Pourquoi les YouTubeurs détestent-ils YouTube ?youtube

COCO : Le 4 avril, une fusillade a éclaté au siège de YouTube, en Californie. Trois personnes ont été blessées. La tireuse, une femme de 39 ans, s’est suicidée. Lucie, tu voulais revenir avec nous sur ce drame, qui est loin d’être un simple fait divers.
Lucie : Oui Corentin. En effet, une fusillade a eu lieu à San Bruno, en Californie. C’est la première fois qu’un tel drame se produit chez YouTube, Google ou chez un autre géant du Web. L’auteure de la fusillade s’appelait Nasim Najafi Aghdam. Originaire de San Diego, la femme de 39 ans publiait régulièrement des vidéos sur YouTube.
L’enquête des autorités est toujours en cours. Néanmoins, certaines vidéos publiées par Nasim Najafi Aghdam laissaient déjà entrevoir une rancœur envers YouTube. Elle gérait plusieurs chaînes sur la plateforme, ainsi que des comptes sur Instagram, Telegram et un site personnel. Elle écrivait en anglais, en farsi et en turc. Elle proposait des recettes de cuisine végétariennes, dénonçait la maltraitance animale ou réalisait des vidéos de sport.
Nasim Najafi Aghdam semblait être persuadée que YouTube lui en voulait personnellement. Elle reprochait à la plateforme de censurer ses vidéos et de l’empêcher de les monétiser, en y affichant des publicités. Elle se comparait par exemple aux chanteuses Nicki Minaj et Miley Cyrus, accusant YouTube de laisser leurs vidéos en ligne et de censurer les siennes. D’après le père de Nasim Najafi Aghdam, sa fille “détestait YouTube” et lui reprochait d’avoir ruiné sa vie.
COCO : Est-ce qu’on est sûr que ce ressentiment envers YouTube a motivé la fusillade ?
L : Non. Comme je l’ai dit plus haut, l’enquête de police est toujours en cours. Les autorités ont simplement indiqué qu’il n’y avait aucune preuve que Nasim Najafi Aghdam connaissait ses victimes. Elles écartent donc a priori les hypothèses de différents personnels, comme un réglement de compte. La personnalité de la tireuse était complexe. Elle était obsédée par YouTube, mais aussi par d’autres sujets. Par exemple, sur son site personnel, elle se disait menacée de mort par des personnes s’opposant à son régime végétarien.
Néanmoins, certains youtubeurs ont très vite récupéré le drame, en faisant de Nasim Najafi Aghdam une sorte de martyr se battant pour les droits des créateurs de vidéos. Ce qu’elle n’était pas, j’insiste sur ce point.
COCO : pourquoi font-ils ce lien ?
L : Parce qu’il est vrai que la relation entre YouTube et ses créateurs s’est fortement dégradée ces dernières années. La plateforme de vidéos, qui est une propriété de Google, a longtemps construit son succès sur sa communauté. Par exemple, il est significatif que les créateurs les plus populaires de YouTube soient qualifiés de YouTubeurs. Le destin et le succès des internautes et de la plateforme ont longtemps été liés. YouTube les a choyé, en soignant ses relations, en leur proposant des espaces réservés pour qu’ils puissent y tourner des vidéos avec du matériel professionnel … C’était une relation gagnant gagnant : les youtubeurs pouvaient améliorer leurs contenus, et YouTube pouvait nourrir sa base de vidéos de qualité, et donc attirer plus d’utilisateurs.
[YOUTUBE SONG]
Depuis plus d’un an, les relations entre YouTube et ses créateurs se sont détériorées. Déjà, parce qu’il y a plus de concurrence. Les créateurs peuvent aussi chercher leur audience sur Instagram, Facebook, Twitter ou Snapchat, sans avoir besoin d’être fidèle à YouTube. La plateforme de vidéos a rendu très riche une poignée de créateurs influents. Vous connaissez sans doute les noms de PewDiePie, Logan Paul ou Cyprien et Enjoyphoenix, en France. Ces gens là n’ont plus besoin de YouTube pour grandir. Mais dans leur sillage, il existe des milliers, des millions de créateurs plus modestes qui dépendent de la plateforme et de ses règles. Or, l’année dernière, YouTube a fortement restreint la capacité pour ses créateurs d’afficher des publicités dans leurs vidéos. Cette décision a fait suite aux critiques d’annonceurs, fâchés de retrouver leurs publicités sur des contenus problématiques, comme des propos racistes ou faisant l’apologie du terrorisme. Désormais, YouTube peut décider arbitrairement qu’un contenu n’est pas adapté à la majorité des annonceurs. C’est notamment le cas des - je cite - “sujets controversés et évènements sensibles”. Une catégorie floue et dénoncée par des youtubeurs plus modestes. Youtube a démonétisé des vidéos effectivement problématiques, mais aussi touchant des sujets comme les droits LGBT ou le handicap, par exemple. Sans explications.
COCO : pourquoi YouTube ne fait pas plus attention à ses créateurs ?
L : Parce que YouTube n’a pas le choix. Beaucoup de géants du Web vous vendent l’idée que nous faisons tous partie d’une communauté, d’une famille. Déjà, c’est faux : ce sont des entreprises, dont le but est de vous faire regarder des publicités ou acheter des produits. Ensuite, cette idée est de moins en moins tenable quand une société grossit. YouTube revendique un milliard d’utilisateurs chaque jour. Il doit gérer des questions de modération, de partenariats avec des médias, d’annonceurs. Il ne peut plus prétendre qu’il est une sorte de figure paternelle pour une petite famille de créateurs. Et c’est frustrant pour beaucoup de youtubeurs, qui travaillent dur pour leurs vidéos, et qui ne sont pas rémunérés à la hauteur de leurs efforts. Ca pose des questions difficiles sur la nature du travail en ligne. YouTube est-il le patron des youtubeurs ? Est-ce qu’il a le devoir d’être reconnaissant envers les créateurs ?
COCO : Des questions sur lesquelles, je suis sûr, nous aurons l’occasion de revenir. Certainement au prochain changement d’algorithme qui mettra, à nouveau en rogne la communauté des vidéastes. Merci Lucie pour ce point sur YouTube et à très vite.