Corentin : Au lendemain de la tuerie de Pittsburgh ayant fait 11 morts, le réseau social Gab annonce sa fermeture prochaine sur Twitter et ce, pour plusieurs semaines. Lâchée par son hébergeur, la plateforme crie à l’injustice et brandit l’étendard de la liberté d’expression. Elodie Carcolse de La Réclame lève le voile sur ce réseau social très prisé de l’extrême droite.
E.C. : Salut Corentin ! En effet, 3 jours après l’attentat antisémite de Pittsburgh, Joyent, le fournisseur d’accès Internet du réseau social Gab, a prévenu la plateforme qu’il cessait de l’héberger. Une annonce suivie peu de temps après par celles de Paypal, GoDaddy, hébergeur du nom de domaine de Gab, et Stripe, sans doute peu enclins à voir leurs noms associé aux discours de haine diffusés sur la plateforme. Dans la foulée, le CTO (directeur de la technologie) de l’entreprise, Ekrem Büyükkaya, a annoncé sa démission sur Twitter.
Corentin : sale temps pour la plateforme.
E.C : Et pour cause, cette série d’événements intervient peu de temps après les révélations du FBI. Selon le bureau d’investigation américain, l’auteur de la tuerie publiait régulièrement des messages antisémites sur Gab, au vu et au su de ses administrateurs.
Une capture d’écran révélée par l’entreprise SITE (dont le but est de surveiller les mouvements extrémistes), montre l’une des phrases écrites par Robert Bowers, le suspect de l’attaque, dans sa biographie sur le réseau social. Je cite : « Les Juifs sont les enfants de Satan ».
Corentin : Ah oui, c’est assez parlant.
E.C : Et ce type de propos n’est même pas rare sur Gab.com. 11 heures avant qu’il ne commette son acte, l’auteur de l’attentat s’en prenait ouvertement la Société d’aide aux immigrants juifs, une ONG qui vient en aide aux réfugiés. On pouvait lire : « la Hebrew Immigrant Aid Society ramène des envahisseurs qui tuent nos concitoyens. Je ne peux pas rester en arrière et regarder notre peuple se faire assassiner. Allez vous faire voir avec vos idées, j’y vais. »
Pour le fondateur de Gab, cet acte est celui d’un homme isolé et ne représente pas la plateforme qu’il a fondée, comme il s’en explique dans une interview à CNN le 1er novembre dernier.
[Extrait : 1’14 à 1”38
https://edition.cnn.com/videos/politics/2018/10/31/gab-ceo-andrew-tobra-pittsburgh-synagogue-shooting-sot-vpx.wbre
Traduction : sur les réseaux sociaux comme Facebook ou Instagram, nous lisons tous les jours des choses sur des meurtres en direct, sur le trafic d’humain. On lit aussi des choses sur des pédophiles échangeant des images pédopornographiques sur ces sites internet, et même sur ces réseaux sociaux. Ça a pris une plus grande ampleur, et ça se passe tous les jours. Il y a de mauvaises personnes dans le monde. Ils sont sur tous les réseaux sociaux, ils sont sur internet.
E.C.: Lancée en 2016, la plateforme Gab a pour devise « Tous bienvenus pour s’exprimer librement ». Pour son fondateur, le mantra se résume à : « La liberté pour TOUS sur TOUS les sujets. » C’est ainsi qu’il se présente sur son réseau social, dans une publication épinglée sur son profil. Sa bataille ultime ? La liberté d’expression. Absolue. Il estime ainsi, je cite : « La liberté d’expression, ça veut dire que vous pouvez offenser, critiquer et tourner en dérision toutes les races, religions, ethnies ou orientations sexuelles. »
Corentin : Bref, la porte ouverte à toutes les fenêtres comme dirait l’autre…
E.C : et pas qu’un peu… Cette promesse a cependant séduit les mouvements d’extrême droite, dont l’alt right américaine. Le site compte par ailleurs de nombreux utilisateurs interdits ou suspendus d’autres services et apparentés Alt Right. Comme le conspirationniste Alex Jones, banni de Twitter en septembre dernier. Mais aussi Milo Yiannopoulos et Steve Bannon, tous deux débarqués du site Breitbart News… et Robert Bowers donc, le terroriste présumé de Pittsburgh.
Corentin: C’est un peu le all-star de l’extrême droite.
