Corentin : Aujourd’hui Camille Suard revient sur Google et le projet DragonFly, un dossier épineux qui secoue le monde de la tech depuis cet été, puisque ce dernier est jugé comme une menace pour la liberté du web et même, des droits humains.
Camille : Google est le moteur de recherche le plus utilisé dans le monde. Il faut dire qu’en passant par lui, il est possible de tout ou presque trouver, et qu’avec plus ou moins les bons mots clés utilisés, les résultats sont très généralement pertinents. Et pourtant, il existe un pays et un marché de plus en plus intéressant pour les géants de la tech qui résiste ou plutôt, qui refuse catégoriquement que ses habitants puissent utiliser la version du moteur de recherche telle que nous la connaissons. Je veux bien entendu parler de…
Co : La Chine, un pays attaché à la liberté du web et l’accès à l’information ?
Ca : Exactement Corentin. Impossible aujourd’hui de faire la moindre recherche web via Google en Chine. Ça n’a pas toujours été le cas, en 2006, Google avait déjà proposé une version de son outil en conformité avec la législation chinoise. Malheureusement, une cyberattaque en 2010 dirigée notamment vers des comptes Gmail de militants des droits humains chinois a fait voler en éclat toute entente entre l’entreprise américaine et le pouvoir local. Résultat, les utilisateurs pouvaient dans un premier temps se tourner vers la version non censurée localisée à Hong Kong, avant de se voir refuser tout accès à Google, n’importe où en Chine. Google a ensuite toujours refusé de céder à nouveau aux exigences du gouvernement chinois, jusqu’à la révélation cet été du projet Dragonfly, on y vient, un moteur de recherche Google sur mesure et donc censuré.
Co : Mais alors du coup, qu’est-ce qui a changé en 2018 ? Pourquoi ce revirement de situation ? Le régime chinois a mis un peu d’eau dans son vin ?
Ca : Et non, pas du tout, c’est Google qui a finalement revu son jugement, voyons ce que pense de la Chine Sundar Pichai, le CEO de Google,lors d’une conférence organisée par le média Wired le 15 octobre dernier :
[EXTRAIT : (0:23 à 0:29) https://www.youtube.com/watch?v=ARoOogcxApk
Traduction : « la raison pour laquelle nous avons réalisé ce projet en interne, c’est que cela fait des années que nous sommes exclus de ce marché, qui est un marché formidable et innovant. »]
Ca : Comme l’a rappelé Pichai tout au long de cet événement, la Chine est un enjeu majeur, elle représente 20 % de la population mondiale. Il a aussi remis en avant la mission de Google, qui est d’apporter l’information au plus grand nombre. Et puis, cela s’inscrit dans un mouvement plus large de rapprochement entre la firme de Mountain View et la Chine : outre des rencontres politiques, un centre de recherche en intelligence artificielle a ouvert ses portes en 2017 à Beijing (Pékin pour ceux qui ne suivent pas) et d’autres projets et investissements concernant le cloud et le commerce en ligne devraient bientôt voir le jour.
Co : Pourtant Google a beaucoup insisté ces derniers temps sur les valeurs qu’il soutient, notamment en luttant contre le sexisme en interne mais aussi en fermant des sites néo nazis. J’imagine que l’annonce de ce projet “Dragonfly” a dû faire l’effet d’un coup de tonnerre !
Ca : Comme on pouvait s’y attendre, les ONG ont interpellé le géant de la tech, comme Amnesty International défenseur des droits humains, mais aussi des sénateurs américains, tous camps confondus, qui dénoncent Google de “complice de violations des droits humains”, créant par la même occasion “un précédent inquiétant pour les autres entreprises qui voudraient faire des affaires en Chine.”
Co : Et on imagine qu’en interne, il doit il y avoir des tensions… Le CEO de Google semble y croire dur comme fer et s’est même félicité des premiers tests effectués. Mais du coup, il ressemblerait à quoi concrètement ce Google censuré ?
Ca : Eh bien, c’est une question que semble également se poser Sundar Pichai.
EXTRAIT 2 (0:30 à 0:38) https://www.youtube.com/watch?v=ARoOogcxApk
Traduction : « nous voulions savoir à quoi ressemblerait Google si nous étions en Chine, donc c’est ce que nous avons construit en interne. Si Google fonctionnait en Chine, à quoi ressemblerait-il ? »
Même si le grand patron de Google estime que son moteur de recherche pourrait “répondre à 99 % des demandes” des utilisateurs, il faut savoir que ces derniers se heurteront à plusieurs restrictions : des accès partiels à certains médias d’information comme des sites ou des encyclopédies, des fonctionnalités revues à la baisse telles que la recherche d’images ou encore un filtrage de mots-clés qui éviterait les internautes de trop se renseigner sur les droits humains, par exemple. Google se pliera donc à cette “grande muraille électronique”, ce système de censure mis en place depuis 1998.
Co : Cela pourrait en effet signer le début de quelque chose… Reste une grande question, vaut-il mieux un Google censuré ou pas de Google du tout ? Même si on a bien une petite idée de la réponse… c’est une affaire à suivre en tout cas ! Merci Camille et à la prochaine.
À grands coups de compromis, Google veut courber la Chine
Ce n’est pas la première fois que Google essaye de s’imposer dans l’empire du Milieu. Débouté il y a plusieurs années à cause des demandes excessives du gouvernement chinois concernant la censure, le géant du net revient avec « Dragonfly » une version « light » de son moteur de recherche. Il semblerait ainsi que ce soit finalement Google qui ait décidé de faire des compromis pour enfin accéder à ce juteux marché. On essaye de comprendre tous ces enjeux, avec Camille Suard !
0:00
4:53
Vous êtes sur une page de podcast. En cas de difficulté pour écouter ce document sonore, vous pouvez consulter sa retranscription rapide ci-dessous.