Corentin : « Le son qui a du sens ». Le tout premier slogan de la radio OUI FM. Une radio qui se voulait underground, énervé, garage, rock. Une radio un peu pirate. Mais presque 33 ans après sa naissance, que reste-t-il vraiment de cette radio musicale qui semblait-il, à l’époque, avait du sens ? Début février, elle a officiellement été remise en vente. Par quelles embûches est-elle passée et que deviendra-t-elle ? Angèle Chatelier fait le point.
Angèle : Dans un souci d’équité et de transparence, je me dois de débuter cette chronique en vous disant une chose : j’ai été salariée de OUI FM quatre ans durant. De 2014 à 2018. Quatre ans où j’y ai fait mes armes, où j’ai rencontré des personnes qui sont devenues mes amis. Mais quatre ans, aussi, qui me permettent d’être au coeur de ce que je vais vous narrer à présent.
OUI FM est par essence la radio du rock. Initialement, celui qui claque (EXTRAIT 1)
Créée en 1986, elle a succédée à Ca bouge dans ma tête, la radio de SOS Racisme. Elle se veut être une référence en la matière, une niche pour les amoureux du rock.
Elle est rachetée dès 1991 par Polygram. Fini les logiciels qui programment de la musique automatiquement et place aux animateurs. On retrouve alors pêle-mêle la journaliste Melanie Bauer sur l’antenne, Maurice, avec l’émission « C’est la nuit », mais aussi Kad et Olivier qui ont fait les belles heures de la station avec leur émission culte Rock n’ Roll Circus. Pendant cette décennie, OUI FM est avant-gardiste : elle est la seule radio de France à programmer Nirvana, Coldplay ou encore Muse
(EXTRAIT 2)
Tout le monde semblait bien s’amuser. Pendant mes années à OUI FM, cette période semblait être la belle époque. L’âge d’or. Celle où on diffusait du rock mais où l’on était soi-même un peu rock. On m’a raconté des parties de jambes en l’air dans les studios, de l’alcool à foison, des auditeurs groupies de certains animateurs..
C : Comme Frédéric Martin et son émission Le Monde de Monsieur Fred
(EXTRAIT 3)
A : Extrait ici d’un reportage réalisé en décembre 2001 et avril 2002, disponible sur YouTube pour les plus nostalgiques d’entre vous.
C : Mais peu à peu, les chiffres baissent..
A : Et patatra, en 2008, OUI FM, qui entre temps était passée aux mains de Virgin donc de Lagardère, est rachetée par le business man Arthur.
Si l’animateur veut « réveiller la belle endormie » comme il le dit, s’en suit un changement de direction : le nouveau PDG est par exemple Emmanuel Rials, anciennement passé par Fun Radio ou RTL2 France.
Mais derrière cela, de nombreux journalistes et animateurs sont licenciés, d’autres préfèrent partir de leur plein gré. Au total, de février à avril 2009, vingt salariés quittent la radio.
Un procès est même alors entamé pour licenciement abusif.
C : On assiste aussi à un profond bouleversement éditorial
A : Fini les revues de presse ou les chroniques spécialisées, « les auditeurs veulent de la musique et non de l’info », note Fanny Temam, alors nouvelle directrice des programmes.
C : La musique, justement, elle a elle aussi bien changée
A : La radio se veut toujours rock, mais moins niche, plus commerciale. On veut du tube pour que l’auditeur reste. Les tubes rock, c’était un peu ça
(EXTRAIT 4)
Il faut dire aussi qu’à l’époque, Arthur place Bruno Witek en consultant à la programmation. L’homme est aussi bien connu des radios Voltage, Ado, Vibration ou encore Radio Latina, des machines à tubes. Comme le disait Liberation en 2009, pas très très rock tout ça tout ça...
C : Si j’ai bien calculé, toi, tu es arrivée environ cinq ans après ce rachat. Comment était-ce ?
A : Je n’ai pas immédiatement ressenti de prime abord le changement radical pré et post Arthur. Mais je précise que j’étais alors à peine jeune journaliste stagiaire. Pas tout à fait au fait, donc, de ce qui était bien ou non.
