Corentin : La militante féministe Caroline de Haas a annoncé qu’elle quittait les réseaux sociaux le 28 février 2018, à cause d’une campagne de cyberharcèlement engagée à son encontre.
Marie Turcan revient pour nous sur ces événements et ce qu’ils disent des risques pour l’avenir du militantisme en ligne. Bonjour Marie ! Alors que s’est-il passé avec Caroline de Haas?
Marie : Salut Corentin. Caroline de Haas est une femme de 37 ans qui n’était connue principalement que des milieux militants avant cette année.
Elle a participé à fonder l’association Osez le féminisme !, et a été secrétaire général de l’Unef de 2006 à 2009. Mais elle a aussi une longue carrière d’investissement en politique, notamment au Mouvement des jeunes socialistes puis au PS. En 2016, elle a tenté d’organiser des “primaires à gauche” pour désigner un candidat à l’élection présidentielle de 2017.
C : Ok, un profil jusque là assez classique, mais alors pourquoi est-ce qu’on parle d’elle?
M : Parce que Caroline de Haas est devenue un des visages de l’émancipation de la parole des femmes, de part son soutien et participation aux mouvement #MeToo #BalanceTonPorc et autres mobilisations sur les réseaux sociaux.
Mais le 28 février 2018, elle fermé son compte Twitter. C’est elle qui explique le mieux ce qu’il s’est passé, dans cette interview accordé à Konbini:
EXTRAIT 1 caroline Konbini (0:13-0:36 //// 0:55-1:06)
https://www.youtube.com/watch?v=G2i0lCPi2uA
En somme, ce qu’explique Caroline de Haas, c’est que dans les médias, on ne traite les violences, crimes et délits sexuels qu’à travers le prisme de la femme victime. Par exemple: libé a sorti un article sur les 220 femmes tuées en France par leur conjoint en 2017. Dans la presse et en ligne, on parlera toujours de : “200 femmes ont été tué par leur mari” et non “200 hommes ont tué leur femme en France en 2017”.
Ce sont des outils du militantisme féministe qui cherchent à analyser le langage que l’on utilise afin d’en contrer les biais. Et je dis langage, mais ça peut être représentations.
Quand la RATP et la SNCF sortent des affiches contre le harcèlement dans les transports et qu’ils représentent les victimes par des femmes, jeunes et actives, et que les agresseurs sont représentés par des gros animaux effrayants…. Ce n’est pas ça qui aide à prendre conscience de qui sont les agresseurs.
C : Concernant cette interview de l’Obs, certaines personnes ont déploré ce qu’il considèrent comme des approximation. Cette critique-là est-elle justifiée ?
M : Je ne dis pas qu’il n’aurait pas pu être mieux étayé. Mais à la suite de cette citation tronquée par l’Obs “un homme sur 3 est un agresseur”, largement partagée sur Twitter, la militante a reçu des centaines de milliers de messages de haine, d’appel au viol, au meurtre.
En fait, cette citation, qui simplifie la pensée de la militante française, a été l’excuse idéale prise par de nombreux détracteurs du mouvement de libération de la parole des femmes. Ils ont alors affirmé “s’en est trop, maintenant elle s’en prend à tous les hommes!”,
C : Ah mais oui ! C’est ce qu’on appelle en rhétorique un épouvantail !
M : Exactement ! On transforme l’argument de l’adversaire en quelque chose d’erroné pour donner l’impression qu’il a tort. Pour Caroline de Haas, “un homme sur trois” devenait soudain “tous les hommes”. Comme si, en entendant “un homme sur trois”, certains hommes se sentaient soudain visés. Étrange.
En tout cas, ça a donné des choses comme cet échange ubuesque entre l’agent de star dominique besnehard et le journaliste jean pierre elkabbach, tranquillement sur un plateau de télévision en train de se vanter de vouloir gifler une femme qui porte des propos qui leur déplait.
EXTRAIT 2 Dominique Besnehard
https://www.youtube.com/watch?v=fAc22iwI78c
C : Ah oui, là, on dépasse largement le cadre du cyberharcèlement, en quoi est-ce lié ?
M : Cet échange sur ce plateau de télé est la conséquence d’un phénomène inévitable: la caricature de la pensée. Il a suffit d’une citation tronquée, mise en titre dans un média, reprise par deux trois personnes influentes sur Twitter avec une capture d’écran, pour que soudain toutes les allocutions de Caroline de Haas soient oubliées. On ne retient plus que ça.
Dans la même interview à Konbini, la personnalité féministe explique ce que ça fait, d’être harcelée en ligne en permanence:
EXTRAIT 3 Caroline de Haas x Konbini (1:43-2min13)
https://www.youtube.com/watch?v=G2i0lCPi2uA
Nadia DAam et JVOM
M : Ca ne vous rappelle rien ? Moi si. La journaliste féministe Nadia Daam a vécu exactement la même chose en octobre dernier. Elle a été harcelée par des internautes qui s’organisaient sur le forum 18-25 du site jeuxvideo.com. Elle avait eu le malheur de dénoncer les attaques d’une partie d’entre eux contre une initiative féministe.
C’est à ce moment-là que l’on ne peut s’empêcher de se dire: le militantisme a t-il plus à perdre qu’à y gagner quand il se fait en ligne ? A l’heure où la polarisation du débat grandit, on remarque que la libération de la parole a tout de même traversé les deux courants.
Féministes et anti-féministes s’écharpent en fait avec les mêmes outils. C’est à celle ou celui qui aura le plus de retweets, le plus de commentaires, le plus de mentions, le plus de soutien.
Ajoutez à ça une synthétisation obligatoire de la pensée qui est obligatoire sur ces réseaux, et les mouvements sociaux progressistes se retrouvent dans une impasse. Ils se retrouvent mis dans le même sac que leurs opposants, risquant à chaque instant des faux pas qui leur seront reproché pour très longtemps.
C : Du coup il faudrait déserter internet ?
M : Ce n’est évidemment pas la solution miracle. L’effet “caisse de résonance” des réseaux sociaux a permis comme jamais de faire avancer la lutte pour l’égalité femmes-hommes.
En revanche, si Caroline de Haas n’est toujours pas de retour sur Twitter, elle participe activement au “Groupe F”, un mouvement féministe de terrain d’action contre les violences faites aux femmes. Il a lieu dans la vraie vie, avec des réunions et des militantes qui forment d’autres militantes de visu. Comme au bon vieux temps.
C : Comme quoi, c’est parfois dans les vieux pots qu’on fait le meilleur militantisme ! Merci Marie pour ce résumé des derniers événements concernant Caroline de Haas, et à très vite.
Cyberharcèlement de Caroline de Haas : le militantisme en ligne est-il menacé ?
Après le départ des réseaux sociaux de Caroline de Haas pour cause de harcèlement, Marie Turcan de « Business Insider France » pose la question du militantisme en ligne et des difficultés qu’il rencontre.
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