Amazon ou Jumanji en entreprise
Corentin : Y a-t-il un pilote pour sauver les salariés d’Amazon, c’est la question que l’on se pose au regard du management tout particulier qui a cours dans les usines du géant du e-commerce dirigé par le milliardaire Jeff Bezos. Elodie Carcolse de la Réclame nous éclaire sur les conditions de travail très particulières imposées par l’un des fleurons de la Silicon Valley.
Élodie : Salut Corentin ! Si je te dis Silicon Valley justement, tu penses à quoi ?
C : Hum, comme ça Facebook, Apple, Google…
E : Exactement ! La Silicon Valley, c’est le fief des fleurons de l’industrie high-tech américaine, le berceau des géants du web. Quand on pense Silicon Valley, on pense à Apple, Netflix, eBay ou Facebook. À leur campus de la taille d’une ville et à leurs conditions de travail rêvées. C’est simple, pour attirer et retenir les meilleurs talents du secteur, les GAFA rivalisent d’avantages sociaux. Jugez un peu : salaire mirobolant, primes, stock-options, nourriture à volonté (et gratuite), congés payés pour faire du bénévolat. Sans oublier, séances de massage et d’acupuncture, des cours de méditation, une assurance pour animaux de compagnie, et même congélation d’ovocytes pour les femmes, congés parentaux illimités et garderie gratuite.
[Extrait 1 https://www.youtube.com/watch?v=S9AOG6SCG9c >> 0’15
C : Ça donnerait presque envie de payer pour y travailler…
E : Voilà, ça, c’est la carte postale made in Silicon Valley. Mais parmi eux, il en est un qui brasse des milliards, mais qui ne s’embarrasse pas de toutes ces petites choses qui peuvent adoucir l’existence. Je parle bien sûr d’Amazon qui traîne une lourde réputation de management du pire. Notamment depuis 2013 et la sortie du livre “En Amazonie”. Un Titre fort approprié puisque Amazon en gros, c’est la loi de la jungle appliquée aux ressources humaines. Et le groupe met vraiment du coeur à l’ouvrage pour être fidèle à sa réputation.
[Extrait 2 https://www.youtube.com/watch?v=vWNe_5ZpSCo
C : Fichtre, genre Hunger Games ?
E : Oh non, ça, c’est cool encore, les participants ont des armes pour se défendre. Aujourd’hui, je vous propose un voyage dans le monde du travail version Amazon. Accrochez vous, on ne sait jamais. On va commencer en douceur avec les dernières nouvelles du front, façon mise en bouche gentillette. En 2016, on apprenait par Bloomberg qu’Amazon diffusait les vidéos de ses salariés pris en flagrant délit pour refroidir les ardeurs des cleptomanes en puissance. Fin septembre, Business Insider a révélé qu’Amazon utilisait de faux colis pour tester l’intégrité de ses livreurs, et ce, afin de lutter contre les vols qui plombent la compagnie. Mal étiquetés, les faux colis présentent un message d’erreur les signalant non répertoriés lorsqu’ils sont scannés. Si le livreur ramène tous les faux colis, le tour est joué.
C : L’objectif semble louable, la méthode… moins
E : C’est tout le problème avec Amazon. L’objectif est toujours louable... enfin selon les dires de la firme. Autre exemple, en 2016 encore, Amazon a breveté une cage métallique, pour transporter ses salariés “en toute sécurité” dans les “zones protégées” des entrepôts. Une cage. Fermée. Qui te trimballe toute la journée d’un bout à l’autre d’un vaste hangar. Bonheur. Le système n’a jamais été développé, l’entreprise a trouvé une alternative sous la forme d’un petit gilet que les employés peuvent porter et qui permet aux unités robotiques de s’arrêter à proximité.
C : Saluons cette petite victoire de l’homme face à la machine.
