Fyre Festival, symptôme de la génération réseaux sociaux ?
Corentin : Vous avez peut-être vu filer le hashtag sur Twitter, si vous n’avez pas encore vu son documentaire sur Netflix, le fyre festival refait parler de lui trois ans après son incroyable fiasco. Une supercherie qui a fait rêver des milliers de jeunes privilégiés. Il faut dire que la promesse était alléchante, peut-être trop pour être vraie. Élodie de la Réclame revient sur cet échec retentissant dans lequel elle a entraperçu la photographie d’une certaine génération. Elle nous raconte tout.
Élodie : Hello Corentin, et salut à tous. Effectivement le Fyre festival, désormais rebaptisé “le meilleur festival qui n’a jamais eu lieu” par netflix, était déjà le festival le plus hypée de la planète avant même que son teaser embrase les internets. Je vous plante le décor : nous sommes fin décembre 2016, les 10 mannequins / influenceuses les plus en vue de la planète – Bella Hadid, Emily Ratajkowski, Hailey Baldwin (aujourd’hui mariée à Justin Bieber pour la seconde potins) ou encore Alessandra Ambrosio – publient les clichés de ce qui semble être leurs vacances entre copines sur lesquels elles annoncent la tenue prochaine d’un festival au nom évocateur, le Fyre Festival.
Corentin : je vois la carte postale en effet.
Élodie : Dans leur publication, elles invitent leurs followers à les y rejoindre en partageant le lien de l’événement. Un message bientôt relayé par une horde d’influenceurs sous la forme d’un énigmatique carré orange avec pour seule légende le hashtag #FyreFest. Très vite, la toile s’emballe, s’interroge, trépigne d’impatience jusqu’à… ça :
https://www.youtube.com/watch?v=mz5kY3RsmKo
Élodie : Ça, c’est une partie du teaser du festival, que vous pouvez trouver facilement en ligne et que je vous décris succinctement : nos 10 modèles sont réunies dans un film promotionnel paradisiaque, planté quelque part aux Bahamas, sur une île ayant autrefois appartenu à Pablo Escobar. La promesse ? Vivre une expérience unique, exclusive, et évidemment luxueuse, sur une île privée des Caraïbes le temps d’un week-end, avec tout ce que le monde compte de happy few, de privilégiés si vous préférez. Soit une fête gigantesque et hautement instagrammable entre élites fortunées concoctée par Fyre Media, la société fondée par Ja Rule et son associé Billy MacFarland, tous deux également organisateurs du festival.
Corentin : OK, mais pour l’instant, à part une île, des peoples et une promesse, on n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent, non ?
Élodie : Effectivement, mais cela a suffi pour susciter un engouement phénoménal et mondial autour du festival. Comme le rappelle Netflix dans son documentaire, à l’origine, le Fyre Festival est censé promouvoir l’application du même nom, Fyre, dont la vocation est de permettre à des personnes de « booker » des artistes ou célébrités pour des événements.
Corentin : donc pour promouvoir une application, la société s’est lancée dans l’organisation d’un festival de luxe aux Bahamas. Oui, ils ont le sens des proportions.
Élodie : Problème, comme le montre le documentaire, Billy MacFarland, véritable capitaine fracasse de ce bateau ivre, a vendu un festival qu’il n’a même pas commencé à organiser. 48 heures seulement après l’ouverture de la billetterie, l’événement affiche complet. Du jamais vu pour la première édition d’un festival, et l’attente n’en est donc que plus énorme. Il faut dire que certains participants ont déboursé entre 2 000 et 12 000 dollars par personne pour s’offrir cette part de rêve, 100 000 dollars pour les plus téméraires même. Et ce, sur la seule foi d’un teaser partagé en masse sur les réseaux sociaux, du bouche-à-oreille et des célébrités “parrainant” le festival.
Corentin: C’est vrai que c’est assez sidérant de se dire que des gens, certes fortunés, mais là n’est pas la question finalement, sont prêts à débourser des milliers d’euros sur… rien. Du vent, enfin là en l’occurrence la promesse de faire partie d’un club restreint.
Élodie : Effectivement et c’est ce que décrit très bien le documentaire, qui se rapproche parfois d’un film catastrophe tant on alterne les palpitations, les sueurs froides, les crispations et où on frôle même le burn-out. En gros, ce festival est né sur l’envie des gens d’en être. De combler leur FOMO (Fear of Missing Out). Ni plus ni moins. Et Billy Mac Farland l’a très bien compris en axant sa communication uniquement sur les réseaux sociaux et le marketing d’influence. Et Ja Rule n’en pense pas moins puisqu’on l’entend dire dans le film : “On vend du rêve aux losers". Le rêve, c’est la promesse d’être accueilli comme des rois, d’assister à des concerts prestigieux, d’être hébergé dans des villas de luxe et de frayer avec des célébrités de renoms.
