« Importantissime », critique pince-sans-rire des médias

Corentin : Internet a encore tout cassé ! Coté télé, le bateau coule ! Et on a trouvé son futur sauveur... enfin, non, en vrai c’est plus quelqu’un qui se moque sur le coté, et qui pointe du doigt le naufrage. Et cette personne, Benjamin Benoit la connaît bien. Salut Benjamin.

Benjamin : Salut Corentin, aujourd’hui, je tenais à vous présenter le travail d’un jeune fou qui, à sa manière, commente subtilement l’évolution des médias. Et plus particulièrement de la télévision. Je parle de Chris Esquerre, qui fête ses dix premières années de travail à l’antenne. Il a explosé dans l’Édition Spéciale de Canal +, piloté par Samuel Etienne. C’était la saison de 2007 et 2008, et il crevait l’écran avec sa chronique des « journaux que personne ne lit ». Depuis, il cultive son personnage : un humour extrêmement pince-sans-rire et nonsensique. Bien sûr, il titille un peu mon intérêt car il a un sens de l’écriture qui se rapproche d’auteurs comme Gotlib ou Mandryka. Des auteurs du journal Pilote, pour les plus jeunes d’entre vous.

C : Le mot clé étant humour pince-sans-rire, donc. Mais s’il écrit sur les médias, Chris Esquerre n’est pas journaliste...

B : Il est auteur et humoriste. Il a notamment animé la fin de l’émission La Bande Originale sur Inter et a écrit deux seul en scènes. Mais ce qui nous intéresse plus particulièrement aujourd’hui, c’est la pastille qu’il produit pour le groupe Canal + depuis fin 2014 : Importantissime.

{EXTRAIT 1 – L’émission qui fait tout !}

Je pense que le nom en dit déjà long sur la nature de la série. Importantissime est un mockumentaire, un faux tournage sur l’émission du même nom. Elle suit les coulisses d’une fausse émission quotidienne du groupe Canal, de ses déboires et de ses acteurs. Au centre, le personnage de Chris Esquerre, un patron et présentateur pas bien luné, incarnant la pire caricature qu’on puisse faire d’une pointure du monde des médias. Et comme le dit l’adage...

C : Toutes les blagues ont un fond de vérité.

B : Dans Importantissime, on pastiche à l’extrême la hierarchie d’une rédaction, par exemple la manière qu’on a de traiter les stagiaires. Ou l’envie de reprendre tous les codes d’internet, l’utilisation de Twitter à la télévision, ou juste de pasticher le mauvais journalisme en général. Les reportages de Corinne Désormais et Muriel Soudain sont fameux : présent de vérité générale à toutes les sauces, vacuité du propos et aléatoire du sujet. Dans Importantissime, on voit des reportages d’une minute sur les trombones, et je trouve ça formidable car c’est fait avec beaucoup d’acuité. Importantissime a donc été diffusé une fois par semaine sur deux saisons jusqu’à début 2016. Tout ça est sur Youtube.

C : Après un long hiatus, la série est de retour sur un nouveau format.

B : Importantissime est de retour dans un nouveau format. Une demi-douzaine d’épisodes, cette fois en format d’un quart d’heure. Ce qui permet de créer des ponts entre les épisodes et de soutenir la comparaison à des séries aux mêmes racines, dont, par exemple, The Office.

Maintenant, ce qui permet à Importantissime de tenir la longueur, c’est son humour, ça je ne vais pas le déflorer pour vous. Mais aussi sa manière de critiquer les médias, et surtout les mécaniques de divertissement. Importantissime incarne la parodie de ce qui a été l’un des enjeux majeur du tournant des années 2010 : l’infotainment, l’instable mélange entre divertissement et information.

{EXTRAIT 2}

Transposé en 2018, se moquer de l’infotainment c’est surtout se moquer de tout ce qui est diffusé en access, la case horaire avant le 20 heures. Donc de Quotidien, de Touche Pas A Mon Poste, de la joute entre les deux, par exemple. Donc du culte du happening, des chroniques décalées qui sortent de nul part, des transitions impossibles entre plusieurs séquences au tons trop éloignés. Je pourrais me lancer dans une énumération trop longue pour nous tous. Bref : l’air de rien, Importantissime interroge le mélange des genres.

C : C’est d’autant plus pertinent dans le groupe Canal, en perdition.

B : Je ne vous apprends pas grand chose en vous rappellant que la reprise de Vincent Bolloré n’a pas encore, disons, porté ses fruits. Canal + est sous respirateur artificiel, on regarde tous C8 en se pincant le nez, les critiques pleuvent sur le fond comme sur la forme. Et Importantissime revient en sous-marin, sous le sceau d’une création originale sur Canal + décalé à 22h20. Vraiment très très en sous-marin donc. Mais ça tombe bien, c’est justement dans ce type d’appareil que tu trouves quelques torpilles. Et sincèrement, les missiles envoyés sur la maison et diffuseur sont discrètes, subtiles, mais bien là.

Pendant ce temps, sur Touche Pas A Mon Poste, Cyril Hanouna nous prouve tout les jours qu’on peut faire littéralement n’importe quoi à l’antenne, et toujours le justifier. Par exemple, de parler de sujets sociétaux grave mais en costumes. D’un film à promouvoir. On est pas loin de la radio libre... De l’autre, sur Quotidien, on cherche de plus en plus à provoquer l’émotion, la réaction, parfois l’indignation - avant l’information. Et les pastilles de contenu divertissant s’enchaînent avec ce qu’on peut grossièrement appeller du journalisme noble. Et dans Quotidien... retour à la case départ, c’est surtout pour provoquer une réaction chez le spectateur. Il y a du grain à moudre pour une parodie.

{EXTRAIT 3}

Importantissime, c’est l’évolution naturelle de cette télévision. Un tout petit contre-pouvoir punk, pas très sage avec l’air de ne pas y toucher. Sur la télévision, sur ceux qui la font, et surtout la manière qu’ils ont de la concevoir.

Bref, Importantissime Saison 3, c’est tout les vendredi soir sur Canal + Décalé, et ça sera posté sur Youtube après la diffusion, quelque part entre maintenant et cet été. Une parodie du genre de télé moribond, tué après une bonne décennie de gloire, bolossée par celui qui a le permis de tuer… les médias. Il s’apelle Bolloré. Vincent Bolloré. (Fredonner un air James Bond quelquonque)

C : Eh bien merci Benjamin, et à la prochaine ! N’oubliez pas, ce qui est importantissime, c’est d’écouter LES CROISSANTS !

B : À vous les studios !