Corentin : Lors de la semaine de la mémoire qui s’est déroulée au mois de septembre à Montpellier, plusieurs chercheurs dont Boris Cyrulnik, Francis Eustache et Denis Peschanski ont évoqué « le programme 13 novembre ». Un projet scientifique transdisciplinaire qui vise à percer les mystères de la mémoire et du traumatisme. Une occasion que Laura Aupiais a saisi pour vous parler de mémoire, traumatisme et résilience. Bonjour Laura…
Laura : Bonjour Corentin, bonjour auditeurs et auditrices. Le programme 13 novembre affiche un objectif clair. Il s’agit d’étudier la construction et l’évolution de la mémoire après les attentats du 13 novembre 2015, tout en pensant l’articulation entre mémoire individuelle et mémoire collective.
Mais en poussant la réflexion plus loin, les données recueillies sur les 12 années que va durer ce projet serviront, on peut se douter, en dehors du 13 novembre. Elles serviront à toutes les victimes qui subiront des troubles de stress post traumatiques.
Corentin : En quoi ça consiste ?
L : En pratique, des médiateurs, des enquêteurs et des chercheurs vont recueillir puis analyser les témoignages d’un groupe de 1000 personnes volontaires, au cours de quatre campagnes d’entretiens filmés réparties sur 10 ans. Les mêmes personnes seront interrogées à quatre reprises.
Tout ça pour comprendre quels sont les effets d’un événement traumatique sur les structures et le fonctionnement du cerveau, les chercheurs étudieront les marqueurs neurobiologiques de la résilience au traumatisme chez un sous-groupe de 180 personnes.
Je reviendrai sur le concept de résilience tout à l’heure, pas de panique.
Pour les chercheurs, la mémoire est un élément essentiel de la construction de l’identité individuelle comme de l’identité collective.
Corentin : Pour commencer, qu’est-ce qu’un traumatisme ?
L : La définition du traumatisme a énormément évolué au cours des années grâce aux avancées en neuro-psychologie. L’approche psychanalytique n’est plus la seule prise en compte.
Le traumatisme peut survenir dans tout un tas de contextes, agressions, viols, guerres, attentats mais aussi lors d’un accident de voiture, d’une rupture ou bien lors d’une expérience humiliante.
Corentin : Les événements traumatisants peuvent avoir des répercussions émotionnelles graves sur certaines personnes, même si l’événement n’a pas de conséquences physiques, en fait.
L : Tout à fait, peu importe sa source car ce qui importe, c’est le ressenti subjectif de l’événement. On note toutefois trois éléments communs :
1. l’événement est inattendu
2. la personne n’était pas préparé à le vivre
3. la personne ne pouvait rien faire pour l’empêcher de se produire.
Ce n’est donc pas la cause qui détermine si quelque chose est traumatisant, mais la façon dont la personne va vivre l’événement.
Corentin : Quels sont les mécanismes de l’esprit pour surmonter un traumatisme ?
L : Ca, c’est tout le concept de la résilience qui a été introduit en France grâce à Boris Cyrulnik et à son travail sur les victimes des camps de concentration pendant la seconde guerre mondiale.
Tout le monde est capable de résilience. C’est un mécanisme de défense de l’esprit pour ne plus, ou ne pas, avoir à vivre dans la dépression pour se reconstruire.
Je ne vais pas rentrer dans les détails mais la résilience peut se manifester de diverses manières. Tout dépend, du vécu de l’individu et de ce qu’il fait avec sa mémoire.
Corentin : Comment ça ?
L : La mémoire est subjective. Elle ne traite en effet pas le souvenir d’un événement traumatique de la même manière que nos autres souvenirs.
Ainsi, les souvenirs évoluent avec le temps. Pour Boris Cyrulnik, la mémoire est « la représentation du passé, et pas le retour du passé » alors qu’en revanche, la mémoire traumatique est « figée » et elle n’évolue pas.
D’autant plus qu’elle se manifeste par des intrusions brutales du souvenir dans le quotidien, c’est-à-dire qu’il s’impose à l’esprit, au point que l’on en est prisonnier« .
Et c’est ce qu’on appelle le syndrome de stress post-traumatique. Donc, l’objectif du processus de résilience est justement de retrouver le caractère évolutif de ce souvenir. Ainsi, il deviendra un souvenir douloureux mais pas traumatique.
Corentin : Pourquoi il y a des personnes qui mettent plus de temps que d’autres ?
L : Il semblerait, en tout cas selon Boris Cyrulnik, que tout commence dès l’enfance. Les interactions sensorielles et verbales, que l’entourage entretient avec l’enfant peut influer sur sa capacité de résilience future.
Et cela se voit en neuro-imagerie. Par exemple, un enfant abandonné ou maltraité a son amygdale qui gonfle. Or, cette zone est le socle neurologique des émotions insupportables comme la haine, la colère ou la dépression ».
Par conséquent, ces enfants percevront par la suite toutes les informations comme des agressions et se souviendront préférentiellement des informations négatives. Ils sont donc plus susceptibles d’être victimes d’un souvenir traumatique et arriveront moins facilement que d’autres à la résilience.
Corentin : Est-ce qu’il y a des moyens pour favoriser la résilience ?
L : Je te propose d’écouter Francis Eustache, chercheur en neuropsychologie au micro de science et avenir à l’occasion de la semaine de la mémoire
[SON 1 - Eustache mémoire collective]
Corentin : Pour revenir sur le projet 13 novembre, quelles sont les conditions pour qu’un événement traumatique vécu par un individu devienne un événement structurant de la mémoire collective ?
L : C’est là tout l’enjeu de ce projet. Denis Peschanski, historien et spécialiste de la seconde guerre mondiale nous dit que La mémoire collective est une représentation sélective du passé et que les événements retenus pas le collectif sont ainsi nécessairement ceux qui ont un sens et une utilité sociale.
Corentin : Le projet va durer 12 ans certes mais est-ce qu’on a déjà récolté quelques informations ?
L : Toujours selon Denis Peschanski, on constate qu’il existe une sorte d’entonnoir mémoriel vers le Bataclan et pas vers le restaurant le Petit Cambodge par exemple.
Une sorte de « jeu de billard de la mémoire » qui fait de la salle de concert le symbole retenu par la mémoire collective.
Les premiers résultats du projet 13 novembre sont attendus pour la fin de l’année 2018.
Corentin : Voilà un sujet particulièrement important surtout quand la mémoire se retrouve au centre de nombreux procès comme en ce moment. Merci Laura, on de retrouve très bientôt !
Quand la mémoire joue contre les victimes d’événements traumatisants
Le programme de recherche transdisciplinaire « 13 novembre » cherche à observer l’évolution des souvenirs dans le cadre d’un traumatisme, comme une agression ou un attentat. Avec Laura Aupiais, nous verrons que la résilience n’est pas nécessairement un processus évident et que dans certains cas, la reconnaissance de la mémoire collective peut être d’une grande aide.
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