Corentin : Un des serpents de mer politiques français de ces 40 dernières années, c’est l’invocation par certaines personnalités de la nécessité d’une VIe République.
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Simone Veil : Il faut une VIe République, avec un régime présidentiel, qui est dans la logique du système actuel.
Arnaud Montebourg : On ne peut pas fonctionner avec la concentration sur la tête d’un seul homme des décisions sans que celui-ci n’en rende jamais de compte. Ca n’est pas possible.
Jean-Marie Le Pen : Je proposerai au pays une refonte constitutionnelle qui ouvrira la voix à la VIe République et permettra une autre politique.
Ségolène Royal : Je crois qu’ils en ont assez aussi d’avoir des institutions qui ne leur ressemblent pas, et je ferai donc une réforme profonde des institutions, une nouvelle République qui s’appellera sans doute la VIe République.
C’étaient donc des interventions de Simone Veil, Arnaud Montebourg, Jean-Marie Le Pen et Ségolène Royal, toutes et tous s’exprimant en faveur d’une VIe République. Mais pourquoi tout le monde veut cette VIe République, alors que nous venons de célébrer les 60 ans de la Ve République ? Elle est pas bien, la Ve République, Thomas ?
Thomas : Salut Corentin. Elle est coton, ta question ! Je suis pas constitutionnaliste, moi ! Mais par contre, on peut expliquer historiquement pourquoi plusieurs voix, issues de courants politiques très différents, se sont exprimées en faveur d’une VIe République. Et pour ça, il faut revenir aux origines de la Ve République, qui a fêté ses 60 ans le 4 octobre 2018 comme tu l’as dit.
Corentin : Bon ben commençons par le commencement : pourquoi y’a-t-il eu une Ve République ?
Thomas : Eh bien pour le savoir… il faut remonter à la IVe République…
Corentin : Tu serais pas un peu en train de te moquer de moi, là ?
Thomas : Non, non, c’est très sérieux ! La IVe République fait suite au Gouvernement provisoire d’après la libération de la France à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Instituée en 1946, elle est fortement chahutée à partir de 1957, qui conduira à sa fin, un an plus tard, en 1958.
Corentin : Et pourquoi donc ?
Thomas : Pour plusieurs raisons, évidemment, parce qu’en histoire, rien n’est jamais simple. Tout d’abord, la IVe République est un régime essentiellement parlementaire : le président de la République a un rôle mineur, et c’est en fait le gouvernement dirigé par le président du Conseil qui gère les affaires. Ce gouvernement est validé par l’Assemblée Nationale, qui a donc le pouvoir de le faire et le défaire.
Ce qui nous amène à notre deuxième raison : l’après-guerre est une période bouillante politiquement pour la France. On compte une multitude de partis sur tout le spectre politique. En 1958, aucune véritable majorité n’existe. Certains partis charnières ont le pouvoir d’influer sur qui dirigera le pays. Sur les presque 12 ans qu’a duré la IVe République, on compte pas moins de 25 gouvernements différents !
Enfin, en plus de ces crises politiques intérieures, il y a tout ce qu’il se passe à l’extérieur. En 1958, la France gère avec plus ou moins de succès la décolonisation. Il y a eu la guerre d’Indochine, et il y a la guerre d’Algérie. Le putsch d’Alger, qui est en fait un coup d’Etat militaire, a lieu le 13 mai 1958. Les militaires exigent la démission du gouvernement pour préserver l’Algérie Française.
Corentin : Pas mal de choses vont dans la direction de la mise en place d’un changement de régime. Donc comment la Ve République a vu le jour ?
Thomas : Face à la crise et au coup d’Etat, de Gaulle sort de sa traversée du désert. Il est présenté comme un homme providentiel, tant par les putschistes qui respectent alors la figure du militaire, que par les Français, qui voient en lui le libérateur de 1944. Quelques heures avant la fin de l’ultimatum des putschistes, le gouvernement démissionne. De Gaulle, avec l’aval de l’Assemblée Nationale, forme un gouvernement.
La tâche principale de ce gouvernement va être la rédaction d’une nouvelle constitution. Le 28 septembre 1958, le texte, co-rédigé par Michel Debré et Charles de Gaulle, est soumis à un référendum.
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De tout mon coeur, au nom de la France, je vous demande de répondre oui. Si vous ne le faites pas, nous retomberons le jour même dans les errements que vous savez. Si vous le faites, la République deviendra forte et stable.
Le résultat est sans appel : le texte est approuvé grâce à 82,60% de oui.
Corentin : Un score incontestable, effectivement ! Bon, du coup, qu’est-ce qu’elle contient, cette fameuse constitution ? Quels changements apportent cette Ve République ?
Thomas : La Ve République veut apporter de la stabilité gouvernementale. Cette stabilité est incarnée par le chef de l’Etat, le Président, qui voit ses pouvoirs largement augmentés. Il a la possibilité de dissoudre l’Assemblée Nationale et d’appeler au référendum, par exemple. C’est le début de ce que certaines et certains, à commencer par Jean-Luc Mélenchon, appellent la monarchie présidentielle.
De son côté, l’Assemblée Nationale semble être davantage aux ordres de l’exécutif. De facto, sans élections législatives proportionnelles, la logique de la Ve République laisse surtout la place aux grands appareils politiques traditionnels.
Corentin : Et du coup, aujourd’hui, pourquoi est-ce des voix s’élèvent en faveur d’une VIe République ?
Thomas : Parce que la Ve République a évolué. En 60 ans d’existence, elle a été révisée pas moins de 24 fois ! Sur ses 92 articles originaux, seuls 30 sont restés comme en 1958, les autres ayant connu une ou plusieurs modifications au fil du temps.
Parmi les autres critiques, il y a évidemment la remise en question de l’hyper-présidentialisation du pouvoir, avec un Président quasi intouchable, qui ne rend de compte à personne, même lorsqu’il y a cohabitation politique. Il y a également la question de la représentation, notamment à l’Assemblée Nationale, et le souhait de partis plus mineurs de pouvoir siéger à l’Assemblée Nationale.
Corentin : Du coup, la VIe République, c’est pour demain ?
Thomas : C’est difficile à dire. Mais a priori : non. Non, car comme on l’a vu, la Constitution de 1958 est une Constitution sur mesure pour les présidents ! Passer à autre chose signifierait perdre ces pouvoirs. Or, quelle personnalité politique est prête à ça aujourd’hui ? L’actuel locataire de l’Elysée s’est d’ailleurs exprimé à ce sujet lors de son déplacement à Colombey-les-Deux-Églises le 4 octobre 2018, lors de la célébration des 60 ans de la Ve République :
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La force de cette Constitution, c’est qu’elle permet d’avancer, pour qui le décide l’a expliqué aux Français quand ils l’ont choisi. Et elle permet d’éviter la tyrannie de l’immédiateté.
Corentin : On l’aura compris, cette Constitution de la Ve République est un texte qui risque de faire débat encore longtemps. Merci pour ces rappels et ces éclairages, et à bientôt, Thomas !
Thomas : A bientôt !
La Ve République : soixante ans de débats
Elle vient de fêter ses 60 ans et elle fait preuve d’une remarquable stabilité. Il faut dire qu’elle a été conçue pour ça, la La Ve République. Avec Thomas Hajdukowicz, revenons sur l’actuel régime politique français, aussi adulé que décrié.
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