CORENTIN : notre vie est parcourue, marquée par de la musique. Les moments tristes, les plus heureux, il y a des chansons, des morceaux pour toutes les occasions. C’est très joli tout ça Xavier. Mais du coup, je vois pas trop le rapport avec ta chronique du jour sur le dernier album de Tyler, The Creator. J’exige des explications mon vieux !
XAVIER : Bonjour Corentin, bonjour à toutes et à tous ! Alors, je vais m’expliquer. Tyler The Creator a sorti le 17 mai dernier le cinquième album de sa carrière, intitulé Igor. Mais avant de sauter dans le vif du sujet, je pense qu’il faut revenir rapidement sur la carrière de Tyler The Creator et le présenter à nos auditrices et auditeurs qui ne le connaîtraient pas.
C : tu as fait mention de cinq albums, je crois que le premier est sorti en 2011, Goblin c’est ça ?
X : Exact ! Il avait auparavant fait une mixtape, Bastard, sortie en 2009, faite avec des moyens très rudimentaires, qui était tout d’abord un peu passé inaperçue. Mais tout était là : des productions très travaillées, avec des parties de piano et de synthé super intéressantes. Le jeu sur les voix et leur modification aussi, ainsi que des samples pas nécessairement très originaux mais traités efficacement…. ainsi que des textes souvent extrêmement violents, mettant à jour un mal-être particulièrement profond de l’auteur, et qui sont par moments misogynes et homophobes. On peut penser qu’il s’agisse uniquement de provocation si on écoute les arguments de Tyler The Creator, toujours est-il que c’est parfois très perturbant.
[Yonkers]
C : oui effectivement, d’ailleurs certaines de ses paroles sur Bastard lui ont valu d’être interdit d’entrée, sur le territoire britannique notamment, en 2015.
X : Oui c’est exact. Sa mixtape et ses deux premiers albums, Goblin sorti en 2011, dont est sorti Yonkers dont on vient d’entendre un extrait, et Wolf sorti en 2013, forment un tout cohérent sur le fond et la forme. Ils contiennent d’ailleurs les interventions d’un personnage récurrent, le Dr. TC, le thérapiste fictionnel avec qui Tyler discute dans les disques. La recette est globalement la même sur ces trois disques, elle fonctionne. Sur le troisième album, Cherry Bomb, sorti en 2015, Tyler prend une nouvelle direction, très ambitieuse sur la forme. Le disque part dans tous les sens, il en est parfois difficile à suivre. Les productions sont extrêmement riches, parfois trop. Mais pour moi, toutes ces audaces paient, car elles ouvrent la voie à Flower Boy, son album sorti en 2017.
C : Flower Boy, dont la couverture présente Tyler de dos, avec en arrière-plan un décor bucolique, et partout autour de lui de grosses abeilles !!!!!
X : Absolument ! Et on a l’impression que Tyler est un autre homme. Ses productions sont complexes mais totalement maîtrisées. Il y a de nombreux invités qui ne sont pas des rappeurs, de nombreuses parties chantées et des transitions extrêmement travaillées entre les morceaux qui donnent à cet album un côté organique. Et surtout, on a l’impression que Tyler ne déteste plus le monde entier, et plus important, qu’il ne se déteste plus. Il se pose toujours beaucoup de questions, ça par contre c’est clair. Pour moi il n’y a rien à jeter dans ce disque. il y a une science de la mélodie et du featuring qui est poussée à son paroxysme, on flirte avec le jazz, le R’n’B moderne, c’est extrêmement beau. Et sur cette base que Tyler capitalise avec Igor. Mais tout d’abord, on va écouter 911/Mr Lonely, issu de Flower Boy.
