C : Des dizaines de millions de personnes qui descendent dans les rues. C’était dimanche 15 juillet, lorsque l’équipe de France de football masculine a gagné la Coupe du monde 2018. Mais nous étions loin d’avoir autant de ferveur et de bonheur partagé lorsque l’équipe de France de football féminin a elle aussi, gagnée cette Coupe du monde en 2015. Pourquoi les footballeuses professionnelles sont les grandes oubliées ? Une question de sociologie, probablement, mais cela tend à changer. Entre domination masculine, manque d’infrastructures et histoire, Angèle Chatelier fait le point.
(EXTRAIT 1)
A : Ce que vous écoutez là, non, ce n’est pas une vieille redif’ des buts des bleus lors de la finale de la coupe du monde dimanche 15 juillet. Non, ce sont des buts marquées par les bleues, avec deux « E », championnes du monde de football en 2015. C’est d’ailleurs la France qui accueillera la prochaine coupe du monde féminine en 2019. Mais alors, pourquoi cela n’a pas le même effet que le football masculin et quelles sont leurs difficultés ?
C : L’histoire nous a montré qu’au départ, on interdisait aux femmes de faire du foot.
A : Oui. Ce n’est que le 30 septembre 1917 que s’est tenu le premier match de football féminin en France. L’année suivante est créée la Fédération des sociétés féminines sportives de France. Tout change cependant au début des années 20, l’image du football féminin tout du moins. Le 5 décembre 1921, la Football Association - l’équivalent de la Fifa en Angleterre - interdit purement et simplement le football féminin. Cet interdit ne sera levé qu’en 1971 !
En France, le football féminin commence à faire parler. Les critiques - masculines, vous vous en doutez - sont très violentes. En 1925, le footballeur français Gabriel Hanot dit que le jeu ne vaut rien. Henri Desgrange, coureur cycliste et journaliste va même plus loin et dit : « Que les jeunes filles fassent du sport entre elles, dans un terrain rigoureusement clos, inaccessible au public : oui d’accord. Mais qu’elles se donnent en spectacle, qu’elles osent même courir après un ballon dans une prairie qui n’est pas entourée de murs épais, voilà qui est intolérable ! »
C : Ah oui, intolérable !
A : Quel culot ! Bref. Le championnat de France de football féminin s’arrête en 1933, on juge le football trop nocif pour les femmes. Il redeviendra un peu plus populaire au début des années 79, lorsque les fédérations anglaises, françaises et allemande le reconnaisse. 2 170 femmes sont alors licenciées à la FFF.
C : Et aujourd’hui ?
A : Aujourd’hui, elles sont presque 160 000 en France à avoir une licence à la FFF. Les plus connues : la gardienne Sarah Bouhaddi, championne de France en 2015. Laure Boulleau, qui a joué 62 matchs avec la sélection nationale avant la coupe du monde de 2015, Amel Majri, formée au club de Lyon ou encore Gaetane Thiney, qui avait déjà joué 126 matchs sous les couleurs de la France avant la prestigieuse coupe du monde.
Mais dans le pays, en 2015, le football restait avec le rugby le sport olympique le moins pratiqué par les femmes.
C : C’est une question sociologique, aussi
A : Un peu comme les rockeuses se font rares, les petites filles n’ont pas eu de modèles de footballeuses professionnelles sur lesquelles rêver. C’est sociologique : une petite fille qui ne peut pas s’identifier à son genre pensera plus grande qu’elle n’est pas capable de le faire. Ou que oui, c’est un sport d’homme, comme le rock serait aussi un truc de garçons.
Mais il y a aussi un gros manque d’infrastructures. Les clubs de foot sont principalement faits pour les garçons : il y a peu de vestiaires pour les femmes. Considérer un peu plus le football féminin reviendrait à dépenser une somme considérable pour refaire à neuf tous les clubs. Une enquête réalisée par plusieurs journalistes sur le football féminin publié dans les Cahier du genres en 2004 révèle même que certaines femmes jouent avec des caleçons de cyclistes, pour pouvoir se changer avec les garçons.