Lorsque je suis arrivée - en 2013, donc -, il y avait de nombreuses émissions spécialisées : UK Beats, par Marjorie Hache, une émission de rock britannique, Au Secours c’est du live, animé par Dom Kiris ou encore Bring The Noise, l’émission de rock alternatif du soir. Musicalement, il y avait beaucoup de grands tubes de rock diffusés, mais aussi des groupes moins connus. Et puis surtout, on laissait la porte ouverte aux propositions d’émissions, de chroniques... dans mes souvenirs tout du moins.
C : Entre temps, la station s’était aussi offerte les fréquences de la radio de la mer et diffusait un programme spécial entre 9h et 14h
A : Tout à fait.
Mais j’ai senti le déclin, petit à petit. On laissait moins de place aux animateurs pour toujours plus de musique (mais de facto, moins de contenu), du contenu commercial de plus en plus présent et surtout, des décisions éditoriales ou une grille qui changeait tous les quatre matins.
C : Je crois savoir que la débandade s’est produite en 2017
A : Selon le baromètre Médiamétrie d’avril à juin 2017, OUI FM n’est à l’époque qu’à 1,1%. A titre de comparaison, elle était à 2,3% à la même période au moment du rachat par Arthur.
A l’été 2017, donc, quelques semaines après qu’Arthur a voulu relever les audiences à sa manière en proposant sa matinale avec une armée de chroniqueurs, pas moins de 13 salariés sont licenciés. Enfin, devrait-on plutôt dire “pas renouvelés”, dans le jargon des médias. 7 émissions sont aussi annulées. Le leitmotiv de la radio devient alors : de la musique, de la musique et encore de la musique. En off, on nous dit que le contenu n’intéresse pas les gens, que les interviews, ça ennuie tout le monde et que désormais,les concerts et autres festivals se feront uniquement s’il y a un partenariat commercial derrière.
C : Pas très très rock, tout ça…
A : Non, mais ironie du sort, la radio n’a cessée d’augmenter ses chiffres depuis. Fanny Temam a laissé sa place de directrice d’antenne à Jean-François Latour, ancien directeur d’antenne de RTL, entre autres. Jean-Patrick Laurent, l’emblématique directeur de la Musique de la station est toujours là mais est moins décisionnaire. On assiste alors à une radio rock qui diffuse aussi bien Depeche Mode… que Ed Sheeran
(EXTRAIT 5)
C : Les animateurs restants sont tous ou presques ceux qui étaient déjà en CDI depuis de nombreuses années.
A : Ils deviennent des “pousse-disque” ou bien leurs chroniques sont exclusivement commerciales.
Et par souci d’honnêteté, je tiens à préciser ici que j’en ai réalisé de nombreuses pendant plusieurs mois et que j’ai été rémunérée pour.
C : Aujourd’hui, la radio peut cependant se targuer de faire un record historique
A : Elle a gagné 74 000 auditeurs en un an, selon la dernière vague septembre/décembre 2018 publiée par Médiamétrie. Impossible de savoir s’il reste dedans des auditeurs de la première heure, mais tu le disais, c’est un record.
C : Et de ce fait, la station est carrément vendable.
A : Et c’est officiellement le cas. OUI FM est aujourd’hui en vente et c’est le groupe 1981 qui serait sur le coup, selon une information de Telerama. Le groupe possède déjà des radios bulldozers comme Voltage, Swigg ou Vibration.
C : Les salariés de OUI FM sont-ils menacés ?
A : Comme dans tout rachat, oui. Soit ils les garderont pour la plupart, soit il y a aura un plan de départ volontaire et d’autres partiront alors avec un chèque. Mais personne n’est à l’abri.
La question en suspens reste surtout : qu’adviendra-t-il de la ligne éditoriale et musicale de la belle endormie désormais réveillée ?
C : Merci Angèle Chatelier pour ces précisions. On aura peut-être l’occasion de parler ensemble du futur acquéreur de cette antenne qui, on le voit bien, te tient à cœur. A très vite !
OUI FM remise en vente : qui veut raquer pour la radio du rock ?
Voici trois lettres qui veulent tout dire : O, U et I. Pour OUI FM. OUI au Rock, OUI à une certaine façon de tenir une antenne, OUI a une certaine façon de faire la radio. Au fil des années, son aura s’est peu à peu estompée, mais la légende reste tenace. À l’heure où la radio est sur le point de changer encore de main, Angèle Chatelier nous raconte un peu l’histoire de ce qui est, disons-le, une petite institution.
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