Corentin : Il est des aliments et des plats qu’on ne saurait dissocier d’une région ou d’un pays tellement leur empreinte a marqué les imaginaires collectifs : la pizza à Naples, le ceviche au Pérou, les sushis au Japon. Nous, on a ce bon vieux steak-frites, indémodable des brasseries de France et de Navarre, raconté avec grâce par Roland Barthes dans Mythologies, référentiel gastronomique pour toutes les classes sociales.
Dans un cornet de papier, près du Quai de la Râpée, un jour on s’était payé des frites… Paulo aime les moules frites sans frites et sans mayo… Puis on ira manger des moules et puis des frites, des frites et puis des moules, et du vin de Moselle… Ni Dieu, ni maître, mais des frites, bordel…
Bref, le steak-frites est aussi français que la Tour Eiffel ! C’est bien de ça que tu viens nous parler, Thomas ?
Thomas : Mais ça va pas de dire des trucs pareils ? Tu veux te mettre à dos nos auditeurs belges ou quoi ?
Corentin : Ben quoi ?
Thomas : Ben quoi qu’il me dit… Mais faut pas dire des choses pareilles enfin ! Surtout quand la Belgique essaye de faire entrer la frite depuis des années au patrimoine immatériel de l’UNESCO…
Corentin : Ah, oui, je vois ce que tu veux dire… Tu veux parler du conflit culturel opposant France et Belgique pour savoir où et quand a été inventée la frite…
Thomas : Oui, parce que c’est un véritable enjeu culturel ! Légitimement, la Belgique semble favorite, tant la frite est une institution dans le pays. En 2016, à l’occasion de la reconnaissance du fritkot - ou baraque à frites - comme chef d’oeuvre du patrimoine oral et immatériel de la fédération Wallonie-Bruxelles, la RTBF réalisait un reportage dédié :
Pour nous c’est quand même une institution, et ça fait plaisir que quand on a des jours où est un un peu pressés de pouvoir venir se sustenter ici quoi.
Vous aimez ?
Oui, pas tous les jours, mais j’aime bien un bon paquet de frites, oui.
La Belgique est leader mondial de la transformation de pomme de terre, 2 millions de tonnes par an. Des tonnes de frites qui rassemblent peu importe l’âge ou le niveau social.
La Belgique, c’est un grand fritkot, le fritkot c’est une petite Belgique, quasiment tout le monde y va.
On compte 5000 fritkots pour 11,5 millions d’habitants, soit un fritkot pour 2300 Belges. Tu comprends qu’avec ce niveau de dévotion, on doit faire attention à l’origine de la frite.
Corentin : Mais justement, elle vient bien de quelque part, la frite, non ?
Thomas : Oui, et c’est tout l’enjeu d’un débat infini entre la France, la Belgique, et même d’autres pays. D’ailleurs, c’est pas pour dire, mais dans les extraits de chansons que t’as passé en début de chronique, il y avait Yves Montand, Stromae, Jacques Brel et Thomas Dutronc. Soit 2 français et 2 belges. Egalité, balle au centre.
La certitude qu’on a est que la notion de pomme de terre taillée en morceaux (bâtonnets ou rondelles) puis plongée dans un bain de friture apparaît au XVIIIe siècle. Pour son origine géographique, par contre, on va de fake news en contre-arguments, le tout roulé dans une mauvaise foi chauvine qui nous fait finalement bien marrer, des deux côtés de Quiévrain.
Corentin : Et donc quelles sont elles, ces théories ?
Thomas : Côté français, certains estiment que la frite est une fille de la Révolution de 1789, pendant laquelle elle était vendue sur les bords de Seine et sur les ponts. La dénomination “Pomme Pont-Neuf”, utilisée pour désigner de grosses frites, en serait un héritage.
Côté belge, l’historien Jo Gérard affirme avoir retrouvé dans un manuscrit d’un de ses aïeux une mention de la frite datant de 1781, et faisant remonter son origine à 1680, dans la région de Namur. Sauf que monsieur Gérard a été incapable de produire ce manuscrit à la communauté scientifique et historienne.
Donc des deux côtés, c’est le flou. Et je ne te parle pas des gens qui veulent lui attribuer une origine mexicaine, russe ou allemande.
Corentin : Oui, mais excuse-moi : les Américains n’appellent-ils pas les frites “French fries” ?
