“This is us”: et si l’usine à larmes commençait à s’essouffler?
Corentin : La saison 2 de la série “This is us” vient de se terminer aux Etats-Unis, et c’est le regard à la fois embué et un tantinet agacé que Marie Turcan revient sur cette série-événement qui semble faire l’unanimité auprès du public et de la critique. Succès mérité ou hype à nuancer? Dis-nous ce que tu en penses, Marie.
M : Il faut qu’on parle de This is us. Il faut qu’on parle de This is Us et il faut qu’on parle des gens qui parlent de This is Us, Corentin. Je sais, c’est un peu de la mise en abîme de la critique, qui critique les critiques... Mais il faut parfois savoir briser le consensus. This Is Us n’est plus une excellente série.
C’était le cas, dans la saison 1, mais quelque chose s’est brisé, le charme s’est rompu.
C : Bon, après, il faut dire que la mise en abyme, ça te réussissais bien quand tu nous parlais de Rick and Morty. Hein ? C’est d’ailleurs à retrouver dans le brunch pour ceux qui veulent rattraper ça. Mais bref. Avant d’entrer dans le vif du sujet concernant This is Us, pourrais-tu nous rappeler ce que c’est ?
M : Bien sûr! This is us c’est ça:
BA THIS IS US
https://www.youtube.com/watch?v=jUYn_ZtrFT8
Eh oui comme le dit cette bande-annonce de Canal+, la vie dans This is us, c’est comme une peinture pleine de couleur ou alors une boîte de chocolats ou alors une grande famille qui s’aime, ou alors tout ça à la fois.
C : C’est un peu tarte ce que tu me racontes
M : *TCHHHT*. Laisse-moi raconter. This is us, c’est l’histoire d’un couple dans les années 80 qui a trois enfants, dont un qui est adopté.
C’est une série extrêmement inventive, moderne et rythmée qui se joue des codes spatio-temporels, pour nous séduire et nous surprendre. Par exemple, tout le premier épisode est construit comme une série chorale où l’on voit plusieurs couples.
Ce n’est qu’au cours des dernières minutes que l’on comprend que l’un des couples est en fait formé par le père et la mère des autres personnages, mais qu’ils sont juste filmés à une autre époque.
En somme, on fait des aller-retours dans le passé pour mieux comprendre ce qui fait le présent des protagonistes.
C : D’autant plus que si j’ai bien compris, l’intérêt de la série repose un peu sur les personnages...
M : Ah c’est une évidence. On est sur une vraie série de moeurs et d’intimité, avec la promesse de pleurer d’émotion au moins une fois tous les 5-6 épisodes. Il y a par exemple Kate, qui est une jeune femme obèse qui lutte contre un poids qu’elle aimerait perdre mais également pour percer dans la chanson. Le tout, en ayant grandi dans l’ombre d’une mère artiste aussi mince que talentueuse.
Mais il y a surtout Randall, joué par Sterling K. Brown, qui est l’enfant noir adopté par la famille Pearson à sa naissance, et qui est devenu un adulte magnifique bien que complètement névrosé.
C : Ah ça, tu les aimes bien tes personnages névrosés!
M : Oui! Et pourtant Randall, c’est l’archétype du personnage parfait, dans une relation de couple parfaite avec deux filles géniales et un métier qu’il adore, bien que super chiant. Oui mais voilà, Randall fait tellement tout pour être parfait, qu’il devient une boule de stress, incapable d’accepter l’échec. Et du coup tombe en dépression. Plusieurs fois. Le genre dont on a du mal à se relever.
On assiste à sa lente descente aux enfers dans la première saison, ainsi que sa difficulté à trouver du sens à sa vie, en dehors du travail, dans la deuxième. Mais au-delà du présent, c’est aussi dans l’enfance de Randall que l’on comprend combien il était compliqué de grandir en tant qu’enfant de couleur adopté par une famille blanche.
Alors pour compenser, Randall veut être parfait.
Parfait, parfait… ce mot est souvent utilisé dans la série pour parler de quelqu’un d’autre... Le fameux Jack. Ah Jack, le patriarche, le père de famille idolâtré et idéalisé, incarné par Milo Ventimiglia.
Jack, c’est ça:
JACK 2
https://www.youtube.com/watch?v=ooSTNyo8DVA
Mais à force de présenter cet homme un héros en veste en jean et bouc malicieux, This is us nous perd tout doucement, d’épisode en épisode, jusqu’à sombrer dans la caricature. La figure du père magnifique est au final à peine égratignée, même quand il s’agit de parler de son addiction à l’alcool.
Et comme dans This is Us, on martèle les bons sentiments à grands coups de tradition et de symbolisme, on retrouve Jack déguisé en pilgrim, Jack qui joue au football américain, Jack qui fait la cuisine ou encore Jack qui négocie avec un vendeur pour obtenir une super bagnole pour garder sa famille en sécurité.
C : Ohh ! Ça sent la jolie pub déguisée !
M : Tu ne crois pas si bien dire ! Emily Nussbaum, la critique du New Yorker, m’a fait bien rire en écrivant dans un récent numéro: “Je croyais avoir téléchargé l’un des derniers épisodes de This is Us, mais je me suis retrouvée devant une pub d’une heure pour une Jeep.”
Et ce placement-produit n’a rien d’anecdotique, il incarne bien les moments de lourdeur qu’impose de plus en plus la série.
D’autant plus que le grand secret, “quand est-ce que Jack va mourir, et comment?” a été récemment résolu dans un épisode spécial diffusé après la finale du SuperBowl américain — c’est le créneau le plus recherché de la télé américaine —.
Depuis, on a tendance à ressasser les mêmes sentiments de manière toujours moins légère: la culpabilité, le doute, l’amour, la culpabilité, la jalousie, la culpabilité, la crainte — est-ce que j’ai parlé de la culpabilité ?
Aussi, à force de se reposer sur les mêmes artifices, on a l’impression que les scénaristes nous regardent dans les yeux, appuient sur un bouton, et nous disent: “allez, c’est maintenant qu’il faut chialer!” Et du coup, ça à tendance à tomber à plat.
Et c’est dommage car This is US reste une série terriblement contemporaine, qui sait souvent déjouer des clichés, notamment dans les relations amoureuses. Mais comme dit souvent ma maman, Corentin, le mieux est l’ennemi du bien.
C : Merci Marie pour ces explications, en France, c’est la chaîne de la TNT 6ter qui a diffusé la première saison — et si vous voulez suivre la deuxième, il faudra vous rendre sur Canal+ séries. À très vite.
« This Is Us », saison 2 : et si l’usine à larmes commençait à s’essouffler ?
La première saison de « This Is Us » avait bouleversé une partie du public grâce à des thèmes poignants et une structure narrative intelligente. La deuxième saison parvient-elle à réitérer l’exploit ? On voit ça avec Marie Turcan de « Business Insider France ».
0:00
6:19
Vous êtes sur une page de podcast. En cas de difficulté pour écouter ce document sonore, vous pouvez consulter sa retranscription rapide ci-dessous.