Corentin : On connaît tous les grands événements de la Révolution Française, avec la prise de la Bastille, l’arrestation de la famille royale à Varennes ou encore la Terreur. Mais il y a également des épisodes moins connus, et c’est de l’un d’entre eux que tu viens nous parler, aujourd’hui, Thomas.
Thomas : Bonjour Corentin. Oui, je vais vous parler de la marche des femmes, qui a lieu les 5 et 6 octobre 1789. Je parle de cet événement parce qu’à l’heure où nous enregistrons la chronique, nous sommes en octobre, et aussi parce que le film Un peuple et son roi, qui traite de la Révolution, de 1789 à la mort de Louis XVI, est récemment sorti sur les écrans.
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Nous avons des choses à vous dire. Messieurs, Paris souffre. Paris a faim. Nous sommes des centaines, peut-être des milliers. Il faut que les puissants entendent nos voix.
Corentin : Bon, eh bien commençons par le plus simple : c’est quoi, cette marche des femmes ? Elle a lieu après la prise de la Bastille, manifestement.
Thomas : Oui, et après tout un tas d’autres trucs très importants, comme l’abolition des privilèges et la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Plusieurs facteurs vont conduire à ce que l’on appelle “les journées d’octobre” dans l’historiographie française, et qui sont marquées par cette marche des femmes.
Tout d’abord, il y a les grands idéaux qu’a lancée la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le roi n’a pas encore approuvé le texte, or, en tant que représentant du pays, il se doit de le faire.
Ensuite, il y a une menace perçue contre la Nation. Début octobre, la garde royale fait donner des banquets à Versailles. Plusieurs centaines de gradés se réunissent. Plusieurs toasts sont portés, et pour la plupart acceptés. Tous, sauf un, à la Nation. En outre, les soldats se défont de leurs cocardes tricolores pour les remplacer par des cocardes blanches, en allégeance au roi, ou noires, en allégeance à la reine. S’il ne s’agit ici que de symboles, les soldats ayant participé aux banquets sont considérés comme des ennemis de la Nation.
Enfin et surtout, il y a la disette. Alors que les récoltes ont été plutôt bonnes cette année, le prix du pain s’envole à Paris. Or, le pain est l’aliment de base d’une immense partie de la population. Certains voient là un complot de la faim orchestré par les partisans du roi. Par ailleurs, les echos des bacchanales s’étant tenues à Versailles alimentent cette théorie du complot.
Corentin : On comprend bien que, même si la Bastille est tombée et que la liberté et l’égalité ont été érigés en principes fondamentaux, tout n’est pas réglé pour autant. Comment se déroulent donc ces journées d’octobre ?
Thomas : Le 5 octobre au matin, des parisiennes commencent à se réunir devant l’Hôtel de Ville. Leur doléance principale est le prix du pain, trop élevé. Elles demandent à être reçues par les représentants de la Commune de Paris pour que les profiteurs de la disette - ceux qui vendent le pain trop cher - soient jugés et punis. Elles trouvent porte close. Elles décident alors de forcer les portes de l’arsenal de l’hôtel de ville pour se saisir d’armes et de canons.
Un cortège de plusieurs milliers de parisiennes, dirigées par les femmes, démarre des Halles. Il se dirige vers Versailles. Ca n’est pas une procession inhabituelle : les femmes des Halles sont des représentantes officieuses du peuple de Paris et sont des interlocutrices du pouvoir royal. Après 6 heures de marche sous la pluie, elles arrivent à Versailles. Epuisées, elles trouvent le repos dans la salle de l’Assemblée Nationale. Là, elles vont pouvoir exposer leurs demandes. L’Assemblée envoie alors une députation auprès du roi, qui fait envoyer des charrettes de pain sur Paris. Les députés en profitent également pour faire signer la Constitution et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
Pendant ce temps, des échauffourées entre manifestants et gardes royaux ont lieu. La nuit, l’ensemble des parisiennes et parisiens veillent à Versailles. Le 6 octobre, vers 6h00 du matin, de nouveaux affrontements éclatent. La foule pénètre dans le château, et exige que la famille royale vive à Paris, où le peuple pourra contrôler ses agissements. Louis XVI n’a d’autre choix que d’accepter. Ce même jour, à 22h00, la famille royale entre au Palais des Tuilleries, accompagnée par les chants des parisiens qui accueillent le boulanger, la boulangère et le petit mitron.
