Corentin : Si vous avez suivi l’actualité française du début du mois de novembre 2018 - en écoutant le journal des Croissants, par exemple - il ne vous aura pas échappé que, du 4 au 11 novembre, le président Emmanuel Macron a voyagé un peu partout à travers le Nord-Est de la France, dans le cadre du centenaire de la signature de l’armistice entre la France et l’Allemagne. Pourquoi est-ce que cette commémoration est importante, Thomas ?
Thomas : Elle est importante parce qu’elle marque la fin de ce que l’on appelle la Première Guerre mondiale. C’est le premier conflit de cette envergure de l’histoire de l’humanité, même si certains historiens considèrent la Guerre de Sept Ans comme étant la première vraie guerre mondiale.
Corentin : Oui, bon, laissons les débats d’historiens de côté, on est ici pour vulgariser. Sans refaire toute la Première Guerre mondiale, parce qu’on n’a pas le temps et qu’on a des commémorations depuis 2014, est-ce que tu peux nous en faire un bref récapitulatif ?
Thomas : On va essayer. La Première Guerre mondiale débute le 28 juillet 1914. Elle fait suite à l’assassinat de l’archiduc d’Autriche François-Ferdinand par un groupe d’indépendantistes serbes et bosniaques, et au jeu d’alliances qui unit les différentes nations du monde. D’un côté, on a la Triple Alliance menée par l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Empire Ottoman. De l’autre, on a la Triple Entente, menée par la France, le Royaume-Uni et la Russie. Tout ce petit monde va embarquer ses colonies dans le conflit, et paf, ça fait une guerre mondiale.
Cette guerre se caractérise par sa violence et sa modernité (premiers combats aériens, premiers blindés, utilisation de gaz toxique) alors qu’en parallèle on voit encore des charges à cheval et des combats au corps à corps. C’est une guerre totale, dans la mesure où toutes les économies des pays belligérants vont être mobilisées pour participer à l’effort de guerre. Et à la fin, un armistice est signé entre la Triple Entente (ou ce qu’il en reste) et l’Allemagne, le 11 novembre 1918.
Corentin : Mais qui gagne à la fin ?
Thomas : Mais c’est le sport qui a gagné, Corentin ! Hein ? Quoi ? Attends, on me dit dans l’oreillette que, techniquement, la France et ses alliés ont gagnés, mais qu’au final, c’était… une grosse boucherie qui certes a redessiné une partie des frontières du globe, mais qui n’a servi à rien. Fin de citation.
Corentin : Attends un instant, on va un peu vite en besogne, non ? Bon, on va faire ça en plusieurs temps. Pour commencer, quel est le bilan humain de ce conflit mondial ?
Thomas : Comme ça sent la réjouissance, je vais d’abord laisser la parole une nouvelle fois à la série animée Il était une fois l’homme.
[01 - il était une fois WWI.mp3]
Le 11 novembre 1918, c’est la victoire des Alliés. 25 millions de morts, autant de blessés, d’infirmes. Cela fait combien de souffrance ? Et pourquoi ? Pour avoir conquis à tout jamais la paix universelle ? Le Kaiser a abdiqué et s’est enfui après avoir gémi “Je n’ai pas voulu cela”. Mais qui avait voulu cette guerre ? Qui l’avait imaginé à ce prix ?
Par pays, la Russie a le plus subi, avec un total entre 2,8 et 3,4 millions de morts. L’Empire Ottoman arrive deuxième de ce classement sordide, à cause du génocide arménien qui cause la mort de 1,5 millions de civils, amenant le total de victimes allant de 2,8 à 3,7 millions. L’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la France, le Royaume-Uni et l’Italie comptent toute entre un et deux millions de morts. Dans certains cas, ce n’est pas tant le nombre de morts qui impressionne, mais la part de la population qui disparaît. La Serbie perd entre un sixième et un quart de ses habitants, par exemple. Ces morts ont un impact sur la démographie des pays touchés. On parle de génération sacrifiée.
A tout cela, on peut ajouter les 50 à 100 millions de victimes de la pandémie de grippe de 1918, qui a pu proliférer aussi grâce à la guerre. Et les nombreuses autres victimes des autres conflits qui ont eu lieu dans la continuité de la Première Guerre mondiale, comme la guerre civile russe, ou les guerres d’indépendance baltes, turques, hongroises ou irlandaises.
Corentin : Ca fait effectivement beaucoup de victimes. Sans faire de fiction historique, peut-on imaginer un bilan moins lourd ?
