Corentin : Si vous suivez un peu l’activité culturelle française de cette année, il ne vous aura pas échappé que le Japon semble être à l’honneur en France. On a eu l’exposition consacrée à Foujita au musée Maillol, le lancement de la saison culturelle Japonismes 2018, la présence d’une délégation des forces de défense japonaises lors du défilé du 14 juillet… Il se passe quoi avec le Japon, Thomas ?
Thomas : Il se passe que 2018 marque les 160 ans des relations diplomatiques entre la France et le Japon. Du coup, il y a quelques manifestations culturelles, effectivement, à Paris, mais aussi à Reims, à Giverny, et dans d’autres villes aussi, j’en suis sûr.
Corentin : Attends un instant : ça ne fait que 160 ans qu’il y a des relations entre les deux pays ? Mais pourtant ils sont beaucoup plus vieux que ça, ces pays ! Que s’est-il passé ?
Thomas : Il s’est passé que plein de choses, à vrai dire. Tout commence au XVIe siècle, quand des navigateurs portugais deviennent les premiers européens à débarquer au Japon. Là-bas, ils ont commencé à christianiser la population - je vous invite à voir le très beau film Silence, de Martin Scorcese, à ce sujet - à importer des armes à feu, et à laisser des traces dans la gastronomie japonaise, comme les tempura, qui sont des fritures dont le nom dérive de Tempora, qui désigne le Carême en latin.
Corentin : Mais qu’est-ce que tu me parles de Portugal, là ? C’est relations franco-japonaises dont on parle, enfin !
Thomas : Patience, mon ami, patience. Ce qu’il faut savoir, c’est que le Japon du XVIe siècle est loin d’être un pays uni et pacifié. Au contraire, la myriade de clans locaux qui constituent l’archipel se font la guerre depuis longtemps, l’empereur n’ayant qu’un rôle d’homme de paille. Quand le pays est enfin à nouveau unifié en 1603, le nouveau gouvernement en place, que l’on appelle le shogunat, dirigé par la dynastie des Tokugawa, voit d’un mauvais oeil cette influence étrangère, qui pourrait déstabiliser le pays. Du coup, à partir de 1633, le shogunat instaure une politique d’isolationnisme strict, appelée Sakoku. Cette période, durant laquelle les étrangers, à de très rares exceptions, ne peuvent entrer au Japon, et où les japonais ne peuvent quitter le pays, va durer jusqu’en 1853. Elle dure donc pendant 220 ans.
Corentin : Et j’imagine que pendant cette période, les français n’ont pas pu fouler le sol japonais.
Thomas : Il y a bien des épisodes de prêtres qui tentent de s’infiltrer au Japon, et on a même La Pérouse, le célèbre capitaine français, qui visite l’archipel d’Okinawa avant de s’échouer à Vanikoro, mais fondamentalement, pas grand chose.
Corentin : OK, on y voit un peu plus clair. Du coup, quand commencent officiellement ces relations entre France et Japon ?
Thomas : Ca commence doucement, avec des missions de formation d’interprètes, pour préparer l’avenir. Et l’avenir, c’est 1855, avec le débarquement à Okinawa d’une délégation française menée le contre-amiral Cécille, pour la signature d’un accord commercial bilatéral entre les deux pays. Sauf que cet accord ne sera jamais ratifié.
Corentin : Ah bah super.
Thomas : Il faut donc attendre 1858 - et c’est là que commencent nos 160 ans - et la signature du traité d’amitié et de commerce entre la France et le Japon…
Corentin : Ah, tu veux évidemment parler du Nichifutsu shuukoo tsuushoo jooyaku !
Thomas : Celui-là même… Donc le traité d’amitié et de commerce entre la France et le Japon, signé à Edo - qui sera renommée plus tard Tokyo - le 9 octobre 1858. Les relations diplomatiques entre France et Japon peuvent commencer.
[01 - Maika Loubté.mp3]
Nous venons d’écouter un extrait de Skydiver, de Maika Loubté, artiste électro franco-japonaise basée à Tokyo.
Corentin : Sympa. Bon, et qu’est-ce que ça veut dire, concrètement, cette ouverture des relations diplomatiques ?
