Corentin : En octobre 2018, on commémore les 60 ans de la Ve République en France. Mais à quelques milliers de kilomètres de Colombey les deux Eglises, on commémore un autre événement politique d’ampleur : le coup d’Etat d’octobre 1958, au Pakistan. De quoi s’agit-il, pourquoi ça a eu lieu, et comment ça a eu lieu, Thomas ?
Thomas : Salut Corentin. Question fort complexe que tu me poses de si bon matin, mais on va essayer de démêler tout ça. Parce que le Pakistan, aujourd’hui, ça évoque pas grand chose au grand public…
Corentin : Oui, parce qu’à part “voisin turbulent de l’Inde” et “endroit où Oussama Ben Laden a été tué”, j’en sais pas beaucoup plus sur ce pays.
Thomas : Eh bien tu devrais, parce que c’est quand même une des puissances nucléaires de ce monde, et que le pays a une des plus grandes nations musulmanes.
Corentin : Bon, alors oublie mes questions en introduction, et réponds d’abord à celle-ci, plus simple : c’est quoi le Pakistan.
Thomas : Eh bien c’est un pays relativement neuf. Il fait suite à la partition de l’Empire britannique des Indes, en 1947; qui donnera naissance à 2 pays et demi : l’Inde, et le Pakistan.
Corentin : C’est quoi cette histoire de deux pays et demi ?
Thomas : Comment dire ça simplement… Le mieux, c’est que je laisse le regretté Jean-Christophe Victor l’expliquer, dans cet extrait de l’émission Le dessous des cartes, de 2016 :
[01 - pakistan.mp3]
Le 15 août 1947, le départ des Anglais entraîne la partition de l’empire, entre d’une part l’Inde et d’autre part le Pakistan, lui-même divisé en deux territoires : le Pakistan Occidental et le Pakistan Oriental, situé de part et d’autre du nouvel Etat indien, à environ 2000 kilomètres l’un de l’autre. Car les musulmans de l’empire britannique des Indes, minoritaires, voulaient disposer de leurs propres Etats, dans des territoires où ils sont majoritaires.
Voilà d’où viennent les deux pays et demi. La partition va entraîner d’importants déplacements de populations qui vont durer jusque dans les années 1960. En 1971, le Pakistan Oriental fait sécession et obtient son indépendance, et devient le Bangladesh. Mais ça, c’est une autre histoire.
Corentin : Concentrons-nous plutôt sur le Pakistan comme on le connaît aujourd’hui. Le pays existe depuis 1947, OK. C’est une démocratie ?
Thomas : Oui. Mais c’est compliqué. Car une guerre avec l’Inde éclate à propos de la question - toujours pas résolue par ailleurs - concernant la région du Cachemire. Ce conflit, qui mêle intérêts stratégiques, géopolitique et religions, permet au Pakistan de s’affirmer comme un Etat musulman. Mais à l’intérieur, le pays est instable.
Des tensions montent entre Pakistan Occidental et Oriental dans le contexte de la guerre froide, puisque l’Ouest est sous influence américaine alors que l’Est est sous influence soviétique. Une forme de détente intérieure a lieu en 1956 avec l’adoption de la Constitution qui fait du Pakistan une république islamiste. Lors des premières élections du pays, Huseyn Suhrawardy devient premier ministre d’un gouvernement de coalition entre socialistes et communistes, et Iskander Mirza devient président. Fait notable : ils sont tous les deux originaires du Pakistan Oriental.
Corentin : Mais ce qui ressemble à de la stabilité ne va pas durer, j’imagine;
Thomas : Tu imagines bien. Le torchon brûle rapidement entre Suhrawardy et Mirza, notamment sur la question de l’administration du Pakistan Oriental. En 1957, à peine un an après l’accession à son poste, Suhrawardy démissionne. Deux autres premiers ministres lui succèdent cette même année. Le pouvoir dirigeant est très affaibli. Le 7 octobre 1958, sous pression, le président Mirza abroge la Constitution et décrète la loi martiale.
Corentin : Et ça, c’est parfait pour un petit coup d’Etat, non ?