Thomas : C’est difficile de se projeter comme ça, donc ma réponse est à prendre avec des pincettes. Mais oui, il aurait été possible d’en arriver à autre chose, malgré les progrès technologiques pour tuer son prochain. Si les dirigeants et généraux des différents pays concernés avaient fait le choix de considérer un tant soit peu la vie de leurs soldats, on en serait peut-être pas arrivés là.
Au début de la guerre, tout le monde part pour défendre la patrie, donner une bonne leçon au Kaiser allemand ou au Président français. Cette guerre mondiale a pour but de laver l’honneur des nations engagées. Le concept de guerre est positif, porteur de noblesse et d’héroïsme. A mesure que l’on prend conscience de l’horreur des tranchées, la guerre va gagner une toute autre image.
Corentin : Puisqu’on en parle, quels autres impacts sur les consciences a eu la Première Guerre mondiale ?
Thomas : Tu n’es pas sans ignorer que de nombreux mouvements pacifistes sont nés après 1918. Leur slogan en France tourne autour du “plus jamais ça”, avec la volonté de faire de 14-18 la “der des der”. Mais la guerre a également rendu le monde plus cynique, dans la mesure où de nombreux idéaux fondamentaux comme la patrie et le don de soi commencent à voler en éclat. Pourquoi sont morts toutes ces jeunes personnes ? La défaite aurait-elle signifié la disparition des pays vaincus ? Des courants artistiques comme le dadaïsme ou l’expressionnisme dresdois vont se construire là-dessus.
Corentin : Bon, et côté politique, tu as dit que les frontières avaient un peu bougé. Qu’est-ce qui change ?
Thomas : La sortie de guerre est formalisée par une série de traités signés en 1919 et 1920, le plus connu étant le Traité de Versailles, qui règle le sort de l’Allemagne. D’un point de vue territorial, les vieux empires éclatent, les différentes nations ayant demandé à disposer d’elles-mêmes (position soutenue à l’époque par le président américain Woodrow Wilson). Concrètement, ça veut dire par exemple que l’Autriche-Hongrie va devenir l’Autriche, la Hongrie, la Tchécoslovaquie, des morceaux de Pologne, d’Ukraine, de Roumanie et de Yougoslavie.
A l’échelle mondiale, cela signifie également la formalisation de mouvements d’indépendance dans les empires coloniaux : des soldats indiens, sénégalais, marocains, birmans, camerounais, mozambicains, vietnamiens… ont combattu pour les métropoles. Ils ont entendu les paroles de Wilson. Et ils ont vu les nouveaux Etats-Nations se former. Alors pourquoi pas eux ?
Enfin et surtout, parce que les vainqueurs ont absolument voulu faire payer aux vaincus leur défaite, la Première Guerre mondiale, son armistice et ses traités de paix ont surtout enclenché tous les mécanismes nécessaires à la Seconde Guerre mondiale.
En somme, cette guerre comme toutes les autres a été un énorme gâchis. On doit sortir du récit actuel qui met davantage en valeur les généraux et maréchaux, qui sont responsables des morts par millions, et recentrer sur l’humain, sur les soldats mêmes, qui allaient se faire tuer pour des concepts flous. Même du côté français, l’issue de la guerre de 14-18 ne peut pas être vue comme une victoire, compte tenu de ce qu’elle a amené derrière.
Corentin : On sent bien ta colère face au concept même de guerre. Au final, que doit-on retenir de cet armistice ?
Thomas : Finissons sur une note positive. Car la fin de la Première Guerre mondiale et l’émergence d’un pacifisme plus vindicatif, c’est aussi la création de la Société des Nations. Le Prix Nobel de la paix décerné aux diplomates Aristide Briand et Gustav Stressmann pour leurs efforts de rapprochement entre la France et l’Allemagne va dans le sens d’un monde pacifié, qui veut construire ensemble. Evidemment, l’histoire nous montre que ça ne sera pas le cas. Mais l’idée de structures supra-nationales devient un peu plus concrète à cette époque.
Corentin : Merci pour ce point de vue personnel sur la fin de la Première Guerre mondiale, Thomas, et à bientôt !
Thomas : A bientôt !
En 1918, l’armistice… et après ?
Cette année, on célèbre le centenaire de l’armistice de la Grande Guerre. Mais si en 1914, tout le monde savait pourquoi il se battait, aujourd’hui, d’aucuns pensent que ce conflit relevait surtout d’une profonde vacuité. C’est en tout cas l’avis de Thomas Hajdukowicz.
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