Corentin : Le 15 avril 2019, aux alentours de 18h50, des passants ont signalé les premières flammes s’élevant de la toiture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, au niveau des échafaudages installés pour un grand projet de rénovation. Le résultat, on le connaît : la quasi intégralité de la toiture et de la charpente ont brûlé, et la flèche s’est effondrée, créant un trou béant dans la nef du monument le plus visité d’Europe avec 14 millions de touristes accueillis en 2018. Alors Thomas, qu’est-ce que c’est, finalement, Notre-Dame ? Et pourquoi cet incendie est une tragédie qui a touché pas seulement les Parisiens, mais bien le monde entier ?
Thomas : Bonjour Corentin. Par où commencer ? Parce que Notre-Dame de Paris, c’est, au bas mot, 850 ans d’histoire. Pendant tout ce temps, ni les guerres, ni les différents troubles sociaux qu’a connu Paris ne l’ont perturbé. Bien sûr, elle a été dégradée, mais l’édifice lui-même n’a pas bougé. Donc un premier élément qui explique le fait que cet événement marque tant, c’est cette impassibilité : le sentiment que cet objet massif était là bien avant que nous existions, et qu’il sera là bien après notre disparition.
Corentin : Oui, prenons les choses dans l’ordre. Ca commence quand, donc, Notre-Dame ?
Thomas : Fondamentalement, la souscription pour l’édification d’une cathédrale plus belle et plus grande que celle préexistante sur l’île de la Cité est lancée en 1160, par l’évêque de l’époque, Maurice de Sully. Car il faut un édifice plus grand pour accueillir la population croissante de Paris. Sully va donc mettre en place un monument gigantesque à la gloire de la Vierge Marie, comme l’explique Dany Saudron, professeur d’archéologie du Moyen ge à la Sorbonne, dans le documentaire Paris, une histoire capitale :
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C’est la plus grande église de Paris, ça l’est toujours. Et c’est un chantier qui a beaucoup marqué les contemporains, on a des témoignages de chroniqueurs qui disent que lorsque Notre-Dame sera terminée, ce sera le plus grand édifice que l’on aura édifié au nord des Alpes depuis la fin de l’empire romain.
Et puisqu’on évoque l’empire romain, il faut savoir que le site de construction de Notre-Dame n’a pas été choisi par hasard. Les traces archéologiques laissent à penser qu’un temple à la gloire de Jupiter s’y élevait au premier siècle. Au moment de la christianisation de l’Europe, une basilique dédiée à Saint-Etienne s’élève ensuite sur l’île de la Cité. Cette église paléo-chrétienne évolue constamment à travers le temps, sous les Mérovingiens, les Carolingiens et les premiers Capétiens. Et donc on arrive à 1160. Ou plutôt 1163, quand la première pierre du chantier a été posée, en présence du roi et du pape, rien de moins.
Corentin : On l’a entendu à l’envi le 15 avril et les jours suivants, mais il est bon de rappeler que la construction a pris près de 200 ans. J’imagine que la technologie de l’époque explique cette longue durée ?
Thomas : Alors oui, mais pas que. La construction initiale du choeur, qui est l’une des partie les plus importantes de n’importe quelle église, puisque c’est là qu’a lieu la liturgie autour de l’autel, a pris moins de 20 ans.
Ce qui prend du temps, c’est l’édification des arc boutants, des nervures, des sommiers et des clefs de voûte, de tous ces chefs d’oeuvre d’architecture médiévale, de l’art dit gothique, où s’allient le travail de la pierre et celui du métal. Ce qui prend du temps, ce sont les prouesses d’ingénierie et de mathématiques pour calculer les forces exercées sur les piliers afin d’élever la cathédrale toujours plus haut. Ce qui prend du temps, c’est la confection de la dentelle de verre, de plomb et de lumière que représentent les dizaines de vitraux qui éclairent l’édifice. Ce qui prend du temps, enfin, c’est la mise à jour constante de ce qui est déjà bâti, pour que la cathédrale soit toujours dans l’air du temps.