Thomas : Eh oui. Le 27 octobre 1958, le général Ayub Khan, commandant en chef des armées pakistanaises, dépose Mirza. Le maintenant ex-président est déplacé dans la province du Balouchistan, avant d’être exilé vers Londres, où il mourra en 1969. Notons que ce coup d’Etat se déroule sans violence.
Corentin : Outre la jeunesse du pays et la faiblesse de ces dirigeants, pourquoi est-ce que ce coup d’Etat a pu avoir lieu ?
Thomas : Il faut une nouvelle fois repositionner tout ça dans le contexte de la Guerre Froide. Un gouvernement socio-communiste, ça fait un peu peur aux Etats-Unis. Si l’Inde, démocratique et plutôt libérale, ne leur pose pas de problème, elle n’est pas non plus une puissance alignée à l’Ouest. Le fait que l’URSS, qui ont dans leur sphère d’influence la Chine et les républiques soviétiques d’Asie Centrale, ait des vues sur le Pakistan inquiète et fragiliserait la position américaine dans la région. Du coup, l’arrivée au pouvoir de militaires à l’assise forte et aux idées penchant en faveur de Washington rassure les Américains, qui vont soutenir largement le régime d’Ayub Khan.
Corentin : Et ça marche, un régime autoritaire pour stabiliser le pays ?
Thomas : Au début, oui. Quand tu arrives en sauveur, que tu es soutenu par tout un tas de dollars et que tu as l’armée dans ta poche, tu peux faire deux-trois trucs. Il va donner naissance à une nouvelle constitution en 1962, affirmant son pouvoir présidentiel (en s’assurant que le collège électoral soit à sa botte). Il va également libéraliser l’économie du pays. Le Pakistan des années 1960 connaît un boom économique grâce à l’afflux d’investissements étrangers. Et bien qu’il s’agisse d’un régime militaire autoritaire, avec encadrement des médias, la culture pakistanaise connaît un boom, notamment la pop pakistanaise.
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S’il n’y a qu’un morceau à retenir des années 1960, c’est ce Ko Ko Korina, interprété par Ahmed Rushdi, ici enregistré en live.
Corentin : Sympa ! Mais du coup, tu as dit que les succès politiques de Khan n’allaient pas durer. A quel moment ça flanche ?
Thomas : En 1965. En janvier, la première élection présidentielle a lieu. Si Khan remporte 64% des suffrages, c’est un score assez décevant quand tu es supposé avoir l’intégralité des grands électeurs sous contrôle. Surtout, la majorité des scrutins en faveur de son opposante, Fatima Jinnah, viennent des grandes villes, signe d’un affaiblissement de Khan dans les grands centres.
Et cette même année éclate une deuxième guerre entre Inde et Pakistan, toujours au sujet du Cachemire. L’attaque du Pakistan dans la région est un échec, et après plusieurs mois de conflit, une paix est signée. Si les frontières ne bougent pas, le Pakistan est clairement le vaincu, et ses habitants en veulent énormément à Khan. A partir de là, c’est la descente. Des mouvements d’opposition se forment, des révoltes éclatent à la fin des années 1960 conduisant à l’instauration d’une nouvelle loi martiale. Il faut attendre 1971 et l’indépendance du Bangladesh pour un retour à la démocratie dans le pays.
Corentin : Au final, que retient-on de ce coup d’Etat de 1958 ? Pourquoi est-ce qu’il a une importance dans l’histoire du Pakistan ?
Thomas : Il est important parce qu’il signe le début de la relation très complexe qu’a le Pakistan avec son armée, surtout sur le plan politique. Si le régime de Khan est le premier régime militaire autoritaire du Pakistan, il faut savoir que le pays en a connu 2 autres depuis ! Un de 1977 à 1988, l’autre beaucoup plus proche de nous, de 1999 à 2007. Tout ça commence avec ce coup d’Etat.
Corentin : Eh bien merci pour ces informations historiques sur ce pays mal connu, Thomas, et à bientôt !
Thomas : A bientôt !
Il y a 60 ans : coup d’État au Pakistan
Le Pakistan n’est pas forcément le pays à l’histoire la plus connue par chez nous. Et pourtant, il y a 60 ans s’est tenu là-bas un coup d’État qui a encore des répercussions sur son fonctionnement. Cours de rattrapage avec l’ami Thomas Hajdukowicz.
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