Corentin : Il est des événements qui marquent tant l’opinion publique, et qui ont été tant de fois analysés et interprétés qu’on en viendrait presque à croire qu’ils sont en fait fictifs. Et c’est de l’un de ces événements dont tu viens nous parler, Thomas.
Thomas : Salut Corentin. Effectivement, cette année 2018 marque les 130 ans des meurtres de Whitechapel, attribués en partie à Jack l’éventreur. Nous en parlons spécifiquement en ce moment parce que le 16 octobre 1888, le comité de vigilance du quartier de Whitechapel, à Londres, donc, a reçu une des lettres que l’on attribue avec beaucoup de certitude au meurtrier, la fameuse lettre “From Hell”, expédiée depuis l’enfer.
Corentin : Beaucoup de choses ont été dites autour de ces meurtres. Mais pourquoi est-ce qu’aujourd’hui encore, 130 ans plus tard, ils restent présents dans l’imaginaire collectif ?
Thomas : Pour plein de raisons. Bon, d’abord, comme de nombreux crimes commis par des tueurs en série, il y a l’instinct de mort du public. Les meurtres attribués à Jack l’éventreur sont spectaculaires dans le sens où ils sont effroyables, et que leur détail a largement été décrit par la presse de l’époque, ainsi que dans l’ensemble des documents de l’enquête.
Ensuite, parce que le ou les coupables n’ont jamais été arrêtés. Ca alimente l’idée d’un tueur fantôme, venu pour assassiner ces pauvres femmes. Ca alimente également l’idée d’une théorie du complot, et ça, le public aime.
Car, et c’est la 3e explication de la mémoire longue de cette affaire, il y a beaucoup de complotisme autour des assassinats de Jack l’éventreur. Pourquoi le meurtrier s’est-il arrêté au bout de 5 victimes ? Quel rôle a tenu la famille royale - menée par Victoria - dans l’enquête ? Et le monde intellectuel de l’époque ? Et les franc-maçons ? Et les communistes ? Et les juifs (le quartier de Whitechapel était le foyer d’une importante communauté juive) ? Un tas de théories fumeuses et parfois puantes ont pu se développer autour de l’affaire.
Enfin, on connaît tous Jack l’éventreur parce que, finalement, bien que réel, il s’est transformé en personnage de fiction au fil des décennies. On ne compte plus les films, séries TV, romans, BDs, jeux vidéo… ayant Whitechapel pour décor. Lorsqu’ils écrivent l’Opéra de Quat’sous en 1928, Kurt Weill et Bertholt Brecht pensent forcément à Jack l’éventreur pour le personnage de Mack The Knife.
[01 - mack the knife.mp3]
Corentin : Bon, du coup, parlons de l’affaire en elle-même. Tu dis qu’il y a 5 victimes. Mais tout le monde n’est pas d’accord à ce sujet.
Thomas : Effectivement, tout le monde n’est pas d’accord. Le nombre de 5 victimes repose sur le modus operandi des meurtres les plus connus de Whitechapel, à savoir ceux qui se sont déroulés entre le 31 août et le 9 novembre 1888. Des mutilations effectuées sur les corps à la période pendant laquelle ils ont eu lieu (la nuit, en fin de semaine), plusieurs faits ont conduit les enquêteurs à les regrouper dans ce que l’on appelle les victimes canoniques. Il s’agissait de Mary Ann Nichols, Annie Chapman, Elizabeth Stride, Catherine Eddowes et Mary Jane Kelly.
A ces cinq assassinats, on peut ajouter les meurtres d’Emma Elizabeth Smith et de Martha Tabram, qui ont eu lieu plus tôt en 1888, et ceux de Rose Mylett, Alice McKenzie, Frances Coles et d’une victime que les enquêteurs n’ont jamais pu identifier, qui ont eu lieu entre décembre 1888 et février 1891.
Au total, on dénombre 11 victimes des meurtres de Whitechapel. Mais gardez à l’esprit que l’on n’en attribue que 5 à Jack l’éventreur.
Corentin : Merci pour ces précisions qui nous permettent de comprendre l’ampleur de ces crimes. Mais a-t-on une idée des motivations de Jack l’éventreur ?
Thomas : Non, tout simplement parce que l’on ne sait pas qui se cache derrière cette identité, ce qui aurait pu nous donner des pistes. Parmi les suspects, on compte de nombreuses personnes atteintes de troubles mentaux, quelques chefs de bandes locales ou encore des médecins clandestins.