La construction de Notre-Dame de Paris, c’est d’abord le labeur de centaines d’anonymes qui pendant près de 200 ans ont travaillé jour et nuit à l’édification de cet énorme monument, dont les tours font 69 mètres de haut, et dont la flèche touche les nuages à 96 mètres ! Jusqu’à l’élévation de la Tour Eiffel, c’est le plus haut bâtiment de la capitale ! Elle est omniprésente dans les représentations de la ville depuis le XIVe siècle. A mon sens, c’est aussi pour cela que cet incendie a tant d’écho dans le monde : on a perdu une partie du travail de toutes ces humanités.
Corentin : Alors loin de moi l’idée de diminuer l’importance du travail de tous les artisans qui se sont succédés pour la construire, mais Notre-Dame, c’est quand même aussi un édifice qui met en avant le pouvoir religieux, non ?
Thomas : Oui, tu as bien raison. Car depuis l’avènement des Capétiens à la fin du Xe siècle, l’Église est de plus en plus puissante et surtout de plus en plus riche. Ça explique l’omniprésence des édifices religieux partout en France. Et Notre-Dame, comme toutes ces églises qui tapissent le royaume de l’époque, raconte l’histoire religieuse avec ses statues, ses bas et haut-reliefs et ses vitraux.
Mais Notre-Dame, ça n’est pas que le pouvoir religieux. C’est aussi le pouvoir politique. Après tout, le roi de France est roi de droit divin, donc les deux sont inextricablement liés. Dès la pose de la première pierre, comme je l’ai déjà dit. Mais aussi sur le tympan du portail Sainte-Anne, où un roi et un évêque sont représentés, incarnant les pouvoirs spirituel et temporel. Et d’ailleurs, les premiers palais royaux étaient localisés sur l’île de la Cité, à un jet de pierre de la cathédrale.
Tout au long de son histoire, le politique et le religieux seront omniprésents à Notre-Dame. C’est là qu’a lieu, pêle-mêle, le sacre de Napoléon, immortalisé par le peintre Jacques-Louis David (rien à voir avec le coiffeur), la fête de la Raison pendant la Terreur, plusieurs mariages royaux - dont celui de Henri IV, mais qui se déroule sur le parvis, le principal intéressé étant encore protestant à l’époque - ou encore les messes d’enterrement du général De Gaulle et de François Mitterrand.
Corentin : Ah oui, ça va loin dans le temps, tout ça. Et pendant tout ce temps, le monument n’évolue pas ?
Thomas : Oh que si ! Car la cathédrale est essentiellement bâtie en pierre calcaire, sensible aux variations de températures et aux intempéries. Le bâtiment a connu d’importantes modifications à travers le temps, qu’il s’agisse de restaurations ou de changements purs et simples. Ainsi, sous Louis XIII et Louis XIV, l’intérieur de Notre-Dame est réagencé. Au milieu du XVIIIe siècle, les religieux vont même jusqu’à remplacer de nombreux vitraux par des vitres en verre blanc pour faire entrer plus de lumière ! Pendant la Révolution, de nombreuses sculptures sont abîmées, après le monument se transforme pendant un temps en entrepôt.
Il faut attendre la fin du XVIIIe et surtout le XIXe siècle pour que des voix s’élèvent en faveur de la préservation de Notre-Dame. La plus connue, c’est évidemment Victor Hugo qui, avec son roman Notre-Dame de Paris, publié en 1831, participe à l’engouement pour le médiévalisme à cette époque. Dans cette oeuvre, Hugo met en scène un incendie de la cathédrale.
Mais il y a aussi ce poème de Gérard de Nerval, tiré de son recueil, Odelettes, qui a été partagé sur les réseaux sociaux le soir du 15 avril. Il est ici lu par l’acteur Daniel Keningsberg, dans le cadre de l’émission de France Culture La Fabrique de l’Histoire, datée du 16 avril 2019 :
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Notre-Dame est bien vieille. On la verra peut-être enterrer cependant Paris qui l’a vu naître. Mais dans quelques mille ans, le temps fera broncher, comme un loup fait un boeuf, cette carcasse lourde, tordra ses nerfs de fer. Et puis, d’une dent sourde, rongera tristement ses vieux os de rocher.