Corentin : Si je comprends bien, ils ont rapidement déchanté…
Élodie : Ah, ils ont fait une descente d’organes le Jour J. L’organisation avait eu la bonne idée de verrouiller totalement sa communication. Elle n’a donné aucune information sur les infrastructures, la programmation musicale ou les installations sur place durant les mois qui ont précédés la tenue du festival (pour la bonne raison qu’ils n’avaient rien à montrer). Et a même licencié toute personne qui n’était pas, je cite, “dans une démarche positive” : comprendre qui faisait des grands signaux d’alerte type “Houston on a un problème”.
Corentin : Du coup, ils ont vu le mur arriver et n’ont rien fait.
Élodie : C’est tout à fait ça. Avec une témérité certaine en plus. Billy MacFarland semblait sortir de l’argent d’un puits sans fond alors que l’organisation enchaînait les ratés, jusqu’au jour du festival où le chef des opérations se rend compte qu’ils n’ont pas prévu de nourriture pour leurs invités.
Le jour même de son ouverture, le fyre festival s’est donc offert un dernier happening, sous forme de mort en direct sur les réseaux sociaux, par ceux-là mêmes qui l’avaient porté aux nues. Le festival entre millennials fortunés vire au cauchemar, certains ont décrit des conditions dignes je cite “d’un camp de réfugiés” quand d’autres semblent avoir vécu ce qui s’apparente, je cite encore, “à un véritable Hunger Games”. Comme en témoignent d’anciens participants dans le documentaire :
https://www.netflix.com/watch/81035279?trackId=13752289&tctx=0%2C0%2C6151e013-fbbe-4d1c-8a50-650d97c8e076-12313746%2C%2C 34’22 à 33’58
Il est d’ailleurs assez ironique de relever que ce qui a contribué au succès foudroyant du festival est également à l’origine de sa chute. Les publications montrant l’escroquerie ont submergé les réseaux sociaux, que ce soit sur Instagram ou Twitter. Un dézinguage en règle à la hauteur du délire de Billy MacFarland et du miroir aux alouettes qu’il avait tendu à ces millennials avides d’expériences. Le drame est surtout du côté des travailleurs locaux, exploités et laissés sur la paille.
Corentin : Ah, quand la génération instagram se fait piéger par ses propres outils. Après, la responsabilités des influenceurs ne serait-elle aussi pas un peu en cause… ?
Élodie : C’est vrai que ça pose question. Car la plupart ont pris l’argent sans même se poser de question. Kendall Jenner par exemple, de la famille Jenner/Kardashian, a reçu 250 000 dollars pour une seule publication sur Instagram. Publication sur laquelle elle se disait “so hyped” d’annoncer la venue de la good music family au festival, soit le label de hip hop fondé par son beau-frère Kanye West, mais qui ne portait pas la mention sponsorisée. Aujourd’hui, elle et ses consoeurs pourraient être citées à comparaître au procès Fyre Festival.
Corentin : Je ne sais pas pourquoi mais je sens que ce fiasco ne servira pas nécessairement d’exemple…
Elodie : Et tu ne crois pas si bien dire. Les influenceurs sont un levier de recommandation incontestable dont les followers surveillent les avis comme le lait sur le feu et Instagram reste leur terrain de jeu favori. Finalement, ce documentaire dépeint toute la vacuité de ce monde fait de belles vitrines. De vitrines bien trop belles pour qu’on songe à vérifier ce qui se passe dans l’arrière boutique.
Corentin : Ah, cette leçon vaut bien un festival sans doute. Même si je doute qu’elle soit véritablement retenue. Merci Elodie et à la prochaine !
Fyre Festival : ni fête, ni à faire
Le Fyre Festival devait se tenir en 2017 sur une île des Bahamas. Il devait s’agir d’un des festivals de musique les plus luxueux jamais organisés et de nombreuses célébrités en ont fait la promotion sur les réseaux sociaux. Mais quand le jour J est arrivé : catastrophe. Rien n’était prévu ni pour dormir ni pour manger, laissant les 400 participants se battre entre eux pour les commodités les plus basiques. Le fiasco a été si grand, qu’un documentaire sur Netflix vient de sortir. On en parle avec Élodie Carcolse, de « La Réclame ».
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