Thomas : Dans un premier temps, ça veut dire que l’on peut vendre plein de trucs et faire du gros pognon ! Les japonais vont faire venir des ingénieurs pour construire des bâtiments industriels, et les français vont acheter plein de nouvelles “chinoiseries” - qui est le nom donné en France depuis le XVIIe siècle aux objets d’art venant d’Extrême-Orient. Ce nouvel afflux d’art japonais va impulser un mouvement artistique en France : le japonisme.
Inspirés par ces “chinoiseries”, mais aussi par les papiers servant à les protéger dans les colis - qui sont en fait des estampes - les artistes français puis européens vont tomber amoureux du Japon et de ses motifs. Les mouvements impressionniste puis Art Déco doivent ainsi énormément aux artistes nippons Hokusai, Hiroshige ou Utamaro. Monet, Manet et Rodin collectionnaient les estampes. On a des portraits de Toulouse-Lautrec habillé en notable japonais…
Corentin : Attends un peu… Des français qui collectionnent des oeuvres japonaises et qui se déguisent en japonais… C’est de Japan Expo que tu me parles !
Thomas : Tu ne crois pas si bien dire ! A la fin du XIXe siècle, Paris accueille plusieurs grandes expositions de maîtres japonais, où tout le beau monde et les artistes se précipitent ! L’histoire d’amour entre France et Japon est bien enclenchée, et dans les années 1910, c’est au tour d’un japonais, Tsuguharu Foujita, de venir faire de l’art japonais à la française, à Paris, qui est alors un bouillon artistique foisonnant.
Les relations sont tellement bien enclenchées qu’en 1868, alors que le Japon se modernise et débute ce que l’on appelle la restauration Meiji, un groupe de militaires français mené par le capitaine Jules Brunet, prend la tête d’une troupe de samouraïs, résistants à cette modernisation. Jules Brunet inspirera plus tard le personnage de Nathan Algren interprété par Tom Cruise dans le film Le dernier samouraï.
[02 - manon.mp3]
Il s’agit une nouvelle fois d’une artiste franco-japonaise, à savoir Manon, qui interprète Coco Boi Romance, un de ses titres les plus récents.
Corentin : On a bien vu les échanges culturels et militaires, mais sur les plans politiques et économiques, ça donne quoi ?
Thomas : Comme dit plus tôt, au XIXe siècle, la France va envoyer des ingénieurs pour construire des arsenaux, des lignes de chemin de fer ou des tramway au Japon. Depuis, avec le fameux miracle économique japonais d’après guerre, la tendance s’est un peu inversée. De grands constructeurs japonais ont établi des centres de productions en France, comme Toyota à Valenciennes ou Toshiba à Dieppe. Comme une réponse, c’est un franco-libano-brésilien qui est à la tête de Nissan. Et évidemment, il y a le tourisme. Plus de 500 000 japonais visitent la France chaque année. En retour, près de 150 000 français par an se rendent au Japon.
Sur le plan politique, il y a eu la Seconde Guerre mondiale, qui a un peu cassé les relations diplomatiques, on va pas se mentir. Mais dans les années 1990 et 2000, l’affection particulière de Jacques Chirac pour le pays du Soleil Levant a pas mal joué en faveur de relations apaisées avec l’archipel. Cependant, depuis 1945, le Japon n’étant pas un poids lourd dans les affaires géopolitiques - contrairement à ses voisins russe, chinois, et dans une moindre mesure les deux Corées. Sa présence politique reste limitée sur la scène internationale.
Corentin : On aura compris qu’une attirance au moins culturelle lie la France et le Japon. Merci Thomas pour cette chronique qui nous aura permis de comprendre ce que l’on célèbre vraiment avec ces 160 ans. Un dernier mot pour finir ?
Thomas : Oui ! Tout d’abord, vous trouverez facilement un calendrier de l’ensemble des manifestations culturelles dédiées au Japon sur le site Japonismes.org. Et je vous propose qu’on se quitte en musique avec la plus française des japonaises, Kumisolo, qui reprend Victime de la Mode, de MC Solaar. A bientôt !
[03 - kumisolo.mp3]
France - Japon : c’est la 160e, on refait le match
La France et le Japon, c’est une histoire d’amitié qui dure depuis plus d’un siècle et demi. Pourtant, ce n’est pas si long compte tenu de l’ancienneté de ces deux nations. Thomas Hajdukowicz résume pour nous cette relation de 160 ans.
0:00
6:49
Vous êtes sur une page de podcast. En cas de difficulté pour écouter ce document sonore, vous pouvez consulter sa retranscription rapide ci-dessous.