Thomas : Décidément, tu veux vraiment que ça se passe mal avec les auditeurs belges, toi… Alors, oui, quand ils ne décident pas de les rebaptiser en “Freedom fries” parce qu’on veut pas faire la guerre en Irak, les Américains appellent leurs frites “French fries”. Sauf que l’origine du mot est elle aussi compliquée. Pendant la Première Guerre mondiale, lors de la bataille d’Ypres, en Belgique, des soldats américains ont rapidement goûté à la spécialité de pomme de terre. Et comme on parle français dans l’armée belge, bim, c’est devenu French fries. En outre, en argot, “to french” signifiait à l’époque découper en bâtonnets. Aujourd’hui, ça veut dire rouler une pelle.
Corentin : Oui, bon, j’ai bien compris, tu veux pas te mouiller sur l’origine de la frite. Mais tu vas bien nous sortir une petite recette, quand même.
Thomas : Evidemment ! Quoi de mieux qu’une bonne dose de frites pour mettre tout le monde d’accord et calmer les tensions ! Alors pour de bonnes frites, il vous faut d’abord des pommes de terre fraîches, à chair farineuse, comme les bintje ou les mona lisa. Choisissez-les assez grosses pour les calibrer comme vous le souhaitez ensuite. Il faut compter entre 300 et 500 grammes de pomme de terre par personne, parce qu’on fait des frites, quoi !
Vous allez éplucher les pommes de terre, les laver, puis les découper en bâtonnets. Pour une frite standard, les bâtonnets doivent avoir une section de 5 millimètres. Alors armez vous de patience, d’un bon double-décimètre et d’un couteau bien aiguisé, surtout si vous recevez 8 personnes.
Une fois que vous avez une montagne de bâtonnets de pomme de terre, il va falloir me sécher tout ça. Deux passages dans un torchon propre pour retirer un maximum d’eau, puis un dernier passage au papier absorbant, pour avoir un légume bien sec à l’extérieur. Il sera plus croustillant.
Corentin : Attends attends… Donc on prend 500 grammes de grosses pomme de terre à chair farineuse par personne, on les épluche, on les lave, et on les découpe au couteau. Et on les sèche bien.
Thomas : Voilà. Maintenant, c’est l’heure de la friture, et pas du d-d-d-d-d-d-duel.
Les puristes qui ont du temps à perdre opteront pour de la graisse de rognon de boeuf fondue, qui peut atteindre des températures de chauffe très importantes et qui donnera une saveur supplémentaire à la frite. Sauf qu’il faut se lever tôt pour en trouver, et que ça peut coûter cher. Donc je vous propose d’opter plutôt pour de l’huile de tournesol, que vous faites chauffer à 170°C dans un récipient adapté, comme une friteuse ou une cocotte en fonte.
Quand l’huile atteint cette température, plongez vos frites dedans et laissez-les cuire 7 minutes. Ce premier bain va permettre de cuire les frites à coeur.
Corentin : Ah, parce qu’il y a un autre bain après ? Donc que je récapitule : l’huile est à 170°C, et j’y mets les frites pendant 7 minutes. Et aprés ?
Thomas : Après, on les sort de l’huile, on les égoutte bien, et on les fait refroidir pendant une vingtaine de minute. Ca va laisser le temps à l’huile de re-chauffer à 170°C, et aux fibres de la pomme de terre de se détendre. Quand les 20 minutes sont passées, on replonge les frites pendant 7 minutes. Pendant ce deuxième bain, elles vont se colorer et surtout croustiller. Les 7 minutes passées, il vous suffit de les égoutter, de les saler au sel fin, de mélanger rapidement, et de servir immédiatement. Parce que les frites, ça n’est bon que chaud !
Corentin : Donc une fois les pommes de terre refroidies, elles repartent en friture à 170°C pendant 7 minutes. On égoutte, on assaisonne, on mélange, et on sert ! Et on fait quoi une fois qu’on a tout mangé et qu’on veut du rab ?
Thomas : Eh ben on en refait, tiens ! Si vous stockez votre huile de tournesol en bocal ou en bouteille quand elle a refroidi, vous pouvez la réutiliser pour 3 ou 4 tournées de frites supplémentaires.
Corentin : C’est toujours bon à savoir. Merci Thomas ! Tu ne nous auras peut-être pas fait avancer davantage sur la question de l’origine des frites, mais au moins, maintenant, on a une recette en béton ! À la prochaine et… GARDEZ LA FRITE !
Thomas : A bientôt !
Les frites de la discorde
Si un jour une guerre devait éclater entre la France et la Belgique, c’est sûr, c’est parce que les deux nations se disputeront la paternité de la frite. Avec Thomas Hajdukowicz qui vous proposera une petite recette, nous reviendrons sur les origines floues de ce mets qui a conquis la planète.
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