Corentin : Quand tu m’as annoncé le sujet dont tu vas nous parler, Thomas, j’avoue avoir été un peu surpris. Qu’est-ce qui te pousse à nous parler de cuisine péruvienne aujourd’hui ?
Thomas : Eh bien c’est simple : c’est une cuisine encore assez méconnue par chez nous alors qu’elle est très riche. Et aussi, un de mes meilleurs amis est d’origine péruvienne, du coup, c’est une sorte d’hommage aussi.
Corentin : Ca a le mérite d’être clair, au moins ! Du coup, c’est quoi la cuisine péruvienne ? Parce que je dois bien t’avouer qu’effectivement, ça ne me parle pas beaucoup. C’est vraiment si bon que ça ?
Thomas : Bon, alors ça vaut ce que ça vaut, hein, mais par exemple, parmi la liste des 50 meilleurs restaurants du monde de 2018 établie par le William Reed Business Media, qui est un classement de référence, 3 établissements sont péruviens.
Corentin : Ah oui, quand même.
Thomas : Il s’agit des restaurants Central, Maido et Astrid y Gaston, tous les trois localisés dans la capitale, Lima. Et si une telle haute gastronomie a pu émerger, c’est parce que des traditions culinaires anciennes existent.
Corentin : Tu as attisé ma curiosité ! Quelles sont-elles, ces traditions qui font du Pérou le nouvel El Dorado pour les gastronomes ?
Thomas : Elles sont multiples. Car la culture péruvienne, comme celle de nombreux autres pays d’Amérique latine, et donc sa cuisine, s’est construite au gré des différentes vagues de populations qui ont occupé le territoire de ce qui est aujourd’hui le Pérou. On a donc tant des influences incas qu’européennes, avec l’arrivée des Espagnols dès le XVIe siècle puis d’Italiens, d’Allemands, de Français… au XIXe siècle, après l’indépendance du pays. On a aussi des influences ouest-africaines, puisque peu de temps après la conquête espagnole, l’esclavage a été établi dans le pays. Et enfin, on a des influences extrême-orientales, essentiellement du Japon et de la province de Guangdong en Chine, puisque d’importantes diasporas venant de ces régions sont arrivées au Pérou dans la deuxième moitié du XIXe siècle.
Ajoute à cela une diversité de terrains avec de la montagne, de la mer ou encore de la forêt très dense, associée une diversité climatique, comme l’explique Doc Seven sur sa chaîne YouTube :
[01 - Doc Seven.wav]
Du coup, niveau climatique, on est plutôt tropical à l’est, et désertique et sec à l’ouest. Mais c’est vraiment pour résumer parce qu’il faut savoir que le pays il abrite plus de 90 microclimats, ce qui en fait forcément un des pays les plus riches en terme de diversité climatique, et on le sait, la diversité climatique, c’est la base de la diversité biologique.
Bref, avec tous ces facteurs naturels et humains, tu comprendras que le Pérou est un paradis pour qui s’intéresse à la cuisine.
Corentin : Ah oui, c’est un impressionnant melting pot, tant culturel que géographique, ton histoire. Du coup, on y fait pousser quoi ? Attends, non, je sais ! Le Pérou, c’est le pays de la pomme de terre !
Thomas : Alors, oui, la pomme de terre trouve ses origines au Pérou, dans les Andes. Mais c’est loin d’être la seule plante dont l’épicentre se trouve dans ce pays. Parmi les plus connues, citons la tomate, le quinoa, ainsi que plusieurs variétés de haricots, de maïs, et de piments. Les Incas et les populations qui les ont précédés ont appris à cultiver ces plantes et à utiliser les espèces les plus adéquates en fonction de la qualité des différents sols. Ils ont également mis au point des systèmes de culture en terrasse, parce que, eh, les cultures à flancs de montagne, c’est pas toujours très simple.
Corentin : Alors loin de moi l’idée de trouver ce petit cours d’archéologie agricole ennuyant, mais ça ne nous dit toujours pas ce que l’on mange au Pérou.
Thomas : Eh bien ça dépend d’où tu te trouves. On va distinguer trois grandes régions. Sur la côte, tu vas trouver du poisson et des fruits de mer, évidemment. Le plat national qui fera l’objet de notre recette, le ceviche, est originaire de cette région, évidemment. Mais comme ce sont aussi des régions de melting pot et d’échanges commerciaux, une multitude de plats carnés, comme le pollo a la brasa, un type de poulet rôti, ou les anticuchos, des brochettes de boeuf marinées, y sont aussi largement consommées.
Dans les régions de montagnes, le poisson se fait plus rare. Parmi les viandes locales, on trouve l’alpaca, dont la chair est plutôt consommée séchée, et le cochon d’Inde, que l’on retrouve dans le cuy chactado, où sa viande est frite. Mais on se nourrit essentiellement de végétaux : maïs et tubercules.
Enfin, dans la région amazonienne, on se nourrit de plantes qui poussent sur place et d’animaux que l’on chasse dans la forêt ou pêche dans les rivières. C’est le paradis pour les frugivores puisqu’on y trouve des variétés de fruits tropicaux introuvables sur nos étals, comme le camu camu, le corossol ou la chérimole.
Corentin : Et avec tout ça, on boit quoi ?
