Corentin : L’exercice de la rupture peut-il être beau ? Que faire lorsque l’être aimé s’en va ou que le quitter en est tout aussi douloureux ? Il faut trouver un sens à sa souffrance pour notre philosophe aux Croissants, Angèle Chatelier.
Angèle : Ca y’est, l’être aimé est parti. C’est un déchirement. Une douleur tellement vive que l’on se retrouve dans un état de complète agonie. On hurle comme un nourrisson, on passe par des états que l’on ne soupçonnaient pas pouvoir vivre jusqu’alors.
C’est la rupture. (EXTRAIT 1 Barbara)
Quand on pense à la rupture, on ne pense pas instinctivement au bonheur, j’en conviens. Personne ne souhaite à quelqu’un de la vivre, même si nous sommes tous passés par là ou y passerons un jour. Mais la rupture peut-elle avoir en elle quelque chose de beau ?
C : Encore faut-il que la pilule passe
A : C’est vrai. Dans l’état qu’engendre le départ de l’être aimé, il y a une véritable réminiscence de l’enfance. On retrouve l’état du nourrisson délaissé par ses parents lorsque ceux-ci ne s’occupent pas de lui pendant de longues minutes. C’est un sentiment d’abandon total. Et le pire abandon que nous ayons subi dans notre vie, c’est lorsque nous avons compris que nous ne resterons pas ad vitam eternam collés au sein de notre mère. Celui que je pensais être collé à moi toute ma vie, comme une seconde peau, est parti ou m’a remplacé. Je ne suis plus sienne.
C : Comme nous avons fini par comprendre que nous n’appartenions pas à nos parents
A : C’est ça.
Après la rupture il y a plusieurs phases, vous le savez. Un peu sous la forme d’un deuil. Le déni, la colère, la tristesse puis l’acceptation.
Pour ma part, il y a aussi souvent l’ivresse (EXTRAIT 2 Feu Chatterton)
Outre l’acceptation, dans les différentes phases de la rupture que nous vivons, il est possible - même conseillé - d’y trouver un sens.
Chez les stoïciens, souffrir est une épreuve que nous a envoyé Dieu pour nous donner force et courage. Je rappelle, comme je le disais dans une précédente chronique que pour le stoïcisme, le bonheur est souverain. Mais pour l’atteindre, je dois accepter ce qui ne dépend pas de moi en vivant raisonnablement.
C : Mais il y a une forme d’injustice à faire souffrir l’innocent
A : C’est l’un des sentiments premiers lorsque l’on est quitté : « pourquoi ? J’ai été si gentille et si géniale ? »
Mais si l’on parle d’injustice, alors on se réfère à ce qui est contraire à la justice. Se sentir être en plein dans l’exercice de l’injustice suppose que nous ayons la connaissance de ce qui est juste (vous me suivez, ça va ?)
Vous trouvez ça raisonnable ? Moi non. Voire même, prétentieux.
Surtout que pour savoir ce qui est juste, il faut sortir de soi, de son propre intérêt. Voire même, en discuter avec les autres. Bah oui : il serait tout aussi injuste de considérer que l’autre n’a pas le droit d’être heureux si nous le sommes.
Il convient donc de trouver un sens à tout ça.
Si l’on en revient à la question « une rupture peut-elle être belle ? », encore faut-il réussir à se sortir de ce sentiment d’injustice et s’amener tout doucement vers la définition du beau et de la contemplation.
C : Mais alors là, il nous faudrait une année entière pour définir ce qu’est le beau.
A : Effectivement. Même les philosophes n’ont pas réussi à se mettre d’accord. Ne vaudrait-il pas mieux dire alors : « quel est le sens de la souffrance que nous offre la rupture ? »
C : Il revient alors de se poser la question de savoir si la souffrance peut avoir un sens
A : Exactement. La souffrance, en philosophie, se caractérise dans beaucoup de choses : la souffrance de la faim, de l’ennui, de la maladie, de la violence… mais il y a aussi la souffrance que l’on commet et celle que l’on subit.
Alors attention : il ne s’agit pas dans cette question de poser un quelconque diktat comme quoi il est important de souffrir, comme un masochiste. Non, il s’agit de contempler sa souffrance une fois qu’elle est là. Parce que nous n’avons pas le choix.
Il faut distinguer la douleur de la souffrance : la douleur est là où l’on fait l’épreuve des choses alors que dans la souffrance, on fait l’épreuve de soi.
Se retrouver face à la perte de l’être aimé, c’est souffrir en soi, et non pas pour lui. Une fois que l’on a compris ça, alors déjà, la souffrance à un sens : se rendre compte que je souffre et que je souffre pour moi, donc que potentiellement, ça pourra aller mieux.
C : Si je comprends bien : la souffrance a un sens à partir du moment où elle nous rend sage
A : J’accepte de souffrir, rien n’arrive par hasard. C’est exactement ce que je vous disais dans ma chronique sur le bonheur : cet état total de plénitude s’acquiert en acceptant ce qui ne dépend pas de nous.
L’acceptation passe par la compréhension et le vécu. Vivre son chagrin, déjà. Il existe, il est réel, alors il faut le vivre. La compréhension vient ensuite : est-ce que ça marchait si bien ? A quoi me renvoie cette rupture si ce n’est qu’à moi-même et mes propres angoisses ?
Une rupture ne dépend pas de nous mais il est possible de l’accepter. En étant raisonnable et sage.
C : Et en restant optimiste
A : Bien sûr. C’est malheureux que de se dire que je suis impuissant face à ce qui m’arrive mais le philosophe dira plutôt : « il m’arrive cela, je le prends, je le dorlote, je le choye autant que possible mais avec sagesse. Je sais que cela à un sens et que je le comprendrai plus tard ».
C’est aussi en ce sens que la rupture peut être belle. Je vais reprendre les mots de Feu! Chatterton lorsqu’ils expliquent la réflexion qu’ils ont eu autour de leur second opus, l’Oiseleur : « plutôt que de se dire que tout ça était beau et que maintenant c’est du passé, gardons que cela était beau, plutôt de dire que c’est passé ».
Dans cet album, ils ont réussi, eux, à définir le sens de la souffrance dans la beauté de l’absence. N’y-a-t-il pas rien de plus beau que le souvenir ? (EXTRAIT 3)
Pour terminer cette chronique je reprendrais donc cette phrase de Lacan : « On ne guérit pas parce qu’on se remémore, on se remémore parce que l’on guérit ».
C : De belles paroles ma chère Angèle. J’espère qu’ils serviront à certains à sortir du gué, même si c’est pas facile. Merci et à très vite !
La rupture amoureuse peut-elle être quelque chose de beau ?
Être quitté par l’élu de son cœur est particulièrement douloureux. Il devient alors terriblement difficile de prendre du recul. Avec Angèle Chatelier, essayons de voir ce que la philosophie a à dire de la rupture amoureuse.
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