E : Ne crions pas victoire trop tôt cher ami… Si la machine est un danger pour l’homme, on sait depuis Hobbes et “Dirty Dancing” que “l’homme est un loup pour l’homme” et Amazon entend bien en tirer profit. Toujours sous couvert de sécurité cela s’entend. Vous avez peut-être entendu parler de ce “jeu”, mis en place par le groupe dans un centre de distribution français fin 2017 ? Son nom ? Le “Safety Fun Game”. Le but du jeu ? Dénoncer son supérieur s’il ne respecte pas les règles de sécurité de l’établissement. Comme « ne pas respecter une posture recommandée pour déplacer un article » ou « ne pas respecter un passage piéton pour traverser une allée ».
C : Je serais cloué au pilori direct, je pense...
E : D’autant que pour motiver les troupes, il y a une récompense à la clé, comme des bons points, ou des lots. Balance ton manager contre un thermos connecté en somme. Critiqué, Amazon reste toujours droit dans ses bottes, presque étonné par la polémique. La firme vante même les mérites de cette « opération ludique, faite dans un esprit bon enfant et bienveillant ». Et se défend, bien évidemment, de toute “délation” dénoncée par les syndicats.
C : Évidemment, qui oserait penser à une telle chose ?
E : Tout le monde ! Les syndicats dénoncent depuis de nombreuses années les conditions de travail effroyables des salariés dans ces usines. Quand ce n’est pas la sécurité qui dicte sa loi, c’est la sacro-sainte performance si chère à l’entreprise. Quand Amazon fait la promesse de livrer ses 24 millions de clients en temps et en heure, parfois en 24 heures, c’est l’ouvrier qui trinque.
https://www.dailymotion.com/video/xznqbe 2’35 à 2’58
L’exemple est devenu iconique, mais les cadences sont si élevées que certains préféreraient uriner dans une bouteille en plastique plutôt que risquer d’être réprimandés pour “période d’inactivité”, comme l’a révélé une enquête en avril dernier. Et ça, c’est dans le meilleur des cas. La caisse qui s’occupe des accidents du travail, la Carsat, signale des burn out, des dépressions et même tentatives de suicide.
C: Ça me rappelle cette entreprise américaine dont les salariés portaient des couches, car ils étaient interdits de pause pipi.
E : Je pense qu’ils en ont rêvé, mais qu’ils n’ont pas encore osé. Cet exemple est vraiment révélateur de la philosophie du groupe en matière de management et de productivité. Sur l’échelle Darwinesque d’Amazon, seuls les meilleurs éléments survivent. Amazon c’est l’extension du domaine de la lutte où tous les coups sont permis, ou presque, la dévotion à l’entreprise est reine et l’abnégation, une religion dont Jeff Bezos serait le grand manitou. Vous allez certainement me dire Corentin...
C : Mais que fait Jeff Bezos ?
https://www.youtube.com/watch?v=fpDUiDQigO8
E : Ben Jeff Bezos, il est content. Enfin, il ne trouve pas grand-chose à redire. Les conditions de travail dépeintes précédemment ne sont que l’application de sa propre vision de l’entreprise : efficacité et optimisation du temps. Une vision appliquée à l’ensemble des Amazoniens, petites mains et cadres, et résumée dans la déclaration de principes du groupe, dont le premier point explique à lui seul les raisons d’une telle démarche : l’obsession du client. Il faut donc, je cite “s’investir personnellement”, “avoir souvent raison” (oui, on n’y pense pas assez en fait) ou encore “avoir des niveaux de standards élevés qui peuvent paraître irréalisables aux yeux de certains”. Vous l’aurez donc compris, au royaume d’Amazon, l’employé est un sujet et le client est roi.
C : On espère quand même que les conditions chez Amazon finiront un jour par devenir un long fleuve tranquille. Merci Élodie et à la prochaine !
Cadences infernales chez Amazon : l’arbre qui cache la forêt
Au fur et à mesure qu’on s’approche de Noël, les cartes bleues vont commencer à chauffer sur Amazon. Et c’est normal tant le géant du e-commerce réussit à fournir un large choix de produits qui arrivent particulièrement rapidement chez les clients. Mais c’est aussi bien connu, travailler pour Amazon, c’est accepter des conditions de travail particulièrement difficiles. On regarde ça d’un peu plus près avec Élodie Carcolse de « La Réclame ».
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