E.C. : Pour le New York Times, Gab est un « espace numérique protégé pour l’extrême droite ». Pourquoi protégé ? Parce que dans cet espace, l’extrême droite et ses apparentés peuvent discuter en toute quiétude, sans se soucier d’être modérés. Liberté d’expression et modération ne semblent pas faire bon ménage.
Corentin : Il y a toujours un souci avec la modération, donc !
E.C : Il semblerait. C’est Andrew Torba, qui a créé cet espace où la liberté d’expression est absolue. Ancien soutien de Trump et ex-PDG d’une boîte d’AdTech de la Silicon Valley, il se décrit lui même comme un «chrétien conservateur». Dans un article du Washington Post daté de novembre 2016, il affirmait avoir eu l’idée de Gab après avoir constaté ce qu’il considérait comme une modération politique orientée de la part de Facebook. Le jeune homme explique : « J’ai pensé qu’il était temps qu’un leader conservateur se porte volontaire pour fournir une plateforme sur laquelle n’importe qui pourrait venir et parler librement, sans craindre la censure», expliquait-il alors.
Corentin : Effectivement dit comme ça, l’initiative a tout pour paraître louable...
E.C. : En effet, et pourtant. En juin dernier, Apple et Google avaient déjà banni l’application Gab de leur magasin d’applications en ligne. Motif ? Les nombreux messages publiés sur Gab allant à l’encontre de leurs règles internes concernant la diffusion des discours de haine. En août, c’est Microsoft qui avait menacé de rompre le contrat entre Gab et son service de cloud Azure pour les mêmes raisons. A l’époque, Microsoft avait demandé la suppression de plusieurs messages antisémites et une plainte avait été déposée. Les messages incriminés avaient finalement été supprimés. Microsoft a fini par rompre le contrat en septembre.
[Extrait : https://www.youtube.com/watch?v=5AS0wPLnAhY de 1’07 à 1’18
E.C : Après ces multiples départs, Gab a finalement déclaré que l’entreprise « désavouait avec véhémence toute forme de violence » et qu’elle avait travaillé avec le FBI afin que « justice soit rendue pour les horribles événements » de Pittsburgh. Gab a simplement assuré chercher une solution pour maintenir la plateforme en ligne. Mais la modération ne semble pas faire partie du vocabulaire de ces sites prisés par l’alt right américaine.
Seulement quelques heures après la tuerie, des messages antisémites étaient encore postés par des membres de la plateforme. Malgré les remous, Gab ne semble pas s’inquiéter outre mesure d’éventuelles sanctions causées par sa politique. Ni ses utilisateurs d’ailleurs. « Nous continuerons à nous battre pour la liberté d’expression et la liberté individuelle en ligne pour tous. Les grandes firmes technologiques ne peuvent pas nous arrêter. Les médias traditionnels ne peuvent pas nous arrêter », pouvait-on lire sur la plateforme.
Cette attaque contre les médias traditionnels, fût-elle sincère, n’est pas sans rappeler les critiques prononcées par Trump et ses partisans à l’encontre des médias, notamment lors de ses meeting. Tout comme les positions victimaires que ces critiques véhiculaient. Celui par qui le scandale arrive se pose ainsi en victime.
Corentin : Oui c’est presque devenu un classique.
E.C : Un classique bien facile à brandir en temps de crise et qui évite ainsi toute remise en question. Également confronté à de graves dysfonctionnements sur sa plateforme concernant le harcèlement en ligne, les discours haineux, les trolls ou encore la propagande terroriste, Twitter a récemment choisi de mettre de la sérénité dans le débat. Du health, comme disent nos amis anglo-saxons. Une démarche entreprise récemment et portée par le boss de Twitter, Jack Dorsey, après des mois de critiques. Gab quant à lui n’a pas évoqué de changement concernant sa politique de modération. Le site est d’ailleurs à nouveau en ligne et a repris son train-train quotidien.
Corentin : Les mauvaises herbes ont la vie dure, quoi. En tout cas merci Elodie et à la prochaine pour des réseaux sociaux peut-être moins tempétueux !
Gab, le réseau social de l’alt-right américaine, plus isolé que jamais
C’est le réseau social de l’extrême droite américaine : Gab est revenu sur le devant de la scène. Le tueur de Pittsburgh y publiait régulièrement des messages antisémites avant de commettre son attentat. Lâchée par nombre d’entreprises du net, la plateforme se retrouve de plus en plus isolée. On décortique tout ça avec Élodie Carcolse de « La Réclame » !
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