Parmi les théories les plus complotistes, on retiendra celle émise par Stephen Knight, qui voyait dans ces meurtres le règlement d’une conspiration pour cacher un bébé royal illégitime, organisé par Victoria elle-même, et mise en oeuvre par un des médecins de la reine, Sir William Gull. Cette théorie, depuis longtemps rejetée par les spécialistes, sert de base à la bande dessinée From Hell, de Alan Moore et Eddie Campbell, que je vous recommande chaudement. Et la BD a donné lieu à un film, intitulé également From Hell, que je vous déconseille chaudement.
Corentin : Bon, et puisqu’on parle de From Hell, que raconte cette lettre envoyée depuis l’enfer que l’on attribue à Jack l’éventreur ? Et comment est-on sûr que c’est bien lui l’auteur ?
Thomas : Ta question est légitime, puisque Scotland Yard a reçu des centaines de lettres d’anonymes se présentant tantôt comme étant Jack l’éventreur, tantôt comme Tablier de Cuir, un des surnoms que la presse avait donné à l’auteur des meurtres au début de l’enquête.
On sait quasiment que c’est lui puisque la lettre, reçue le 16 octobre 1888, était accompagnée d’un demi-rein humain, conservé dans un flacon d’alcool. Ce rein, d’après certains médecins de l’époque, devait appartenir à une femme ayant une forte consommation d’alcool, et devait avoir été prélevé au maximum 3 semaines avant l’envoi. Or, Catherine Eddowes, une des victimes de Jack l’éventreur, présentait ces caractéristiques : le meurtrier lui avait prélevé un rein après l’avoir tué deux semaines auparavant.
Corentin : Ah, oui, effectivement, il y a des signes qui ne trompent pas. Et du coup, que contient-elle, cette lettre ?
Thomas : Déjà, elle a une calligraphie hasardeuse, et est écrite dans un anglais très phonétique, que l’on pourrait associer à l’accent cockney. En substance, l’auteur de la lettre se vante d’avoir tué une femme, le rein en étant la preuve. Détail sordide, il ajoute que s’il n’y en a plus que la moitié, c’est parce qu’il en a mangé une partie. En fin de lettre, il nargue ceux qui le pourchassent sans pour autant le saisir.
Corentin : C’est un peu glaçant tout ça. On comprend un peu mieux le tumulte qu’a pu provoquer un tel courrier dans le contexte des meurtres. Mais finalement, si l’on n’a pas attrapé le coupable, quelles conséquences a eu cet événement ?
Thomas : Il y en a plusieurs. Tout d’abord, ces affaires ont mis la lumière sur les conditions de vie insalubres, dangereuses et déplorables de certains quartiers populaires de Londres, Whitechapel évidemment, mais l’East End (donc les quartiers Est) en général. Une grande politique de salubrité a été mise en place, avec démolition des dortoirs les plus insalubres jusqu’au début du XXe siècle.
Ensuite, il y a l’impact sur la culture populaire. Jack l’éventreur est devenu un mythe, d’abord pour faire peur aux enfants, puis comme exemple de tueur en série aristocrate. On le retrouve aujourd’hui dans des centaines d’oeuvres de fiction.
Enfin, ces crimes ont lancé le mouvement de la ripperologie, à savoir l’étude de Jack l’éventreur. Des milliers de personnes, professionnels de l’investigation comme amateurs, se sont mis en tête d’élucider le mystère qui entoure cette affaire. Avec l’avènement des techniques d’enquête scientifiques poussées, ça donne lieu à de nouvelles théories.
Corentin : J’imagine que ça veut donc dire que la légende de Jack l’éventreur va courir encore longtemps. Merci pour ces informations, Thomas, fais attention à toi en rentrant ce soir, parce qu’on sait jamais, et à bientôt, je l’espère !
Thomas : A bientôt !
Retour sur Jack l’Éventreur à l’occasion des 130 ans des meurtres de Whitechapel
L’histoire de Jack l’Éventreur est devenue tellement mythique qu’on pourrait croire qu’il s’agit d’une fiction ! Pourtant, les meurtres qu’il a perpétrés ont bel et bien existé. On récapitule ces faits vieux 130 ans avec Thomas Hajdukowicz.
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