Corentin : La levée de l’anonymat sur Internet, voici un débat qui divise sur la toile, pour bien des raisons. Voyons avec Camille Suard pourquoi cette question est aujourd’hui soulevée et quels sont les arguments avancés par chacun des partis intéressés.
Camille : Bonjour Corentin et en effet, le Président de la République Emmanuel Macron a annoncé pendant le second rendez-vous du grand débat avec les maires de France qu’il était pour la « levée progressive de l’anonymat sur Internet » afin de favoriser un retour à un « statut de l’information ». Un moyen d’après lui, de lutter contre les fake news entre autre.
Extrait
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Alors en effet en France on doit faire face avec Internet et la diffusion très rapide de l’information, à des erreurs, un manque de contexte, de mauvaises interprétations et même parfois la volonté de personnes mal intentionnées, qui cherchent à servir leurs intérêts ou attiser la haine, à l’aide de fausses informations.
Co : Évidemment tout le monde n’a pas les outils, ou même les méthodes pour vérifier les sources de ces informations. De son côté, l’anonymat laisserait impunis les cyberharceleurs et ceux qui prodiguent des discours haineux.
Ca : Oui. C’est tentant, cette idée de pouvoir identifier les harceleurs, les personnes violentes et les mettre face à leur acte, les sanctionner. Peut-être qu’on peut même s’imaginer que cette levée de l’anonymat en dissuaderait un bon nombre. Mais les harceleurs ne sont pas tous anonymes. Ils se sentent tellement dans l’impunité derrière leur écran qu’ils ne cherchent même plus à se cacher. Des discours de haine, qu’ils soient racistes, misogynes, homophobes, antisémites, islamophobes… je crois qu’on en rencontre beaucoup, tous les jours, part des personnes qui s’expriment sous leur vraie identité. Une étude délivrée en 2016 par des chercheurs en sociologie de Zurich a par ailleurs démontré que les commentateurs les plus violents s’expriment sous leur vraie identité.
Co : Et il y en a même qui sont conviés régulièrement sur des plateaux TV. Mais revenons, à Internet. La fin de l’anonymat pose d’autres problèmes qui ont de quoi inquiéter.
Ca : Mettons de côté un moment les fakes news et les harceleurs cachés derrière un pseudonyme. L’anonymat est une manière pour celles et ceux qui ont besoin d’aide, d’avoir un endroit de liberté, un lieu de parole. Mais à cause de leur situation et de leur histoire ont besoin de s’assurer une protection. L’anonymat leur donne la possibilité de dénoncer les violences qu’elles subissent, sans jouer leur propre sécurité ou leur emploi. Enfin, j’ajouterai que l’anonymat permet à tout le monde de s’exprimer, et pas seulement les personnes appartenant aux groupes dominants.
Co : Pour des lanceurs d’alertes, les activistes, les personnalités publiques, des personnes qui subissent des violences par exemple dans leur milieu professionnel ou dans leur couples… En effet, l’anonymat sur Internet semble être le moyen le plus sûr pour libérer sa parole.
Ca : Moi-même j’ai eu recours plusieurs fois à l’anonymat sur Internet pour pouvoir poser des questions et partager des histoires personnelles ou professionnelles en toute liberté, sans trop m’auto censurer, et sans peur de représailles.
Co : Et si l’emprunt de pseudo permet de préserver son identité et sa situation, cela n’empêche pas le cyberharcèlement.
Ca : Oui car on peut se faire insulter même avec un pseudo sur Twitter. Je pense par exemple à des militants anti racisme ou des féministes qui parfois sont obligées pour se préserver, de prendre du recul, de se taire ou de quitter ces espaces de parole. Par exemple, la militante féministe Catherine de Haas, pourtant très active sur les réseaux avec le hashtag #balancetonporc s’est retiré de Twitter. Il n’est pas rare que les personnes opprimées dans la vraie vie, s’auto censurent par crainte de voir débarquer une horde de personnes malveillantes venant les insulter, les discréditer, les faire taire…
Co : Mais l’anonymat sur Internet permet de donner un peu plus de chance aux opprimés de s’exprimer.
Ca : Exactement, ce serait rendre Internet encore plus violent, où il serait toujours plus difficile à ceux qui n’ont pas le pouvoir de s’exprimer. Seuls les puissants, les intouchables pourraient parler librement. Certaines personnes ont décidé de s’exprimer malgré leur situation sous leur vrai nom, et c’est leur droit, leur choix. Imposer cela serait une erreur. Déjà, ça empêcherait beaucoup de personnes vulnérables de parler. Et celles et ceux qui devraient dévoiler leur véritable identité, alors qu’elles sont cyberharcelées ou susceptibles de l’être, ça peut même être dangereux, car les violences pourraient sortir du web. On peut pas prendre le risque de prendre à la légère les menaces de meurtre, de viol, de tout type d’agression et d’intimidation.
Co : Mais du coup quelles solution pour lutter contre les cyberviolences et les fake news ?
Ca : Alors déjà j’aimerais rappeler quelque chose de fondamental dans cette affaire, c’est que le problème c’est pas l’anonymat. La véritable cible, c’est bien l’impunité des cyberharceleurs et des plateformes et groupes qui laissent la diffusion des contenus diffamatoires et/ou haineux. De plus, si on revient au fake news, ces dernières ne vont pas forcément de paire avec l’anonymat.
Co : Oui et au quotidien j’observe des personnes qui partagent je pense a priori sans le savoir, des intox, sous leur vrai nom sur Facebook par exemple.
Ca : Ce qui pourrait être judicieux pour contrecarrer ça c’est une meilleure modération. Il n’est pas rare que Facebook ou Twitter se retrouvent épingler pour leur absence d’action face au cyberharcèlement. On doit demander aux plateformes de prendre leur responsabilité, de sanctionner ceux qui insultent, harcèlent. Et pour les fake news, elles devraient être en mesure de cibler les mauvaises sources. Même si cela reste imparfait, on ne peut pas renoncer à ce droit et cet espace de liberté. Il est utile pour les victimes et les opprimés qui ont enfin un outil pour s’exprimer. Les plateformes, les institutions et les puissants doivent prendre leurs responsabilités pour modérer ce qu’il se passe sur leurs services.
S’il y a bien une transparence à demander, c’est bien de leur côté à eux et pas aux internautes puisqu’elle met en péril leur liberté d’expression et parfois, leur sécurité.
Co : Ce n’est pas la première et sûrement pas la dernière fois que les politiques lancent ce genre de débat. Bref, on va suivre cela de près, merci Camille et à très bientôt;
Fin de l’anonymat sur internet : l’éternelle fausse bonne idée
En ces temps de fausses nouvelles et de cyberharcèlement, il était presque attendu que la question d’une sortie de l’anonymat sur internet soit remise sur la table. Le président de la République lui-même l’a d’ailleurs évoquée lors d’une séance du fameux Grand débat national. Camille Suard va nous expliquer en quoi cette proposition est tout sauf une bonne idée.
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