Corentin : Du coup, quelles conséquences ces journées ont sur la Révolution ? Paris ne manque plus de pain, mais après ?
Thomas : Eh bien le roi est à Paris, et ça, c’est un sacré événement. En ramenant Louis XVI dans la capitale, les révolutionnaires redirigent le centre politique de la France de Versailles vers Paris. En effet, l’Assemblée Nationale va suivre le roi.
Cet épisode nous rappelle également le rôle des femmes pendant l’Ancien Régime. Evidemment, le rôle des femmes dépendait énormément de leur naissance : une noble n’allait clairement pas avoir la même destinée qu’une paysanne ou qu’une lavandière. Mais fondamentalement, dans les classes laborieuses, les femmes ont un rôle économique, en cela qu’elles gèrent au quotidien les dépenses du foyer. La marche des femmes, menées par les parisiennes des Halles, le coeur économique de Paris, nous le rappelle.
Corentin : Quels autres rôles ont pu jouer les femmes pendant la Révolution ?
Thomas : Malgré ce rôle économique essentiel, les femmes ne sont pas considérées comme des individus par l’Ancien Régime. La vie publique leur est refusée. Leur rôle est cantonné au foyer et à la famille. La Révolution va commencer à changer cet état de faits.
Car quand on énonce que “Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits”, ça donne des idées. Qu’est-ce que ça veut dire, “les hommes” ? On parle d’êtres humains, ou bien de personnes dotées d’un pénis ? Pour clarifier la situation, Olympe de Gouges, une des personnalités féminines les plus connues de la Révolution, considérées comme une des pionnières du féminisme, publie en 1791 une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Elle y demande pour les femmes les mêmes droits civiques et politiques que ceux accordés aux hommes. Car selon elle si “la femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la Tribune”.
Le texte est rejeté par la Convention, mais ouvre des portes. Si les femmes ne peuvent pas participer directement aux débats des différentes assemblées, elles sont présentes dans les espaces ouverts au public où elles réagissent, chantent, approuvent ou huent les différentes interventions. Elles participent également de plus en plus aux différents clubs politiques qui naissent à partir de 1789.
Corentin : Tout ce que tu me racontes, ce sont surtout des initiatives qui vont avoir un impact dans des cercles restreints. La Révolution n’entend pas les demandes des femmes ?
Thomas : Elle les entend un peu. Les femmes vont obtenir de nouveaux droits : accession à la majorité civile, droit à la propriété, droit au divorce. En 1793, les femmes obtiennent le droit de porter la cocarde. C’est un symbole fort, le port de la cocarde signifiant jusqu’ici la citoyenneté. En l’accordant aux femmes, la Convention reconnaît en filigrane qu’elles peuvent devenir citoyennes à part entière.
Mais la fête est de courte de durée. En 1801, sous le Consulat, après le coup d’Etat de Bonaparte, les autorités françaises estiment que la Révolution a donné de mauvaises habitudes aux femmes. On les renvoie alors aux rôles auxquels elles étaient cantonnées durant l’Ancien Régime.
Corentin : Et il faudra de nombreuses années pour que les Françaises récupèrent les droits qu’elles avaient acquis lors de la Révolution. Merci Thomas pour ces rappels historiques, et à bientôt.
Thomas : A bientôt !
Le boulanger, la boulangère et le petit mitron : la marche des femmes
Quand on pense Révolution française, on pense d’abord au serment du Jeu de Paume ou à l’exécution de Louis XVI. Et pourtant, il est une marche qui a grandement fait bouger les choses : celles des femmes de Paris ! On refait l’histoire avec Thomas Hajdukowicz.
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