[911]
C : Et donc Igor, qu’est-ce que c’est, pourquoi, comment, où ? Voilà les questions que les Français se posent mon vieux, alors vous seriez bien gentils d’y répondre !!!! Merci
X : Donc comme je l’ai évoqué tout à l’heure, le premier contact que l’on a avec Igor, c’est cette pochette rose, avec une photo de Tyler en noir et blanc. Après les couleurs chatoyantes de la cover de Flower Boy, c’est un petit changement. Le jour de la sortie de l’album, Tyler a publié sur Twitter un message expliquant ce qu’est Igor. Déjà, il explique que ce n’est pas Bastard, Goblin, Wolf, Cherry Bomb ou Flower Boy, mais que c’est bien Igor. Bon, merci mec. Il dit aussi de ne pas s’attendre à un album de rap, qu’en réalité il ne faut s’attendre à rien. Il recommande aussi une première écoute sans interruption et avec une attention complète. Et ainsi de suite. Personnellement, j’ai suivi ses conseils pour mes premières écoutes et…
C : ET ALORS QUOI ? ON VEUT SAVOIR XAVIER DITES NOUS NOM DE DIEU ON EN PEUT PLUS, LES AUDITEURS EN ONT MARRE.
X : ...eh bah c’est déstabilisant, émouvant, triste et beau. En douze chansons, toutes titrées en majuscule, Tyler The Creator déroule ce qui pourrait s’apparenter à une histoire d’amour, à des développement sentimentaux difficile, des relations qui vivent des hauts et des bas. L’album commence sur le synthé glaçant, presque menaçant de “Igor’s theme”. Pendant plusieurs secondes, on ne sait pas trop où se mettre. Rapidement, les voix surgissent, prévenant que ce nous allons écouter va nous affecter, très probablement de façon profonde.
[Igor’s Theme]
C : ah oui c’est pénétrant ce synthé, effectivement je sais plus trop où me mettre, là.
X : Les titres s’enchaînent, tout comme les déclarations à briser le coeur, les featurings inattendus, les mélodies extrêmement efficaces ainsi que les grooves imparables. Le rythme est soutenu, la cohérence entre toutes ces parties est totale. A l’issue de la première écoute, j’ai eu l’impression d’avoir vécu une expérience totale, et j’étais content d’avoir suivi les conseils de Tyler. La structure des morceaux est pleine de surprises, de rebonds. Après plus d’une vingtaine d’écoute au moment d’enregistrer, je découvre toujours beaucoup de choses. Les artistes invités par le rappeur apportent une profondeur et une sensibilité notable au tout. Tyler cache parfois sa voix, comme pour se protéger ? Je ne sais pas. Musicalement, c’est une surprise totale et une réussite absolue selon moi.
C : Mais les textes, qu’est-ce qu’ils donnent ? Tu as dit qu’on était dans la veine de Flower Boy et plus des masses dans la zone des premiers albums...
Dans le morceau Earfquake, entre un couplet de Playboi Carti et une ligne de synthé envoûtante, on entend des voix nous chanter “don’t leave it’s my fault”. “i Think” evoque je crois l’apparition du sentiment amoureux et la confusion qui peut l’accompagner “I think I’m falling in love/This time I think it’s for real”. De fil en aiguille, on arrive aux deux dernières chansons, “i don’t love you anymore” et “are we still friends”, où Tyler dit “Are we still friends? (This can’t end) Are we still friends? [...] (Need someone to say hi) [...] Can’t say goodbye”. Pour moi, il y a pas mal de ponts fait avec Flower Boy, des références à des thèmes développés dans l’album précédents mais aussi des bouts de texte. Bref c’est pour moi très sensible et brillant. On va tout de suite écouter “are we still friends”, la dernière chanson de l’album.
[are we still friends]
C : Donc si je comprends bien tu recommandes d’écouter Igor Xavier ?
X : Absolument. C’est difficile de dire s’il s’agit de rap, de r’n’b alternatif, de soul, de funk futuriste, ou je ne sais pas quoi. Ce que je peux vous dire cependant, c’est que vous ne perdrez pas votre temps en écoutant rien qu’une fois cet album, aussi surprenant que beau et émouvant.
C : Merci Xavier pour cette chronique sur l’ami Tyler. Petit secret de fabrication, c’est également la toute dernière chronique qu’on enregistre pour les Croissants. Ça te fait quoi Xavier ?
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