C : C’est aussi, évidemment, un problème de salaire
A : La plupart des footballeuses professionnelles ont un boulot à côté. Parce que oui, le domaine explose les scores en matière d’inégalités salariales : les footballeuses gagnent en moyenne 96% de moins que leurs homologues masculins. Une footballeuse vraiment pro peut espérer s’en sortir avec un salaire de 4000 euros par mois, mais c’est très rare. Elles doivent donc tout gérer. Une autre enquête publiée sur le site footdelles.com révèle qu’il n’est pas rare que les footballeuses posent des jours de congés pour aller à leurs match.
C :Comment c’est à l’étranger ?
A : En Europe, peu ou prou la même chose. C’est aux États-Unis que c’est différent : les joueuses de « soccer » sont de véritables stars. La raison : le sport scolaire et les universités américaines qui permettent d’y jouer. Quelques unes d’entres elles proposent même un enseignement de football féminin de haut niveau. Plusieurs millions d’américaines pratiquent le foot. Résultat, le pays excelle : deux coupes du monde en 1991 et en 1999, quatre médailles d’or et une d’argent lors des cinq tournois olympiques entre 1996 et 2012.
Sauf qu’on le sait, outre le problème de la représentation des femmes sur la pelouse, il y a encore beaucoup de pays aujourd’hui qui interdisent aux femmes non seulement de jouer au football, mais aussi de se rendre dans les stades. Ce n’est que depuis le 20 juin dernier que les femmes peuvent aller voir un match avec les hommes en Iran. L’interdiction a aussi été levée dans trois stades d’Arabie Saoudite depuis janvier dernier.
C : En France, le football féminin a pris de l’ampleur ces dernières années.
A : Effectivement. Presque 160 000 licenciée à la FFF en 2017, c’est un record. Et les médias commencent enfin à s’y intéresser un peu. Du moins, mettent les compétitions en avant. La finale de la Ligue des champions femmes entre l’Olympique Lyonnais et le PSG en juin 2017 a réuni plus de 3 millions de spectateurs sur France 2. C’est presque autant que la moyenne d’audience de la finale de la Coupe de France hommes.
La FFF a aussi inauguré cet été un musée dédié aux sélections féminines de jeunes, dans lesquelles ont joué la plupart des Bleues actuelles. C’était une exposition itinérantes qui a fait étape dans 9 villes de Bretagne entre le 4 mai et le 13 juillet. Mais une nouvelle version est en préparation, selon la chargée de communication, Elisabeth Bougeard-Tournon. Elle reprend toute l’histoire du foot féminin en France et des sélections féminines plus particulièrement, depuis les pionnières rémoises jusqu’à l’organisation de la Coupe du Monde en France l’an prochain.
C : Oui, ça c’est d’ailleurs aussi quelque chose qui va sûrement faire que dans le pays, on s’y intéressera un peu plus
A : Probablement. Mais c’est vrai que même dans la culture, ça tend à changer. Plus de films traitent du football féminin, même s’ils sont surtout américains. On pense par exemple à Joue-là comme Beckham, sorti en 2002 (EXTRAIT 2)
Une jeune fille anglaise qui ne souhaite que jouer au football comme son idole, David Beckham.
En avril dernier est aussi sorti en France le film Comme des garçons (EXTRAIT 3)
Là où deux personnages vont se lancer dans la création de la première équipe féminine de football de France. Ce dont je n’ai pas parlé mais qui semble évident, c’est aussi le sexisme et le machisme présent lorsque les femmes jouent au football. Être une femme et brandir son maillot de football est aujourd’hui une forme de militantisme. Montrer que ce n’est pas qu’un truc de garçons.
C : En tout cas, on sera derrière les bleues - avec deux E - histoire d’avoir un autre trophée à mettre à côté de l’autre, là. Tu sais, hein ? Merci Angèle, à très vite.
Il n’y a pas que les Bleus, les Bleues aussi veulent être championnes du monde
La Coupe du monde est terminée… Vivement la prochaine ! C’est quand, d’ailleurs, la prochaine ? En 2022, au Qatar ? Grave erreur ! Elle se déroulera en France, l’année prochaine et ça sera au tour des Bleues de montrer de quel bois elles se chauffent. Et pour l’occasion, parlons un peu du football féminin avec Angèle Chatelier.
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