Corentin : Après quelques mois de promo, Netflix a mis en ligne la première saison de “Big Mouth”, une série animée comique sur les difficultés de l’adolescence. Mais elle n’a pas beaucoup fait rire Marie Turcan. Raconte-nous pourquoi ?
Marie : Le postulat de Big Mouth était pourtant intéressant: on suit un groupe de jeunes ados qui découvrent les joies et surtout les misères de la puberté. Comme le dit bien la chanson de Charles Bradley, reprise en générique: “il se passe plein de changements dans ma vie”.
https://www.youtube.com/watch?v=TSWPOp7mQxM
Je m’attendais à une série légère et intelligente sur les difficultés de gérer les changements de son corps, les relations avec les autres, bref, ces années infernales qui peuvent être autant source de malaise que d’humour.
C : Je sens qu’il y a un “mais”...
M : Alors en effet, légère, ça, c’est sûr que la série l’est. Mais elle est loin d’être intelligente. Pire: Big Mouth est terriblement paresseuse. La série se repose entièrement sur son sujet. Or, ce n’est pas en montrant des garçons en train de se masturber dans un coussin ou embrasser leur première copine à l’arrière d’un bus que l’on porte un propos.
“Big Mouth” est dans la contemplation : on prend une situation classique — par exemple, une fille a ses règles pour la première fois —, et on déroule toutes les étapes attendues : elle le découvre, elle est horrifiée, elle se cache, elle rentre chez elle, sa mère la rassure, elle est soulagée, puis elle réalise qu’elle est en train de devenir UNE FEMME et se transforme en monstre d’hormones.
Original.
C : Donc pour toi, la série enfonce des portes ouvertes.
M : Ce ne sont plus des portes, ce sont des ponts-levis ! Il y a des vannes qu’on aurait même plus osé faire il y a dix ans. Et je ne parle même pas des personnages secondaires: ça va du coach sportif frustré et débile au “fantôme de duke ellington” à la limite du racisme.
https://www.youtube.com/watch?v=k0Fg7cNchic
Comprendre “j’ai emballé une femme blanche à l’époque où ça avait vraiment du sens”...
Est-ce que j’ai besoin de préciser que les quatre créateurs de la série, Nick Kroll, Andrew Goldberg, Mark Levin, et Jennifer Flackett sont tous blancs ? En plus d’être quatre quadra à la tête d’une série sur des ados.
C : Tu n’es pas en train de nous faire un peu de jeunisme, là ?
M : Détrompe-toi. Il y a des scénaristes plus âgés qui écrivent très bien sur les ados, par exemple Josh Schwartz (Gossip Girl, NewPort Beach) ou Bryan Elsley, le papa de Skins. Mais tu vois, Bryan avait l’intelligence de s’entourer de scénaristes plus jeunes qui lui permettaient d’insuffler de la vie dans ses personnages d’ados tourmentés.
Ici, on a quatre scénaristes qui ne parlent pas de l’adolescence, ils parlent de LEUR adolescence, celle d’il y a trente ans. Il n’y a quasiment pas de portables, pas d’internet, sérieusement, même Dawson est plus moderne. Il y a tellement à raconter de ce qu’est la vie d’une gamine de 13 ans aujourd’hui,
Et attention, je dis gamine, mais il ne faut pas se méprendre, Big Mouth est une série sur des mecs, par des mecs.
C : Tu as pourtant cité une co-scénariste.
M : Oui bien sûr, de toute manière on peut toujours citer le nom d’une femme lorsqu’on souligne la présence quasi entièrement masculine d’une équipe. Mais Big Mouth, c’est l’histoire de Nick Kroll — d’ailleurs son personnage lui ressemble comme deux gouttes d’eau — qui raconte son enfance avec son meilleur ami empoté et son autre ami obsédé sexuel. Rien de plus. Il y a un personnage féminin, oui, mais le fait qu’elle ne soit pas montrée comme une potiche écervelée ne devrait pas être suffisant pour oublier qu’elle est sous-traitée par rapport aux autres.
C : Bon, globalement ça ne donne pas trop envie… pourtant la série a plutôt bonne presse aux Etats-Unis...
M : Oui, parce que Nick Kroll est un gentil comique, que tout le monde aime beaucoup et qui fait partie du cercle des Amy Poehler et Tina Fey, qui pèsent dans le milieu des séries.
Et puis, en vrai, Big Mouth n’a rien de méchant. En fait, je pense qu’elle devrait être présentée pour ce qu’elle est: une série pour enfant. Je ne rigole pas, je pense vraiment qu’avec son niveau de blagues “cracra”, ses discours simples et ses personnages bruyants, elle a de quoi plaire aux moins de 15 ans.
En plus, elle est extrêmement bienveillante . Pour le coup, on ne peut pas lui reprocher de s’approcher des sujets épineux. La morale est toujours positive et elle porte un discours d’ouverture à faire enrager les ennemis de la (ouvrez les guillemets) “bien pensance” (fermez les guillemets).
Bon, les ados risquent juste de se demander pourquoi ces petits bambins ne passent pas leur temps à s’envoyer des snap ou danser sur Musical.ly, mais ça leur apprendra peut-être à comprendre leurs aînés…
C : Big Mouth c’est donc déjà disponible sur Netflix pour les plus curieux d’entre-vous ! Merci Marie et à la prochaine.
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