Thomas : Côté boissons, comment ne pas parler de l’inca kola, le soda national au goût plutôt chimique ! Cependant, ma boisson péruvienne favorite est la chicha morada, fabriquée à partir de maïs violet et épicée à la cannelle et à la girofle. C’est très désaltérant. Et pour l’alcool, le pisco est certainement le spiritueux péruvien le plus connu, proche du cognac. Sa paternité est disputée avec le Chili voisin. Dans tous les cas, on l’apprécie en cocktail, notamment avec le célèbre pisco sour.
Corentin : Bon, on a fait le tour des ingrédients, des spécialités et des boissons. Il est maintenant temps d’aller en cuisine. Tu as évoqué le ceviche, et même si aujourd’hui je pense que tout le monde voit à peu près de quoi il s’agit, est-ce que tu peux nous rappeler ce que c’est ?
Thomas : Alors plutôt que moi-même, je vais laisser la parole au chef Sébastien, du site 750 grammes :
[02 - ceviche.wav]
Ceviche c’est quoi exactement ? C’est tout simplement un poisson mariné, cuit dans un acide. C’est un peu comme un tartare en France ? Non c’est plutôt comme un poisson mariné, à la tahitienne, cuit dans le citron vert.
L’origine de ce plat fait débat. Certains estiment qu’il est originaire de la côte nord du Pérou, là où vivait la civilisation Moche il y a environ 2 000 ans. D’autres disent que cela viendrait plutôt des Philippines. D’autres encore invoquent une influence polynésienne, comme évoqué dans l’extrait qu’on a écouté. Le fait est qu’aujourd’hui, le ceviche est considéré comme le plat national péruvien, et c’est bien tout ce qui compte.
Corentin : Oui, l’important, c’est que ce soit bon, hein. Du coup, comment on s’y prend. Comme il n’y a pas de cuisson, je m’attends à une préparation plutôt simple.
Thomas : Alors oui, la préparation est relativement simple, mais elle doit être faite minute, pour une fraîcheur et un goût optimaux.
Pour nourrir entre 6 et 8 personnes, vous allez découper 700 grammes de poisson à chair blanche en cubes de 1 à 2 centimètres d’arête. Le poisson peut être de la dorade, du bar, de l’espadon ou encore de la sole. Faites en fonction de votre budget. Le seul impératif, c’est que le poisson soit extra frais. Achetez-le le jour même pour la préparation.
Déposez vos cubes de poisson dans un récipient adéquat, et salez-le généreusement. Ajoutez-y deux oignons rouges coupés en tranches très fines - à la mandoline, si vous en avez une, c’est mieux - et deux piment aji limo. Ca, ça va être difficile à trouver, mais c’est ce qui va faire toute la différence. Il s’agit d’une espèce de piment péruvienne. Il est un peu caliente, mais surtout, il a un goût légèrement citronné. On en trouve dans les épiceries péruviennes - si vous avez la chance d’en avoir une à proximité de chez vous - mais aussi en ligne. Bref, vous émincez finement deux aji limo, et vous ajoutez au poisson.
Corentin : Alors attends, tu as beaucoup parlé pour ne rien dire, donc je vais récapituler. On coupe 700 grammes de poisson à chair blanche en cubes moyens, on sale ces cubes, et on y ajoute deux oignons rouges et deux aji limo finement émincés. Et après ?
Thomas : Après, c’est presque fini. Vous allez extraire le jus d’une dizaine de citrons, pour avoir du jus de citron frais minute, plein de vitamines. J’aime bien faire un mélange citron jaune/citron vert, personnellement. Et vous allez verser ce jus sur le poisson. Mélangez le tout et laissez mariner pendant… allez, une grosse minute. Et servez.
Corentin : Attends, c’est tout ? Une minute ? Vraiment ?
Thomas : C’est comme ça qu’est préparé et consommé le ceviche de nos jours, sous l’influence des chefs nippo-péruviens. Dans le passé, le poisson pouvait mariner jusqu’à 3 heures. Mais j’ai peur que l’action du citron ne dénature le goût et la texture du poisson. Donc oui, une minute, ça suffit. Vous servez votre ceviche avec des rondelles de piment rouge, des brins de coriandre, et de la cancha, des grains de maïs grillés qui vont apporter du croquant. Vous pouvez aussi ajouter de l’avocat ou de la patate douce cuite aussi. Et surtout, n’oubliez pas de boire le leche de tigre, le jus de la marinade !
Corentin : Oui, ça, je verrai, hein, parce qu’un truc qui s’appelle du lait de tigre, ça m’inspire moyen. Dans tous les cas, merci pour la recette, et merci de nous avoir fait découvrir la cuisine du Pérou, Thomas !
La gastronomie péruvienne, une cuisine au sommet
Bien qu’elle soit une des cuisines les plus en vue dans le monde, la cuisine péruvienne reste assez méconnue en France. Thomas Hajdukowicz compte rectifier le tir en nous donnant quelques bases sur cette gastronomie riche et variée. En prime, nous avons le droit à une recette plutôt simple.
0:00
7:26
Vous êtes sur une page de podcast. En cas de difficulté pour écouter ce document sonore, vous pouvez consulter sa retranscription rapide ci-dessous.