cuire trop à la fois. Quand c’est doré, au bout d’environ 4 minutes, vous retirez de l’huile, et vous mettez à égoutter sur du papier absorbant. Servez vos karaage avec des tranches de citron pour accompagner. L’acidité de l’agrume relèvera le gras et le salé du plat.
Corentin : Ah ben c’est malin, je veux des karaage maintenant. On retrouve tes recettes sur ton blog, en description de la chronique. Merci Thomas, et à bientôt !
Thomas : A bientôt !
Dans le grand bain de la friture
La friture à l’huile, c’est pas difficile. Pour le prouver, Thomas Hajdukowicz nous explique comment fonctionne cette technique culinaire avant de nous donner deux recettes, à consulter sur son blog : https://mongeylanourriture.wordpress.com/2017/07/03/karaage/
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