Corentin : Ah oui, il est pas super optimiste, ce texte ! Ca parle déjà de la ruine à venir de Notre-Dame au XIXe siècle, quoi !
Thomas : Eh oui. La cathédrale tombe en ruines, il faut la sauver. Et ces appels sont vite entendus. En 1844, Louis-Philippe confie la restauration à plusieurs architectes, dont Eugène Viollet-le-Duc. S’inspirant des descriptions de Hugo, il va créer une Notre-Dame selon ce qu’il considère être médiéval. Il va ainsi édifier une flèche encore plus ouvragée que celle d’origine, refaire une partie des statues de la Galerie des Rois ou encore orner les différentes façades de nouvelles gargouilles. Les travaux dureront 20 ans.
En recréant des éléments médiévaux, voire en les inventant, Viollet-le-Duc ajoute un nouveau de lecture architectural à l’édifice. En voulant faire quelque chose d’authentique, il crée en fait une nouvelle chimère, qui fait le bonheur des historiens de l’art, et qui a tellement intégré la culture populaire que les gargouilles du film de Disney, Le bossu de Notre-Dame, reprennent l’apparence des gargouilles de Viollet-le-Duc.
Corentin : Je comprends mieux. Donc la flèche qui s’est effondrée lors de l’incendie ne date pas du Moyen ge mais bien du XIXe siècle. Mais bon, maintenant il faut se projeter. Emmanuel Macron a annoncé une grande campagne de souscription, de nombreuses grandes fortunes ont déjà mis la main au porte-monnaie. La question de la restauration se pose. Comment va-t-on s’y prendre, et est-ce seulement possible ?
Thomas : Alors pour le comment on va s’y prendre, je t’avoue que je ne sais pas, puisque la fragilité des matériaux endommagés couplée à la chaleur de l’incendie peuvent avoir causé des dommages pour l’instant invisibles dans la pierre, à l’heure où nous enregistrons cette chronique. Donc une longue phase d’inspection est à prévoir, pour évaluer les dommages structurels.
Après viendra la question de la restauration en elle-même. Certains matériaux et techniques vont certainement changer de ce qui s’est fait au XIIe et XIIIe siècles. Mais surtout, quelle restauration veut-on : une reproduction à l’identique pré-incendie ? Ou quelque chose qui, à l’instar de ce qu’a fait Viollet-le-Duc, intègre des éléments contemporains ? Ce débat aura nécessairement lieu, et risque d’être houleux.
Dans tous les cas, cette restauration, si elle s’annonce longue et coûteuse, n’est clairement pas impossible. Les exemples de monuments dégradés et rebâtis sont innombrables. Je pense notamment à la cathédrale de Reims, ravagée par les bombardement pendant la Première Guerre mondiale, au pont de Mostar, détruit pendant la guerre de Bosnie-Herzégovine, à la Frauenkirche de Dresde ou encore au Sungnyemun à Séoul, ravagé lui aussi par les flammes. Ces différents bâtiments ont subi des dommages comparables ou supérieurs à ce qu’a connu Notre-Dame le 15 avril, et ont été restaurés et rebâtis. Donc la reconstruction prendra du temps, mais elle se fera, à n’en pas douter.
Corentin : Eh bien merci pour toutes ces explications et pour ce dernier message plein d’espoir pour la suite. Et personnellement, je te remercie de nous avoir épargné Le Temps des Cathédrales, j’en peux plus de cette chanson…
Thomas : Attends, mais on va la chanter ensemble ! Allez, avec moi : Il est venu le temps des…
Corentin : LAISSE-MOI !
15 avril 2019 : nouvelle date clé dans la longue histoire de Notre-Dame de Paris
Le 15 avril dernier, une partie de la cathédrale Notre-Dame de Paris disparaissait dans les flammes. Alors que la question de sa reconstruction se pose, Thomas Hajdukowicz nous présente l’histoire de ce monument à la portée dépassant largement les frontières de Paris.
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