BoJack Horseman, l’avènement de la comédie depressive
Corentin : Le 8 septembre dernier, Netflix a mis en ligne la saison 4 de BoJack Horseman. Une série animée à la fois peu connue du grand public mais qui a une grosse base de fans, dont fait partie Marie Turcan qui est venue nous en parler. Alors Marie, qu’as-tu pensé du retour de cette série au nom improbable ?
Marie : Et bien pour ceux qui nous écoutent et qui ne connaissent pas la série animée, BoJack Horseman, c’est ça.
EXTRAIT (back in the 90s… blablabla)
Marie : Comme le dit la chanson, BoJack Horseman est un cheval. Il a joué dans une sitcom célèbre dans les années 90, mais après cet immense succès, il est retombé dans l’oubli. Notre héros est donc un personnage triste, alcoolique, bedonnant et cynique et qui rêve de faire son comeback.
Corentin : Ça ressemble à pas mal de séries ça...
Marie : C’est vrai, les stars has been, c’est à la mode. Plusieurs acteurs de Friends par exemple (Matt Leblanc, Lisa Kudrow) ont tenté l’expérience. Ils ont essayé de revenir sur le devant de la scène en tournant dans des séries où ils jouaient, de manière ironique, un personnage has been qui tente… de revenir sur le devant de la scène. Wink Wink. Mise en abîme, houhou.
Corentin : Mais BoJack c’est bien plus que ça !
Marie : Je sais que tu es fan, et tu as bien raison. Déjà, parce que BoJack Horseman, comme son nom l’indique plutôt bien, est un cheval. Dans un monde complètement fou où les humains côtoient tout type d’animaux, où une marmotte est gouverneur, un chat agent de star, un ours femme de ménage. Bref, je ne vous fais pas tout l’animalier.
Et donc pourquoi est-elle différente des autres séries?
Marie : Déjà, BoJack Horseman est une série animée. Destinée aux adultes, certes, mais une série animée. Ca lui permet d’abattre les frontières de l’absurde autant qu’elle le souhaite, et de n’être limitée par aucune contrainte technique du genre décors, argent, temps, etc.
CEPENDANT.
Corentin : ah !
Marie : La magie de BoJack horseman, c’est de rester extrêmement sobre alors qu’elle a les moyens de devenir complètement dingo. Pendant trois saisons, on a suivi les histoires d’un cheval dépressif qui ne fait qu’errer de son immense villa au canapé de sa manager, qui traîne dans les bars et au bord des falaises d’hollywood à la recherche du bonheur.
Corentin : Qu’est-ce que cette saison 4 a de différent des autres?
Marie : Cette année, BoJack Horseman a trouvé un nouveau souffle.
En fait pour moi, les trois premières saisons de la série constituait une grande trilogie. Une sorte de “première saison” découpée en trois parties. D’abord, BoJack est has been et malheureux. Puis, on lui offre le rôle de ses rêves, et pourtant il ne parvient pas à guérir sa solitude maladive. Enfin, BoJack est un acteur reconnu, mais il continue à s’enfoncer dans une dépression chronique qui se solde par un craquage monumental : BoJack disparaît de la surface de la terre.
Corentin : BoJack Horseman qui disparaît de la série du même nom, c’est un peu ballot quand même.
Marie : Pas ballot, c’est brillant. La bande-annonce de la saison 4 montrait déjà tous les personnages, à l’exception du cheval malheureux. Le premier épisode est construit de la même manière. On a Todd, Mister Peanubutter, Princess Caroline, Diane. Ils enchainent les nouveaux projets et les blagues à la vitesse de la lumière. Il y a de tout : satire contemporaine, références à la pop culture, féminisme, engagement politique...
Corentin : Mais pas de BoJack.
Marie : Le cheval, à qui l’acteur will Arnett prête sa voix, ne revient vraiment qu’au deuxième épisode. On comprend qu’il a passé un an à chercher un sens à l’existence — pas seulement la sienne, mais l’existence comme nous la partageons tous.
Et puis débarque sa fille, celle qu’il ne connaissait pas mais qu’il va aimer, très vite et très fort.
Alors. Le coup de la fille cachée, les séries nous l’ont déjà fait plus d’une fois. Mais cette fois encore, BoJack Horseman réussit à nous montrer cette rencontre comme une étape dans un lent ré-apprentissage à vivre, et non pas comme un gimmick facile et éculé.
Corentin : Du coup cette saison, c’est la saison du bonheur ?
Marie : Ce serait trop facile. En fait, cette saison ne cesse de nous crier une seule et unique chose: vous êtes seuls. Quoi qu’il arrive, qu’importe avec qui vous soyez, vous êtes seuls et vous devez l’accepter pour vivre avec les autres.
Mention spéciale à l’épisode sur Princess Carolyn dans lequel la série nous dupe pour mieux nous briser le coeur. Et je ne parle pas des réminiscences de BoJack avec sa mère, où se mêlent passé et présent, dans un assemblage qui n’a rien a envier aux grandes séries dramatiques de cette décennie.
Corentin : Mais c’est désespérant !
Marie : “Certains diraient que drôle et triste sont deux faces d’une même pièce”, Corentin.
Cette phrase n’est pas de moi, c’est un personnage de clown absurde qui la balance au détour d’une scène lambda de la saison. Et elle incarne en fait toute l’histoire de BoJack Horseman.
On arrive à un point, dans le paysage des comédies actuelles, où les séries les plus tristes sont celles qui parviennent à nous faire le plus rire. Et vis versa.
De plus en plus, les séries que l’on dit “comiques” nous ravagent le coeur: prenez You’re The Worst, Crazy ex girlfriend, Rick and Morty, Louie, Veep... On n‘est plus dans l’ère des “Difficult Men”, à la Tony soprano ou Don Draper, ces hommes bourrus qui règlent leurs problèmes en silence avec un verre de whisky. L’avenir appartient aux comédies dépressives, bavardes, imparfaites, hilarantes, bouleversantes.
EXTRAIT
Corentin : Merci Marie de nous avoir parlé de cette formidable série qu’est BoJack Horseman. C’est disponible sur Netflix.
0:00
5:07
Vous êtes sur une page de podcast. En cas de difficulté pour écouter ce document sonore, vous pouvez consulter sa retranscription rapide ci-dessous.